A FELESÉGEM TÖRTÉNETE (L’HISTOIRE DE MA FEMME) d’ Ildikó ENYEDI (Hongrie) avec Léa Seydoux, Gijs Naber, Louis Garrel
Jacob est capitaine au long cours. Un jour, il fait un pari avec un ami dans un café : il épousera la première femme qui en franchira le seuil. C’est alors qu’entre Lizzy…
La simple lecture du titre L’histoire de ma femme permet de glisser quelques indices sur le genre de films auquel nous pouvions nous attendre. Peu d’effet de style tout d’abord, et peu de mystère. Limpidité, simplicité (en apparence disons-nous bien) et prégnance de la narration. Histoire bovarienne probablement s’imagine-t-on encore. Nous avions en tout cas très envie de découvrir ce film hongrois pour plusieurs raisons.
La première venait de la réputation qui précédait le film, et sa réalisatrice Ildiko Enyedi, si rare sur nos écrans français. Sa très lointaine caméra d’or en 1989 pour Mon xx ème siècle, notre ravissement récent pour la vitalité du cinéma hongrois que ce soit les œuvres léchées de László Nemes et plus encore, notre coup de cœur de l’année 2020, Preparations to be together for an unknown period of time, de Lili Horvath, aux accents si Kieslovskien (un genre de cinéma que l’on pensait presque disparu et qui nous manquait), notre intérêt très prononcé pour Wj Has (La Clepsydre) étant les autres arguments justifiant cette envie.
D’emblée, nous remarquons, à la fois plaisamment mais aussi avec un peu de regret, que le film s’attache à une forme à la facture très classique. La photographie , la mise en scène, se distinguent des productions ordinaires, peut être pas au niveau d’un Visconti, mais en tout cas, avec une exigence palpable. Les décors aux drapées rouges, les intérieurs velours, les couleurs chatoyantes confèrent aux lieux et au film des notes chaleureuses, peut être trop rassurantes. Très vite également, on note la subtilité de l’interprétation de Léa Seydoux, dans un rôle ambigu (avec cette question à laquelle nous ne savons pas répondre avec certitude, le film se veut-il féministe ?), dont elle parvient à faire ressortir les différentes nuances avec le sérieux et l’application qu’on lui connaît (quand elle nous surprendra bien d’avantage quelques jours après dans sa capacité à se réinventer sous la caméra de Dumont). De nombreuses thématiques, finalement peu évoquées au cinéma, s’invitent dans une écriture subtile, faite de patience, discernement et application. L’acteur principal incarne lui aussi très bien son personnage d’homme viril, amoureux de son épouse, mais incapable de comprendre ses attentes, de voir clair entre ce qui relève du jeu de séduction, du sentiment, ou au contraire de la manipulation. On songe alors à ce capitaine qu’incarnait Jean Gabin dans Remorques de Grémillon. La place de la femme dans le couple, l’horizon qu’un mariage peut proposer à une femme d’un homme absent sont au centre du récit, au même titre que la psychologie de chacun des deux personnages. Elle, légère en apparence mais sûre de ses intentions, qui aime s’amuser de la vie, lui, capable de frivolité par instant, homme de défi, emprunt d’une gravité à la fois fondatrice et inhérente à sa vocation de vieux loup de mer. Dans les bons points, relevons encore quelques jolies idées de mises en scène, ainsi que la captivante direction d’acteurs.
L’effet d’ensemble, plutôt gracieux, pâtit cependant de ce qui par ailleurs en fait la force. Le roman filmé, composé de nuances et de petits détails qui s’invitent avec patience, la complexité même de la relation, et plus encore de Lizzy, aux sentiments et aspirations multiples, variants ou troubles, nécessitaient assurément ce développement méticuleux et long. Mais le rythme narratif vient à en souffrir, les différents chapitres traduisant différents stades de l’évolution de la relation, ne bénéficient pas assez d’un effet de surprise, la forme classique, appréciable par ailleurs, nous interroge, ne manque-t-il pas une fantaisie, une folie, une dimension plus fantasmée, voire une poésie qui nous embarquerait plus loin encore ? Ne manque-t-il pas un ressort plus intense que le trouble sensé être créé par l’amant (Louis Garrel pour une fois un peu perdu et plutôt mal à l’aise) qui vient interroger la relation initiale et son évolution ? La déliquescence de l’amour à mesure que le caractère rustre du capitaine s’affirme, qu’il chavire et sombre (dans l’alcool notamment) face à ses propres limites, à son incapacité à raviver l’imagination et à être l’égal intellectuel de celle qu’il a choisi sur un coup de poker pour être sa femme, n’aurait-il pas été plus intense si les explications n’étaient pas si limpides, si une part de mystère, de folie dans les yeux de notre capitaine, rompaient la linéarité démonstrative ?