Grâce à Dieu de François Ozon (Fiore, Alì Blue Eyes)
avec Melvil POUPAUD, Swan ARLAUD, Denis MENOCHET, Aurélia PETIT, Eric CARAVACA, François MARTHOURET,
, Bernard VERLEY, Martine ERHEL, Josiane BALASKO,
Hélène VINCENT, François CHATTOT, Frédéric PIERROT
Alexandre vit à Lyon avec sa femme et ses enfants. Un jour, il découvre par hasard que le prêtre qui a abusé de lui aux scouts officie toujours auprès d’enfants. Il se lance alors dans un combat, très vite rejoint par François et Emmanuel, également victimes du prêtre, pour « libérer leur parole » sur ce qu’ils ont subi.
Mais les répercussions et conséquences de ces aveux ne laisseront personne indemne.
On sent dés les premiers instants du film que François Ozon cherche à rentrer très vite dans le vif du sujet, à s’y attaquer frontalement et non de biais. Les premières paroles sont nettes, incisives, le décor est planté; il s’agit de dénoncer les agissements pédophiles chez des religieux, et notamment de mettre en images une actualité brûlante qui secoue actuellement le diocèse de Lyon, et a été assez largement médiatisé, avec au centre Mgr Barbarin, accusé d’avoir empêcher la médiatisation de l’affaire (étouffer l’affaire ?) et le père
Preynat.
Le thème est cher à François Ozon, d’évidence presque personnel, il s’attaque ici à une omerta précise, datée dans le temps, d’actualité, mais l’ambition semble plus universelle, montrer les mécanismes qui se mettent en jeu face au Mal à taire, les intérêts personnels, le jeu des puissants, mais aussi les contradictions qui peuvent pousser les victimes à eux même faire le jeu de l’omerta; pour ne pas rouvrir des blessures ouvertes, pour ne pas ajouter de la douleur à la douleur, pour vivre en paix malgré tout, peut être pas avec soi même, mais avec les autres, préserver l’image.
L’intention est noble, l’ambition élevée, le sujet doublement délicat à traiter, sur le plan formel, et surtout en ce que la moindre maladresse peut valoir procès, déchirure, controverse voire polémique.
La qualité du jeu des acteurs est également cruciale à la réussite d’un tel projet, chacun est un porte-voix, et doit trouver le ton juste, l’émotion tout à la fois intense et enfouie, qui se manifeste le plus souvent par des silences, des renoncements, des abattements, des agacements, des fêlures plus ou moins visibles, allant jusqu’aux larmes ou à l’agressivité. D’une personne à l’autre, le traumatisme trouve des manifestations pouvant varier du tout au tout, et l’ensemble du casting répond justement aux attentes du directeur d’acteurs Ozon, à commencer par le premier d’entre tous Melvil Poupaud digne, retenu précisément pour son rapport à la foi. Denis Ménochet et Swann Arlaud ont aussi été choisis à dessein ; le premier est actif, déterminé, affirmé, volontiers provocateur et en guerre, le second porte sur son visage la blessure, le malaise, et fait figure d’écorché vif, qui interroge autant qu’il apitoie. Un des principaux mérites de Grâce à Dieu tient justement à nous offrir ce portrait choral.
Hélas, il semble qu’en substance, à force de se concentrer sur la bonne forme, la juste parole (empruntée à l’affaire réelle), le juste ton, le sujet finisse par se dérober au réalisateur français. Paradoxalement, il nous semble qu’ Ozon cherche avant tout à filer la parabole d’une omerta autre, celle qui entoure l’homosexualité. Le film souffre dans sa première partie d’un rythme rendu pesant par l’omniprésence de relations épistolaires. Les images semblent quasi vaines tant le récit suffit à lui même. Les mots sont pesés, réfléchis, les échanges courtois, les ressentis rentrés.
La seconde partie laisse le champ à une forme plus libre, où les douleurs personnelles prennent une place plus importante, où une mécanique humaine se met en place, une énergie réparatrice, la parole se libère. Ozon quitte alors sa casquette de journaliste – dixit lui-même lorsqu’il évoque le travail de documentation qu’il a pu faire auprès des véritables protagonistes de cette affaire – pour rentrer un peu plus dans la fiction, laisser parler ses personnages, leur donner une couleur personnelle. A notre sens, il commet ici l’erreur de s’attarder sur quelques uns des aspects au détriment d’autres. Certes certains portraits s’affinent, certes l’action s’invite, certes Ozon parvient, et ce n’est pas un mince challenge, à traduire à l’écran les ressorts d’une omerta, plus ou moins organisée, plus ou moins acceptée, plus ou moins condamnable, mais étrangement on note une résonance parfois maladroite – ainsi de l’exposition de la courbure du sexe du personnage de Swan Arlaud, complexe traumatisant mis en exergue, ainsi de certains conflits familiaux récurrents, qu’ils trouvent leurs origines dans la jalousie d’un frère, ou dans le souci de préserver une réputation, une image de parents, amenés un peu trop brutalement-.
La même impression prédomine : Ozon veut nous parler d’un sujet plus large ou plus restreint, il prend une distance trop importante avec son sujet pour nous embarquer, nous saisir. Il a beau relayer des cris, prendre soin de ne pas accuser lui même, viser le 360°, d’une manière générale rester très sérieux et appliqué, éviter en ceci le ton polémique, le pamphlet, la satyre, ou même le documentaire à charge, un aspect nous empêche de rentrer dans l’exercice de style. S’il évite l’écueil de la caméra juge, il tombe dans celui du récit qui cherche sa juste tonalité, qui ose ou au contraire s’efface pour mieux faire ressortir. Un ingrédient essentiel manque, un matériau vécu probablement, qui insufflerait une autre rage, ou une autre lueur. Grâce à Dieu nous déçoit plutôt, sans pour autant être notablement quelconque; l’exercice de style demandait de l’habilité, et nous la notons.
Comme nous relevons le fait que Canal+ ait refusé de produire le film, première pour Ozon. Ceci donne une idée du courage nécessaire pour s’attaquer à une telle entreprise, et à défaut d’être fort enthousiaste sur la réalisation en elle même, nous vous enjoignons à vous faire votre propre avis en salle !