Un film de Philippe Garrel
avec Louis Garrel, Damien Mongin, Esther Garrel, Lena Garrel, Francine Bergé
Trois frères et sœurs – joués par les enfants réels du réalisateur Philippe Garrel – constituent la dernière génération d’une famille de marionnettistes. Sera-ce la dernière ? Un événement tragique met à l’épreuve leur volonté de poursuivre la troupe, remettant en question la notion même de vocation.
Notre avis: *(*)
Philippe Garrel a opéré dans ses derniers films (très visible dans le Sel des Larmes) un virage dans son cinéma qu’il assume. Il tente d’épurer ses récits et ses dialogues pour viser un cinéma plus direct, plus concentré, moins réflexif, mais qu’il souhaite tout autant porteur de philosophie et de vibrations.
Le grand chariot appartient à ses projets qui lui sont chers. Garrel n’est jamais aussi bon que lorsqu’il parle d’une matière qui lui appartient, qu’il a vécue, encaissée, digérée (Sauvage Innocence, la frontière de l’aube, l’Amant d’un jour, …). Typiquement il appartient à cette catégorie d’artiste qui trouve son inspiration dans son Moi. En nous parlant de Lui, il nous parle de nous … A contrario, lorsqu’il s’attache à un sujet qui lui est plus étranger, une composante artificielle, par trop théorique, s’invite, qui prive le film d’une émotion plus brutale et instantanée. Ici, le sujet n’est pas directement le sien, en tout cas en première surface. Philippe Garrel, ouvre d’ailleurs sa conférence de presse à la Berlinale par une lettre qu’il lit, pour préciser que l’histoire qu’il raconte avant d’être la sienne d’artisan cinéaste low-tech (tout au long de la conférence de presse il fera preuve d’un humour et d’une omni-présence qui sied parfaitement au personnage tout à la fois éveillé au monde et refermé sur ses propres conceptions) appartient à la famille Garrel, toute entière convoquant le souvenir de ses grands parents marionnettistes, attachés à la tradition, à la transmission de cet art, envers et contre l’époque qui pouvait tendre à le rendre désuet. Artiste plus ou moins compris, mais aussi artisan, Garrel ici veut interroger une autre facette que ses enfants connaissent, celui d’une figure familiale attachée à une éducation où les valeurs tiennent une places importantes, où les combats politiques sont de toutes les conversations, de presque tous les gestes artistiques. Un peu plus tard, Garrel rappellera qu’il fut rapproché vers la fin des 80 de Godard, Straub et Carax (occultant que sa relation amicale avec ce dernier), peut être par filiation artistique, mais plus sûrement par convergence de point de vue politique (extrême gauche assumée). Il est intéressant de noter que sa fille Lena, que l’on avait jusqu’à présent pas encore vu sur un écran de cinéma, – mais sur les planches, le théâtre étant vénéré dans la famille dans la lignée des pensées du grand père Maurice qui refusa de jouer dans Les amants du pont-neuf parce qu’il jouait sur scène, poursuit cette lignée de pensée; son engagement ne fait aucun doute, notamment pour la cause féministe, nul hasard donc à ce que Philippe Garrel ait tenu à ce que le personnage de Lena dans Le grand chariot soit une femen activiste qui en discute en grande liberté avec sa grand mère.
Obligé de travailler avec un nouveau chef opérateur (certes de la Nouvelle Vague), Garrel quitte ici sa très belle image noir et blanc qu’on pouvait admirer (pour sa beauté) comme lui reprocher (pour son côté daté incohérent avec le caractère pouvant être contemporain de ses récits), pour revenir à la pellicule couleur. Lui-même juge le résultat très réussi, dans une auto-satisfaction étonnante, précisant avec beaucoup d’humour, qu’il ne compte pas parmi les génies qui écrivent les films au montage mais bien de ceux qui composent avec les contraintes du tournage et pensent les choses de sorte à ne pas épuiser la pellicule (ainsi peut notamment se justifier son faible enclin à multiplier les prises, à l’instar d’un Clint Eastwood). Mais nous ne partageons pas forcément ce constat, la jugeant plus anodine – nous sommes très loin du soin pris par exemple sur la photographie de Mal Viver.
Le grand chariot, de notre point de vue, n’atteint pas l’intensité ni de la réflexion philosophique, ni de la beauté plastique, ni de la charge émotionnelle que l’on peut retrouver dans ses films les plus réussis. Le film ne manque pas de bons mots, de bonnes idées, de petites choses qui misent bout à bout peuvent interroger, distraire, faire passer un bon moment. Il comporte aussi une belle part de sincérité, et le casting entièrement – ou presque – constitué de la faille Garrel au quasi grand complet apporte cette touche d’authenticité et de réflexivité dont se dégage un charme certain (autre marque de fabrique du cinéma de Garrel, un côté enchanteur, un art de raconter simplement des histoires). Mais ces bonnes idées, qui font dire à certains de nos confrères étrangers que le film est si français – affirmation avec laquelle on s’inscrit en faux – puisque nous sommes si loin de Noe, Carax, Godard, Dumont, Denis, ou même Truffaut, un peu plus proche de Rohmer ceci dit-, ne forment pas un tout qui puisse élever le film et l’emmener au-delà de l’histoire intime familiale et de la transmission de valeurs élargie – certes intéressante. De fait, Garrel à user d’ellipses, et peut être aussi d’une certaine forme de faciliter s’est manqué de notre point de vue sur deux aspects principaux très liés, qui donneraient une vérité supplémentaire à ses personnages. L’interprétation en effet semble trop peu soucieuse de certains détails, et l’évolution du personnage ami de la famille vers l’échec et la folie ne bénéficie pas du soin et de la patience qu’une telle descente aux enfers aurait nécessité pour rendre vrai, interroger psychologiquement, et donc faciliter l’empathie. Les ellipses narratives, mais aussi la voit off étrangère au récit, confère au détachement, à la prise de recul, antagoniste de ce qui nous aurait semblé une meilleure idée, une immersion dans l’intime. Peut être parce que Garrel retranscrit une histoire qu’on lui a rapporté et dont il se sent plus détenteur qu’elle ne continue de l’habiter – même si la métaphore entre le spectacle de marionnettes et le cinéma, entre la comedia dell arte et Le grand chariot semble évidemment être filée – explique-t-il cette phrase qui nous vient naturellement à l’esprit à la fin du film: « Dommage » …