Dans un futur lointain, sur une planète sauvage, Roxy, une adolescente solitaire, délivre une criminelle ensevelie sous les sables. A peine libérée, cette dernière sème la mort. Tenues pour responsables, Roxy et sa mère Zora sont bannies de leur communauté et condamnées à traquer la meurtrière. Elles arpentent alors les territoires surnaturels de leur paradis sale…
Bertrand Mandico présente volontiers After Blue (Paradis Sale) comme un western sans homme, qui serait également un film de science-fiction sans science s’intéressant à ce que pourrait être un nouveau monde, par delà la mort. Nous lui donnons raison. La structure narrative emprunte effectivement au western (une histoire de fascination, de traversée du désert à la recherche d’une dangereuse criminelle, qui fascine autant qu’elle effraie, même si on se rapproche bien plus du spaghetti que de la démarche fordienne – quoi que La prisonnière du désert de Ford en soit un point de départ revendiqué-), et l’univers visuel cherche effectivement à se draper de facétieuses évolutions qui pourraient, en tout cas Mandico les fantasme, voir le jour sur une nouvelle planète qui rebâtirait sur des bases pulpeuses, érotisantes, fantasmagoriques, un eldorado où les femmes tiendraient la dragée haute, à ceci près, que ce dernier, dessiné par Mandico et ses équipes, fait la part belle à la saleté, la moiteur, le liquéfiant, la sexualisation des corps et des paysages, mais aussi et surtout, qu’il n’aurait été que très éphémère, laissant la place à une dystopie où les femmes se livrent à des luttes fratricides, où les corpuscules laissent la place à des comportements méfiants, hypersécuritaires, et où des relents de fascisation se manifestent (en somme, un monde habité par les femmes, mais qui copie trait pour trait le pire de ce dont les hommes ont été capables sur terre). Lointain hédonisme donc dans ce paradis, sale.
L’univers proposé rappelle donc en bien des points celui des Garçons sauvages, les références littéraires y sont probablement moins classiques (on s’éloigne de Stevenson et Melville notamment pour se rapprocher de la littérature fantastique de Ballard [Crash]), pour laisser la place à d’autres influences plus à chercher du côté des arts de la BD (Métal Hurlant), des arts graphiques fantastiques (Heroic Fantasy, notamment les images de guerrières), ou encore du cinéma fantastique (La planète sauvage de Laloux et Topor, les films de John Carpenter, Michael Powell, Douglas Sirk, …)
Mandico convie son héroïne Roxy et sa maman, dans une quête qui les emmèneront de l’océan devenu cimetière de femmes ensablées, en passant par une forêt luxuriante et moite, où l’on retrouve des décors sexualisés (protubérances phalliques ou aux courbes féminines, comme béances humides) à une montagne brumeuse emplie de légendes, qui convoquent des images religieuses – croisade ou pèlerinage, voire mystiques, – on songe à Princesse Mononoke de Myazaki, tout autant qu’elles renvoient directement à l’essentiel de la filmographie de Mandico, et en premier (ou dernier) lieu, à son précédent long-métrage, Les Garçons Sauvages.
Cette continuité s’observe également, malgré le maquillage qui transforme chacune d’entre elles en un personnage bien différent d’elles même et de leur interprétation précédente, dans le casting féminin, puisque l’on retrouve de nouveau Elina Lowensohn, Vimala Pons, Agata Buzek ou Pauline Lorillard. Mandico aime en effet constituer une troupe de travail, et s’inscrire dans la continuité.
Cette aspiration à poursuivre son œuvre se note évidemment dans l’univers visuel, cette fois-ci hyper coloré, mais toujours hyper travaillé, artificiel, kitsh parfois, mais de façon totalement assumée pour conférer au récit sa dose d’hallucinogène (Mandico avoue n’aimer que le cinéma qui s’écarte de la réalité pour mieux composer un imaginaire), mais aussi dans l’univers sonore, lui aussi chiadé. Ainsi le film ouvre par un concert d’expérimentation vocales, forme de chœur de voix off, sur lesquelles viennent se superposer des portraits, décomposant littéralement le texte des corps, et laissant entendre que plusieurs dimensions cohabitent. Empruntant là aussi à Myazaki, le réalisateur poursuivra l’expérimentation sonore (tout comme il le faisait déjà sur Les Garçons Sauvages) en proposant des bruitages là aussi artificiels, en décalage, et une manière bien à lui de « colorier » le périple. (bon nombre de sons rajoutés sont des vocalises composées par Mandico lui-même).
Avec After Blue, Mandico poursuit son entreprise de cinéma-fusion, expérimental tout en essayant de trouver une voie qui lui soit propre, plus qu’il ne cherche la rupture (même si techniquement parlant il s’essaye à un format d’images, à des tonalités pensées pour contrecarrer les expérimentations précédentes des Garçons Sauvages). Il aime à composer ses films comme il composerait un poème visuel et sonore, ou un morceau musical – il se permet ici de nommer un personnage Kate Bush en hommage à la célèbre musicienne hétéroclite-, avec son équipe autour de lui (monteur, chefs op le suivent, au contraire des décorateurs qu’il épuise). Il revient ici à un projet qu’il avait commencé à écrire il y a plus de 18 ans, et qui devait compter à son casting les regrettés Kateryna Golubeva et Guillaume Depardieu (duo de Pola X), et même Tina Aumont et Maurice Garrel.
Nous avons rencontré Bertrand Mandico en sortie de la projection en Avant première d’After Blue (Paradis sale) au cinéma TNB de Rennes. Nous sommes revenu avec lui sur sa « patte » et quelques petits secrets de fabrication du film, qui fait un tabac auprès des fans.