L’écrivaine et photographe Carole Achache s’est suicidée en 2016. Après sa mort, sa fille Mona Achache, une réalisatrice, a retrouvé des milliers de photographies, lettres et enregistrements audio que sa mère avait laissés derrière elle. Pour mieux comprendre la mort de sa mère et qui elle était réellement, Mona Achache a demandé à l’actrice Marion Cotillard d’incarner sa mère dans un film de style docudrame qui plonge dans l’enfance de Carole, sa relation avec sa mère, l’écrivaine Monique Lange, et les abus subis par Carole aux mains d’hommes comme l’écrivain Jean Genet.
Pour son quatrième long-métrage, Mona Achache a choisi de prendre comme point de départ un sujet hautement personnel (voire le plus personnel qui soit, en l’occurrence la biographie de sa mère), à la fois politique(évoquer la place des femmes dans le milieu intellectuel Parisien des années 1960) et de le traiter avec une forme singulière, qui consiste à mélanger le documentaire et la fiction, des images d’archive et des scènes fictives reproduites en présence d’une star (Marion Cotillard) dans le rôle d’un personnage réel. La jeune cinéaste expérimente ainsi un nouveau terrain, autant sur le plan formel que par le contenu, puisque ses trois longs-métrages précédents étaient des films de fiction plus ou moins classiques.
Le choix esthétique d’introduire le faux dans le réel, détermine le film. Nous nous interrogeons en premier sur les motivations de cette décision. Il est évident qu’en proposant un documentaire conventionnel sur la seule base d’images d’archives, la cinéaste aurait pu rester neutre et prendre de la distance vis à vis de cette histoire où la transmission de mère en fille est centrale. En lieu et place, elle fait le choix de s’investir dans une démarche (appréciable en soi) qui l’implique intimement, qui la met en scène directement et dévoile ses sentiments les plus profonds, et par conséquent rend le film beaucoup plus subjectif. Ensuite, fictionnaliser ce récit (s’éloigner du réel) a-t-il aidé Mona Achache à surmonter la peur de s’approcher d’un sujet si douloureux et traumatisant ? Nous pouvons aussi supposer que la présence de Marion Cotillard permet au film de sortir du lot et d’être vu par le plus grand nombre de spectateurs.
Seconde question essentielle donc: cette esthétique singulière, fusionnelle, fragmentaire, permet-elle une bonne réception et compréhension du film par les spectateurs ? Hélas, non. Les scènes interprétées par Marion Cotillard (certes très impliquée pour ce rôle, elle fait visiblement beaucoup d’effort pour jouer, au détriment probablement du naturel) sonnent faux et ne se raccordent pas suffisamment avec la partie documentaire du film, même si les textes lus s’avèrent particulièrement marquants (point fort du scénario, qui atteste de la qualité d’écriture et de pensée de Carole Achache, une écrivaine très intéressante que nous découvrons grâce au film et qui aurait mérité plus de reconnaissance littéraire. Nous pensons notamment à la scène qui évoque les souvenirs de prostitution à New York). S’en suit un problème de rythme, insuffisamment homogène, et construit sur une alternance entre temps forts et temps plus faibles. L’ensemble donne la perception que le film stagne par moments, ne développe pas de nouveaux sujets et, dans sa partie centrale, tend à s’enliser.
Hormis le fait que la gravité du sujet en lui même impliquait d’éviter les nuances, est-ce qu’un.e cinéaste est forcément la personne la mieux placée pour réaliser un film sur sa propre mère ? Mona Achache pouvait-elle avoir le recul nécessaire pour restituer une image globale qui recouvrirait tous les aspects de la vie de sa maman ? Trop proche d’une personne, nous nous concentrons parfois sur certains détails qui ont marqué notre esprit. Ainsi, le bruit que la mère faisait le matin en buvant son thé, prend plus d’importance que son regard politique (féministe), que l’histoire de la femme libre, intelligente, victime d’un milieu intellectuel principalement masculin. La réalisatrice apporte un regard individualisé sur sa mère et l’isole(Carole, interprétée par Cotillard, est toujours montrée seule. La mise-en-scène – « intérieure » – accentue son isolement). Elle ne crée pas de lien organique avec les autres femmes qui ont vécu la même situation, ni le mouvement féministe de son époque. Aussi, le film néglige la carrière de Carole en tant que photographe de plateau et les rencontres intéressants qu’elle a sans doute fait dans le milieu du cinéma grâce à ce métier.
Dommage … Ce sujet si beau et si fort aurait pu donner lieu à un chef-d’œuvre cinématographique.