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La Fille Inconnue : Le Détachement

Jenny Davin, jeune médecin généraliste, n’ouvre pas la porte de son cabinet à ce qu’elle croit être une patiente tardive -cette dernière sonne une heure après la fermeture. Le lendemain, elle apprend qu’il s’agissait d’une jeune fille en détresse, sans identité, qui a été retrouvée morte. Obsédée de culpabilité, Jenny n’aura de cesse de s’acharner à enquêter sur cette affaire, jusqu’à franchir la ligne et changer son destin.

Un écrin parfait pour la charismatique et impeccable Adèle Haenel

La fille inconnue n’est pas le personnage incarnée par Adèle Haenel, mais une capture de caméra de surveillance, un personnage dont personne ne connait rien -ni l’âge, ni le nom, ni la famille, ni les raisons de sa détresse puis de son décès.
Comme dans Rosetta et tant d’autre films iconiques des frères Dardenne, tout le film repose sur les épaules de l’actrice principale. Une « star » en l’occurrence. Adele Haenel se marie bien mieux à l’univers dardennien que Marion Cotillard ou Cécile de France. L’actrice trouve là son meilleur emploi depuis Les combattants. Contrairement aux deux actrices pré-citées elle n’est pas juste invitée mais fait pleinement corps -et présence- dans ce film où sa nature, brute, droite, parfois âpre fait écho à l’univers et au film des deux frères. Une autre actrice -connue ou inconnue- se serait moins intégrée au rôle. Celle qui, à ses débuts (La naissance des pieuvres, L’Appolonide) avait été comparée à Vahina Giocante pour des raisons de ressemblance physique ou de courbes voluptueuses s’inscrit aux antipodes et de cette comparaison et des plus apprêtées, « stars » et lisses De France ou Cotillard. Comme pour marquer le retour à leur cinéma, les frères Dardenne ont également fait appel à deux de leurs acteurs fétiches, Olivier Gourmet et Jérémie Rénier.

Le personnage de Jenny est quelqu’un qui contient tout, qui ne vacille pas, qui n’a peur de rien, même du danger physique. Et ce côté rigoureux, psychorigide (le personnage au début), vaillant, et plein de bravoure sans fioriture, même dans les situations les pires (le personnage après le drame), sied parfaitement à l’actrice des Combattants.

Les éléments d’un film noir, d’un polar 

La fille inconnue, dans son scénario, son suspense, son intrigue pourrait être un film noir, un polar. Le pari -relevé- du film est de ne pas être prévisible, devinable, et lorsque les masques tombent et les « coupables » se dévoilent, le spectateur est cueilli.

C’est l’histoire d’une obsession. Le docteur Jenny n’ouvre pas, ne regarde pas la caméra de surveillance par orgueil, pour tenir tête à son stagiaire à qui elle entend montrer l’exemple. Lorsqu’elle apprend sa bévue, sa responsabilité, elle change et la trajectoire de sa vie au niveau professionnel (telle une sainte voulant expier, elle va se consacrer aux plus démunis et reprendre un cabinet où accueillir les patients les plus pauvres et les plus problématiques) et sa vie privée, frôlant avec les limites. En effet, son quotidien va être consacré à savoir qui était cette jeune fille qu’elle n’a pu sauver de la mort et qui a tué cette dernière. Pour cela, elle enfreint les codes moraux et protocolaires d’une profession qu’elle révère -médecin-, joue avec les limites, fait du zèle, se confronte à des personnages violents et dangereux, doublant l’enquête de la police.  Une culpabilité obsessionnelle l’anime, et pas seulement dans la volonté de rétablir la justice, mais aussi dans le but de redonner une dignité à la morte : aussi elle lui achète une concession, des fleurs.

Tel un détective privé de film policier, elle traque tout et se confronte au glauque. Le chemin qu’elle emprunte est dangereux : en remontant la piste elle se risque au même destin et à la même fin que cette fille inconnue.

Le glauque chez les Dardenne n’est pas nouveau, et on pourrait leur reprocher d’en faire un tableau caricatural : chez les pauvres, les indigents, rien n’est beau, quand ils font de la musique, ce n’est pas de la belle musique (tiens Rosetta !), c’est forcément moyen sinon mauvais, médiocre, et ils font des choses sales, sinon ignobles dans les campings cars (tiens Rosetta encore !).

La violence et la mise en danger de l’héroïne sont bien présents, on craint pour elle, et ce sont des caméos, voire des « rôles pleins » made in Dardenne qui vont les incarner -Jérémie Rénier teint en brun, Olivier Gourmet abonné aux rôles du genre depuis La vénus noire.

Le détachement

Le côté froid, désincarné, distant, sans émotion nous détache du film et de ses enjeux : lorsque la vérité jaillit l’émotion n’est pas là. Pour faire écho à un autre maître du genre misérabiliste, qui était aussi en compétition à Cannes, Ken Loach, on se s’attache pas aux personnages de La fille inconnue, trop en surface, dont on ne connait rien, les liens -ténus- qui se lient ne sont pas assez écrits, fouillés et vivants pour qu’on s’y identifie et qu’il y ait donc un enjeu -tout au contraire de Moi, Daniel Blake, de Ken Loach donc (Palme d’or 2016). De « la fille inconnue« , on ne saura presque rien, elle n’existe pas, elle n’est qu’une photo, un nom, un prénom et quelques bribes biographiques qui ne nous permettront pas de la faire vivre en nos esprits, elle qui existe tant pour le personnage central du film -et pour un autre aussi, mais en dire plus serait spoiler l’intrigue. C’est là l’erreur du film. De même, si Jenny existe bien dans le présent du film, on ne sait rien d’elle non plus,  ni son passé, ni sa vie privée, on assiste à sa quête, mais rien ne permet de nous y attacher, confinée qu’elle est dans un présent absolu de médecin puis d’enquêteur.

Ce sont peut-être pour ces raisons que le film n’a pas touché le jury cannois millésime 2016 pas plus qu’il n’a enthousiasmé tous les critiques, alors, qu’il faut l’admettre, le film est meilleur que le primé Gamin au vélo ou le poussif Deux jours, une nuit.

A noter que lorsque quelque chose naît -une étrange pointe de mysticisme, à l’image Des silences de Lorna– la chose n’est pas fouillée, juste évoquée lapidairement, nous laissant à la surface.

Le processus et les ficelles des frères Dardenne, à l’usure, se font par trop voir -la misère sociale, une figure féminine luttant seule contre tous. On connait la chanson et les figures, le tout est trop froid, trop exécuté, sans émotion. Aussi, en dépit des qualités -une intrigue imprévisible, une actrice qui porte avec fougue et présence un film- cette « surface » et ce « déjà vu », l’inexistence de cette « fille inconnue » qui existe tant pour Jenny et les protagonistes mais pas pour le spectateur- donnent un film qui nous laisse l’impression d’une belle partie d’échec froidement exécutée, nous laissant à l’extérieur et pas touchés.

(retrouvez ci-dessous notre interview des frères Dardenne et la bande-annonce du film) : 

 

 

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