Sacha Guitry a réalisé pas moins d’une trentaine de longs-métrages en l’espace de près d’un quart de siècle (1935-1957). Plus étonnant encore, cet illustre et prolifique homme de théâtre, a su aussi être prolifique envers le 7ème art puisqu’il écrivit et réalisa onze de ses longs-métrages entre 1935 et 1939. Ils étaient neuf célibataires sort en salle fin octobre 1939 dans une France entrée en guerre au début du mois précédent. L’irruption du second conflit mondial stoppe pour trois ans la carrière de réalisateur-acteur de Guitry et clôt un premier chapitre dans sa filmographie.
Afin de pouvoir conquérir une comtesse russe, un aventurier mondain fonde un hospice de vieux célibataires pour venir en aide à de riches étrangères frappées par une loi mettant en cause leur résidence en France.
La contextualisation historique de la réalisation de Ils étaient neuf célibataires est importante à plusieurs titres. D’abord, dans les années qui ont précédé le début de la seconde Guerre Mondiale, la France était une terre d’accueil pour de nombreux immigrés venant principalement de l’Europe de l’Est et du Sud. Ensuite, dans Remontons les Champs-Elysées qui précède Ils étaient neuf célibataires, Sacha Guitry s’était emparé de la question migratoire mais de façon plutôt maladroite. Il transpirait de ce film réalisé en 1938 un nationalisme non feint saupoudré de quelques reflets visant à mettre en relief une nostalgie vis-à-vis d’une époque révolue et possiblement regrettée. En sous texte, l’interrogation et la critique de la politique d’accueil de la France avaient fait polémique.
Ils étaient neuf célibataires vient ainsi édulcorer un précédent métrage mal perçu tant par la critique que par le public. Sans faire amende honorable, Guitry nuance ses propos et opte pour un ton plus léger. En effet, ce long-métrage est à classer dans le rang des fantaisies. Le cinéaste appuie son scénario sur un décret tout aussi radical que fictionnel qui interdirait de territoire tout étranger présent en France ! La cadre ainsi posé va être un terrain de jeu idéal pour celui qui aimait tant scruter et dénoncer les petites faussetés du commun des mortels.
L’angle d’attaque adopté par le cinéaste est peu commun. Il inverse des rôles pourtant pressentis comme préétablis. Il met ainsi en scène de vieux Français proches de la clochardise, célibataires esseulés et rejetés par la société qui les a vu naître. Au nombre de neuf, chacun, prénommé par un prénom commençant par la lettre A, est amené à endosser le rôle principal d’un film composé de sketches interdépendants. La quête sera identique pour chacun : trouver l’âme sœur parmi une gente féminine étrangère et aisée à la recherche de la nationalité française.
En s’attribuant le rôle de médiateur entre ces deux populations poussées à se rencontrer, Guitry prolonge son rôle de metteur en scène et de directeur d’acteurs par celui de stratège, un brin malhonnête. L’exercice pratiqué à l’écran est passionnant à regarder, c’est d’ailleurs là, peut-être, l’un des principaux intérêts de Ils étaient neuf célibataires. L’autre attrait du film réside dans la composition de sa distribution. On retrouve dans le casting nombre d’acteurs expérimentés et appréciés tels que Saturnin Fabre, Raymond Aimos, André Lefaur, Pauline Carton, Sinoël, Anthony Gildès, Marguerite Moreno ou encore Marguerite Pierry.
Dans son contenu, Ils étaient neuf célibataires souffre du mal commun aux films à sketches, à savoir des segments successifs inégaux dans leur intérêt et dans leur interprétation par la troupe de comédiens convoquée. Mais rendons grâce à Guitry qui a su rendre l’ensemble sans couture apparente et ce malgré le trop grand nombre de protagonistes mis en scène. Le film n’apparaît ainsi jamais comme une simple succession de blocs narratifs. Par contre, en tant qu’œuvre corrective de Remontons les Champs-Elysées, ce long-métrage demeure ambigu, voire ambivalent. Les messages portés laissent la porte ouverte à la libre interprétation de chacun.