Avant tout connu pour sa carrière d’acteur, Patrick Bouchitey réalisa en 1988 un premier et unique court-métrage titré Lune froide. Cette première réalisation était une adaptation à l’écran d’une nouvelle de Charles Bukowski intitulée La sirène baiseuse de Venice, Californie. Ce premier essai fut bien reçu par la critique et se vit honoré du grand prix du festival du court-métrage de Clermont-Ferrand en 1989 puis du César du court-métrage de fiction en 1990. En 1991, le néo-réalisateur tourne un préambule à ce court-métrage en s’appuyant sur une autre nouvelle de Bukowski, Panne de batterie. Ainsi, l’épilogue de Lune froide version long-métrage n’est autre que le court-métrage de 1988 retenu dans son intégralité. Aujourd’hui, la ressortie en salle et en version restaurée du long-métrage Lune froide nous offre l’occasion de revenir sur cette œuvre inclassable du cinéma français qui, plus de trente ans après sa réalisation, garde toute sa singularité.
Les tribulations de Simon et Dédé, deux amis paumés et soudés l’un à l’autre par une quête d’oubli et d’exaltation. La nuit, désinhibés par l’alcool et électrisés par Jimi Hendrix et le rock des années 1960, ils enchaînent les rencontres insolites et déjantées jusqu’à un soir de pleine lune…
Patrick Bouchitey prend d’inévitables libertés par rapport aux deux nouvelles précitées de Charles Bukowski. Ce constat n’est nullement une critique tant la fantasmagorie de l’univers littéraire de l’écrivain américain d’origine allemande demeure difficilement adaptable en l’état à un média autre que la littérature.
Tourné en noir et blanc, Lune froide visite des lieux sans âme telle cette zone industrielle portuaire de Lorient. Le récit, macabre et provocant, s’articule autour d’un duo d’amis paumés et alcoolisés composé par Jean-François Stévenin et Bouchitey à l’identique de Lune froide dans sa version court-métrage. Ici, le casting du long-métrage est élargi pour laisser place à quelques personnages secondaires entourant le duo principal. On peut ainsi saluer la présence de Roland Blanche, Jean-Pierre Castaldi ou encore Jackie Berroyer également crédité en tant que co-auteur avec Bouchitey du scénario et des dialogues.
La caméra suit pas-à-pas le duo de quadragénaires Bouchitey / Stévenin dans leurs déambulations nocturnes. On devine assez vite que ces errances les mèneront nulle part. Il demeure cependant très inattendu qu’en bout de course l’un des derniers actes commis sera le vol d’un cadavre dans une morgue. Cet épilogue choc amène une scène interdite (nécrophilie) et vaut à Lune froide une interdiction aux moins de seize ans maintenue en 2023. Le film fit d’ailleurs scandale à sa sortie en salle en 1991. Il gagne par la même occasion son unicité dans le paysage du cinéma français. L’œuvre est incomparable au regard de sa radicalité de traitement.
Lune froide ne porte aucun message mais invite son public à une déambulation non dénuée d’une part morbide. L’invitation est aussi d’ordre musical puisque ce film « rock and roll » est accompagné d’une bande originale endiablée notamment par Jimi Hendrix. Elément sonore auquel il faut adjoindre une version revue (et corrigée) de Let it be des Beatles, ici francisée dans la bouche du réalisateur-acteur. Cette « performance » inaugurale annonce les doublages pastiches toujours signés Bouchitey dans ce film mais aussi dans sa série télévisée La vie privée des animaux diffusée sur Antenne 2 au début des années 90.