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31 – Sous le maquillage

Présenté au Sundance Film Festival en janvier dernier, 31, le septième et dernier long métrage en date de Rob Zombie ne profitera en France que d’une sortie en VOD puis DVD prévue pour janvier 2017. Difficile de comprendre la frilosité des distributeurs à l’égard de l’un des réalisateurs les plus imaginatifs de sa génération. La Maison des 1000 morts (House of 1000 Corps, 2003) et The Devil’s Rejects (2005), ses deux premiers films, nous avaient convaincu de son talent ; ses deux remakes d’Halloween (2007 et 2009) affirmaient quant à eux l’émergence d’un auteur à l’intérieur d’une cinématographie contaminée par les effets de mode et les formules stéréotypées; enfin, avec The Lords of Salem (2013), le style de Zombie semblait avoir atteint sa maturité, parvenant à concilier une forme fournie et réflexive avec un récit épuré de tout déterminismes. Reste alors à comprendre la place qu’occupe 31 à l’intérieur de cette filmographie qui prend déjà les allures d’une œuvre à part entière.

Un univers carnavalesque

Le goût prononcé de Zombie pour le déguisement et l’esprit carnavalesque est aujourd’hui bien connu des amateurs du cinéma de genres. 31 ne déroge pas à la règle, mettant en scène le massacre d’un groupe de cinq amis le soir d’Halloween. Ce qui intéresse d’abord Zombie dans le carnaval, c’est le rite qui sous-tend ces festivités si particulières. À travers son chaos apparent, le carnaval repose sur des codes bien précis et d’abord celui de la subversion la plus totale. Premier paradoxe de cette étrange célébration : faire de l’inversion sa règle d’or.

Zombie prend ainsi bien soin de cultiver les stéréotypes, tout en signalant leur facticité essentielle. Derrière les caractères habituels du genre, la chair et le sang. Mais le cinéaste va ici plus loin que dans ses précédents films, s’amusant à coupler les iconographies les plus diverses pour mieux détourner leur efficience idéologique. La croix gammée se transforme en cible que l’un des personnages prendra soin de transpercer à plusieurs reprises. Il n’est ici que question de jeux et d’amusements. Les accents prononcés, les visages enfarinés, et les répliques (très) creuses ne prennent sens que dans les viscères exposées. Lorsque Zombie fait montre de sensibilité, à travers l’usage du ralenti par exemple, c’est pour montrer le travail brutal et implacable de la mort qui se reflète à travers les regards horrifiés de ses personnages.

En fin de compte, l’univers de Zombie pourrait se réduire au petit théâtre de marionnettes ouvrant et clôturant l’univers parallèle. Inlassablement, les pantins s’agitent et reprennent leur ronde. Cette version miniaturisée du film est aussi celle de notre monde, se confondant avec l’esprit du carnaval, soit un espace-temps régi par la bêtise la plus caricaturale. Représentation grotesque et quelque peu simplifiée, mais ô combien juste de notre propre réalité.

Choisir sa voie

En situant son action au milieu des années soixante-dix, le réalisateur révèle ses principales sources d’inspiration. Son œuvre se réfère sans cesse à l’âge d’or du cinéma d’horreur, à la génération des Romero, Craven, Hooper et autres Carpenter. Comme eux, Zombie cherche à confondre la technique filmique avec un acte pulsionnel. Il s’agit de sidérer le regard du spectateur, d’impressionner sur sa rétine un spectacle sensoriel dont l’espace ne cesse de se diffracter au fur et à mesure de l’avancée du film. Volontairement syncopé, le montage découpe au maximum l’unité spatio-temporelle des séquences. Aux corps mutilés répond celui du film dont Zombie révèle les coutures par l’exposition de son mécanisme de projection. Figées, les images défilent verticalement, rendues à leur état de photogrammes, soit une surface plane que viendra creuser le mouvement.

Par sa redondance, le principe de déconstruction peine cependant à concrétiser son effet. C’est ici, sans doute, que 31 révèle sa plus grande faiblesse. Si La Maison des 1000 morts convoquait une rupture visuelle radicale, et si la forme de Lords of Salem parvenait à retrouver l’atmosphère baroque et plénière de certains chefs-d’œuvre du muet, 31 ne parvient à trouver son style. En un instant, le clin d’œil cinéphile se substitue à l’effet clip, sans jamais affirmer la prédominance de l’un sur l’autre. En résulte une synthèse brouillonne que Zombie, espérons-le, saura rectifier dans son prochain film. Car pour l’instant, il faut bien admettre que le réalisateur semble perdu au milieu de ce tourbillon formel devenu ingérable. Cette indécision est d’autant plus dommageable que 31 tombe souvent dans le goût commun auquel il souhaitait justement échapper. À titre d’exemple, mentionnons cette scène montrant la lutte à mort entre l’une des victimes et une tueuse lourdement armée. Filmée dans un éclairage stroboscopique, la séquence agresse d’abord le regard du spectateur, les coups de lames répondant à l’intermittence frénétique de la lumière. Mais par sa durée, le procédé finit par perdre l’intensité de son choc initial. Ce qui apparaissait comme une bonne idée de mise en scène finit donc par devenir un effet lassant, plus proche de l’imagerie kitsch que d’une véritable expérimentation audio-visuelle.

Reste néanmoins de la vision de 31 quelques images marquantes. Ainsi du retour final sur le bitume de la route, attestant de la prédilection de Zombie pour les structures circulaires. C’est sans doute ici que le réalisateur retrouve la force de ses modèles (et en premier lieu le Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper). Comme la forme de la piste de cirque, l’évolution du récit exprime une circularité aliénante à l’intérieur de laquelle toute idée d’avancée ou de progression ne peut réellement advenir. Pour les personnages de Zombie, le retour à la maison est impossible. Derrière le masque, sous le maquillage, le même sourire cruel et narquois surgit toujours et encore.

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