Milieu du XVIIe siècle, la marquise de Sévigné voudrait faire de sa fille, une femme brillante et indépendante, à son image. Mais plus elle tente d’avoir prise sur le destin de la jeune femme et plus elle l’aliène. Mère et fille expérimentent alors les affres d’une passion singulière et dévastatrice. De ce ravage va naître une œuvre majeure de la littérature française.
Figure littéraire posthume, Madame de Sévigné a vu sa correspondance avec ses amies et surtout sa fille devenir un classique de la littérature française quelques années après sa disparition, aux côtés de ses amies de plume, Madame Lafayette ou le comte de La Rochefoucauld. Cette matière, qui dépeint ses états d’âme tout autant qu’elle donne quelques indications utiles sur les us et coutumes de la cour de Louis XIV, a donné lieu à quelques adaptations cinématographique (ou des téléfilms) plutôt confidentiels. Adapter ses écrits, sa biographie, constitue en soi un joli défi auquel la réalisatrice Isabelle Brocard se confronte, pour son troisième long métrage, 13 ans après son premier film, Ma compagne de nuit, qui s’intéressait déjà à une relation particulière entre deux femmes, à un profond lien d’attachement entre elles.
Le défi consiste notamment à trouver le bon rythme, en écrin à la prose, dans une recherche permanente du bon équilibre, ne pas trop en dire, mais aussi ne pas trop éluder, à des fins artificielles. Il consiste aussi et surtout à poser un regard qui permette de rendre grâce au style, à la valeur littéraire des lettres, mais aussi à ce qu’elles nous enseignent de son autrice, ou de son époque. Isabelle Brocard se lance ainsi dans un film à costume, où le moindre détail compte. L’entreprise requiert un grand soin pour ne pas tomber dans les écueils classiques, que ce soit le côté poussiéreux, ou au contraire, l’anachronisme mal assumé des films d’époque. Les premières images instaurent la note d’appel, celle qui se prolongera tout le long du récit, sans rupture ni accidents. En musique classique, nous parlerions volonté d’un adagio, une composition qui nous permet de nous imprégner assez aisément de la mélodie principale, mais aussi de pouvoir, pour qui a l’oreille musicale, distinguer les différentes notes.
Le ton est doux, à l’instar de la poésie qui se dégage des lettres de Madame de Sévigné, et peut perturber le spectateur plus habitué à une narration plus épique, qui s’intéresserait davantage aux faits et évènements. Ici, le rythme est sciemment étudié, jamais démonstratif, il prend le temps de laisser les choses s’imprégner en nous. En cela, il place le spectateur dans une situation d’attente, à l’image de celle de Madame de Sévigné; un sujet, d’ailleurs, relativement peu traité au cinéma: une relation d’amour entre une mère et sa fille, dévorante pour l’une comme pour l’autre, donnant lieu à une correspondance où la mélancolie se glisse dans les moindres recoins.
Les premiers instants du film balayent une crainte que nous pouvions avoir, en lien avec le casting. La plupart des films où l’on retrouve Karine Viard ou Ana Girardot ont tendance à vouloir tirer profit de ce que ces deux actrices dégagent naturellement, de la place que leur personnalité, leur voix, leur posture, prend sans nécessité de les refaçonner. Le registre émotionnel, passionné ou excessif sied parfaitement à Karine Viard, dans les comédies comme dans les drames. Ana Girardot se prête volontiers aux romances alertes. L’une comme l’autre ont leur part de modernité, et s’inscrivent dans nos imaginaires principalement au présent. Le risque eut donc été que le costume qu’on leur affuble ici ne fasse pas bon ménage avec leur partition, et qu’au lieu de nous retrouver en présence de deux personnages historiques, Madame et Mademoiselle de Sévigné, nous reconnusses deux bonnes comédiennes dans le rôle de, qui écraseraient leur personnage, ou leur donneraient une corporalité qui pourrait ne pas convenir à l’idée que le raffinement des écrits de Madame de Sévigné laisse entendre de la retenue qui caractérise les rapports entre la mère et sa fille. Le fort de Madame de Sévigné tient précisément à la direction d’actrices, puisque l’une comme l’autre semblent totalement au service du film et s’inscrivent dans l’atmosphère globale qu’Isabelle Brocard installe.
Ceci-dit la forme et l’esthétique choisie ne se risquent pas au delà du classique, au contraire du fond qui présente une indéniable singularité, probablement lié à la nature même de Madame de Sévigné, et à la lecture que la réalisatrice peut faire de ses lettres, et du personnage. Elle déplace volontiers le regard usuel du film à costume. Le film se désintéresse en effet de ce qui d’ordinaire intéresse les curieux, la cour royale, la figure du roi, la cour, ses us, et ses intrigues, les puissants et célèbres. Comme il délaisse également le cercle littéraire et les relations amicales de Madame de Sévigné, ses amis de lettres, Madame de La Fayette, le duc de la Rochefoucauld, tous servant ici de décor ou d’arrière fond, quelques menus loisirs que s’octroie Madame de Sévigné par instants, qui la ramène à la vie, pour composer aves ses chagrins. Là où des films comme les adieux à la reine (Benoit Jacquot), Sissi et moi (Frauke Finsterwalder), Corsage (Marie Kreutzer) ou à venir La dernière reine de Karim Ainouz, pour en citer quelques uns, font le choix de masquer un peu leur intention en abordant leur sujet principal par le regard d’un personnage tiers (déplacement du héros dira-t-on), Madame de Sévigné surprend précisément car il s’intéresse à Madame de Sévigné, non pas à ses apparences, à ce qu’elle peut raconter du monde, mais bien à ses sentiments intérieurs, à des choses intimes, dans des proportions bien supérieure à ce que pouvait tenter (et réussir) Tous les matins du monde ou Amadeus, ces deux derniers ramenant de l’intime dans l’épique, bien plus qu’ils ne faisaient de l’intime leur sujet, pour en citer d’autres. De ce choix étonnant, la poésie d’ensemble s’en trouve renforcée, le temps suspendu, le spleen de Madame de Sévigné qui vit très mal l’absence de sa fille et cherchera même un temps à la remplacer, ses souffrances intérieures nous parviennent plus distinctement et viennent à combler les quelques impatiences que les lenteurs d’ensemble auraient pu générer.