Deux jeunes frères syriens pétris d’espoir décident de partir refaire leurs vies dans des villes étrangères. Ils laisseront tout derrière eux sauf leur infinie soif de vie, leur détermination, leur humour et leur désir d’un avenir meilleur.
Loin de chez nous sort en salle ce mercredi 11 Août dans plusieurs cinémas à Paris et en province après avoir parcouru les plus grands festivals comme le Festival International du Film du Caire 2020 où il a remporté le prix du Meilleur Film et du Meilleur documentaire, .
Il nous donne à voir un récit qui, quoi qu’il épouse une forme documentaire des plus conceptuelles (mélange d’images d’archives, d’images prises sur le vif par le réalisateur, images en caméras cachées, images via téléphone portable) et touche à un sujet des plus actuels et des plus tragiques (l’exil si loin de leur pays d’attache), surprend par son optimisme, et le message qu’il délivre, si loin de ce que l’actualité relaie au quotidien.
En cela, il se range plus volontiers du côté des cinéastes de fiction qui visent à plonger le spectateur dans une histoire « vraie » certes chargée d’émotions, mais dont il rend compte dans son évolution, son inscription dans le temps, avec en toile de fond un jeu de miroir permanent avec la caméra qui recueille quelques confidences que les protagonistes – ses deux cousins Milad et Jamil Khawam – cherchent pourtant eux même à éviter, qu’il n’épouse les motivations de cinéastes documentaires, de journalistes soucieux d’alerter les populations, de rendre compte de la misère humaine.
Plutôt que traiter le phénomène migratoire sous l’angle de la critique, de l’objectivité ou même politique, le réalisateur libanais cherche bien davantage à raconter une histoire proche de lui, et précisément à en faire ressortir le côté personnel et singulier. Ainsi, il suit les pas de deux de ses cousins, avec lesquels il a passé une partie de son enfance, entre Damas et Beyrouth (lui même est né d’une mère syrienne et d’un père libanais). De son propre aveu, il s’intéresse à eux car ils prennent une décision que lui même à hésiter à prendre: « Je pourrais m’identifier totalement à Milad et à Jamil. Leur histoire comporte des éléments qui résonnent avec ma vie à plein d’égards. Le film est devenu pour moi un miroir. J’ai toujours voulu quitter mon pays mais je n’ai jamais eu le courage de le faire. Les départs de mes cousins ont réveillé quelque chose de fort en moi. »
Dés lors qu’il prend la décision de les suivre, il se remémore les images d’archives familiales captées par son oncle quelques années en arrière. En cela, il se sent investi de poursuivre une œuvre inachevée et ce matériau précieux permet d’éclairer de façon assez subtile les relations familiales entre les deux cousins et le réalisateur. Le film ouvre donc par une introduction en bonne et due forme avec les deux cousins, leur vie au pays, leur vie de tous les jours, et leur rapport aux lieux qu’ils fréquentent. Cette ouverture résonnera d’ailleurs, consciemment ou non – procédé d’écriture amont ou aval – avec la partie plus conclusive du film. Entre les deux, l’exil en lui même, le voyage, ses moments de doute, de danger, le dénuement et la prise de risque, mais aussi et surtout les états d’âmes.
Ainsi Wissam Tanios nous cueille en nous proposant un exil cinq étoiles, qui semble, presque sorti tout droit d’une imagination, ou d’un conte de fées. Chacun des deux cousins semble poursuivre son chemin avec détermination et sans grandes difficultés. Si difficultés, il y a (que ce soit d’ordre administratif, matériel, financier, mental, ou sécuritaires), elles semblent tues, coupées au montage à dessein, pour mieux mettre en avant une autre dimension que l’on oublie presque. Oui, à raison, l’actualité dramatique liée aux crises migratoires remonte à nos yeux et cerveaux au travers de ces images relayées ici où là , de celles qui impriment notre rétine quand nous découvrons des tentes jonchées dans des endroits insalubres sur des parvis de gare, des bas-côté de périphérique ou des tunnels de grands passage. La misère bien souvent attend des personnes déjà miséreuses, les destins continuent de se briser bien plus qu’ils ne réservent de bonnes surprises, pour le plus commun des mortels, précisément mortel et en constant état de résistance aux épreuves, en survie. Mais l’exil, comme ce fut le cas par le passé, comme l’histoire a pu le montrer, comme certains cinéastes aiment aussi à le rappeler avec quelques années de retard quand ils rendent hommage à leurs aieux (de Kusturicza à James Gray en passant par Gatlif et tant d’autres), comprend également sa part de rêve. Le rêve d’un ailleurs où les horizons enfin se débouchent, le rêve d’une vie meilleure, le rêve de pouvoir bâtir, tout recommencer à zéro, et ne serait-ce qu’avoir une chance non pas de survivre, mais de vivre, là où les dés semblent jeter d’avance pour qui accepte son sort, et renonce à l’exil.
Le hasard, dans son étymologie anglosaxonne – au sens danger lié à l’incertitude, comporte bien des attraits. Voilà le projet cinématographique de Tanios, voilà surtout ce qui anime les pensées de nos deux protagonistes et que le dispositif filmique rend à merveille. Loin de chez nous évite ainsi le ton miséricordieux, à aucun instant ne s’arrête sur les instants où le désespoir s’invite, ni ne quitte ses personnages et leurs aspirations d’un avenir meilleur, intactes et inébranlables, quand bien même l’un et l’autre suivent des chemins bien différents (le rapport au travail, à la construction, à la fête, et à l’art sont ainsi quelques sujets de désaccords profonds entre les deux exilés), dans un but unique, artistique et véridique – Tanios se fait ici le relai de ses cousins – : délivrer un message d’espoir.
Précisément, une capacité (parfois même une fonction) appréciable du cinéma (et de l’art en général)