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Deux procureurs, Loznitsa tout en épure

Sergei Loznitsa propose, avec Deux Procureurs, une histoire simple, facétieuse et kafkaienne: un conte pour nous interroger avec lui sur le fascisme. Il choisit de mettre à l’écran une nouvelle russe qui rend compte du comportement des autorités et de la population à l’apogée de la période de terreur Stalinienne. Ce récit, troublant par instants par l’humour distant qu’il déploie, en contraste avec la simplicité (et l’efficacité de sa mise en scène) se montre à nous telle une énigme, résumée par le directeur de prison: « avant la révolution, [un personnage] attend en prison, après la prison, la prison l’attend », suscitant l’éclat de rire de son inférieur hiérarchique. Le film nous ouvre, dans sa scène liminaire, les portes de cette prison, qu’il refermera dans son final. Entre temps il aura suivi non seulement les pas, mais surtout la volonté d’un jeune procureur, de bien exercer son métier, c’est à dire de veiller à ce que la justice soit rendue sans erreur. Son opiniâtreté, sa patience, son approche vertueuse, son utopie d’un monde meilleur seront perçus autour de lui comme un vain combat, preuve d’une grande naïveté.

Simplement, implacablement, Loznitsa nous donne à voir trois fondamentaux du fascisme : une terreur exercée par des tyrans ; une garde zélée qui, à leur suite, installe un système broyant toute contestation ; et une population résignée, muette, cherchant avant tout à ne pas se faire mal voir — au point de regarder d’un mauvais œil quiconque risquerait de l’entraîner dans une lutte qui la désignerait comme opposante et lui ferait courir un danger. Il s’appuie pour cela sur un principe de boucle infinie, voire réflexive, kafkaienne, qui traduit la difficulté de se sortir d’un fascisme installé, mais aussi renvoie à l’enfer administratif si propre aux dictatures socialistes – et avant cela à l’esprit russe.

Le titre deux procureurs lui même comporte sa grande part d’ironie, note principale de l’ensemble, avec l’absurde que la situation renvoie (le procureur a une fonction, mais il n’a aucun pouvoir, aucun contre pouvoir, et s’il vient à en avoir, cela joue contre lui, la machine s’auto-entretient).

A noter que les organisateurs du festival de Cannes avaient eu la chic idée de projeter deux procureurs juste avant un autre film assez semblable dans sa thématique, Dossier 137 de Dominik Moll, à ceci près que l’un ausculte un passé lointain pour interroger le présent, quand l’autre s’intéresse à un passé proche.

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