Gilles Lellouche ne s’est jamais caché d’ambitionner, à l’instar de son ami Guillaume Canet, avant toute chose, de pouvoir œuvrer des deux côtés de la caméra. Nul hasard donc à ce que le premier fut au casting des trois premiers films du second (Mon idole, Ne le dis à personne, Les petits mouchoirs) et qu’en retour le second fut l’acteur principal de ce qui fut la première co-réalisation du premier Narco. Après s’être essayé comme réalisateur de clips fin 2000, et être passé derrière la caméra pour Narco donc, il fallut ensuite attendre une autre histoire d’amitié, avec Dujardin cette fois-ci pour retrouver de nouveau le cadet des Lellouche aux commandes, avec le lourdingue Les infidèles, quoi que l’intention en fut intéressante (proposer un équivalent des films à sketchs qui contribuèrent à la popularisation de la comédie italienne dans les années 60 – Les monstres de Dino Risi, Boccace 70 de Vittorio De Sica, Luchino Visconti, Federico Fellini, Mario Monicelli, Parlons femme de Scola, … Le grand public le considèrera véritablement comme un réalisateur avec la comédie populaire Le grand bain, autre film où l’amitié tient un rôle central, qui attira le public en masse pour son côté gentiment décalé et son casting populaire. L’acteur populaire aux allures de bon camarade franchouillard réussissait alors le tour de force de gagner en respectabilité, voire en notoriété, tout en évoluant dans sa zone de confort, le cinéma simple d’accès, divertissant, basé essentiellement sur le triptyque situation/mouvement/action. L’imaginer en compétition au festival de Cannes ne nous serait cependant jamais venu à l’esprit, car même si le festival cherche à s’écarter ces dernières années de ce qui lui a valu jadis de nombreuses critiques, l’élitisme, (mais aussi parfois le clientélisme reconnaissons-le), il nous semblait que la place d’une grande production française du même acabit que Le grand bain ne pouvait être qu’hors compétition, puisque l’intention première n’était ni intellectuelle, ni artistique, ni même de vouloir provoquer ou d’embarquer dans un univers singulier pour citer quelques critères qui nous semblent correspondre à l’image que nous nous faisons de la sélection officielle cannoise. Nous fûmes donc surpris d’apprendre la sélection de l’Amour ouf (au titre peu rassurant et prétentieux) en compétition; faisant naître en nous d’une part une forme de curiosité – serions-nous passer à côté d’un artiste ou d’un intellectuel, par lecture trop simpliste, par affiliation avec ce que l’acteur, voire l’homme « simple et sympa », en apparence, renvoie, d’autre part un a priori négatif sur la main mise que pourrait conserver de puissants producteurs français sur le plus huppé des festival cannois – car oui, hélàs, Cannes comporte aussi dans son ADN et dans sa mission une appétence pour le star system, faire naître des stars, mais aussi apporter des stars, françaises ici en l’occurrence, sur la tapis rouge, et ainsi bénéficier naturellement d’une forte exposition médiatique.
Qu’allions nous découvrir donc, nous nous le demandions, comme nous nous demandions quelle raison motivait la présence en sélection de ce qui avait tout l’air d’une grosse production à la papa, sur le papier en tout cas. Si nous révélons ici ces a priori, la raison en est qu’elle pouvait conditionner en bien comme en mal notre réception du film. L’a priori possède cette étrange vertu d’amplifier un ressenti, pour peu qu’il soit vérifié, s’en suit un jugement sévère, trop sévère objectivement, pour peu qu’il soit contrarié, il se peut que nous en venions à nous exalter plus que de bon droit. Nous nous plaçons ici en critiques, mais aussi en spectateurs.
D’autres phénomènes assez similaires peuvent venir distordre un ressenti qui se voudrait objectif, liés à des frustrations ou des contentements purement subjectifs, qu’ils soient éthiques, moraux, ou tout simplement en lien avec ce que l’on nomme, communément, le goût.
Ainsi, récemment, Quentin Dupieux, par sa paresse, nous incitait à l’imiter. Puisque son Deuxième acte ne repose sur pas grand chose, il nous semblait logique de ne pas en dire « grand chose ». L’idée plaisante de départ valant film, rester sur ce constat valait critique. Pour l’Amour ouf de Gilles Lellouche, le constat de départ est diamétralement opposé. Les première minutes du film suffisent à déterminer que Gilles Lellouche a mis du cœur à l’ouvrage, s’est lancé dans un pari et challenge personnel hautement ambitieux. Il serait très faux de dire que ce film qui frise les 3 heures ne comporte pas d’éléments cinématographiques – ou de prouesses de mises en scènes, comme cela fut également le cas chez Audiard ou Serebrennikov cette année à Cannes- qui se remarquent. Lellouche, le réalisateur, se rangerait presque dans la droite lignée du cinéma du look à ce niveau, sa caméra virevolte et cherche sans cesse à proposer un grand spectacle, à éblouir, à entraîner le spectateur dans un grand mouvement, où les effets visuels et sonores, parfois tapageurs, prédominent sur le fond, la narration, l’interprétation, ou les dialogues.
Mais comme le disait Godard, Vous me parlez de Gros plans, et de travelling mais moi je vous parle de … – on coupe volontairement pour se réattribuer la citation – quoi ?
Vous l’aurez compris, aux cinéastes qui n’ont au final pas grand chose à dire si ce n’est à réchauffer des stéréotypes, à inventer des histoires impersonnelles éculées qu’ils pourraient mettre en image, avec brio ceci dit, nous préférons les gestes plus intimes, plus poétiques, plus profonds.
Gilles Lellouche nous partage certes sincèrement la musique mainstream – de plutôt bon goût, de Cure à Prince – qui assurément le berça et le construit émotionnellement, dans son adolescence, mais mis à part cela, ce qu’il a nous dire de l’amour ne soutient aucunement la comparaison avec ce que les auteurs de la Nouvelle Vague pouvait nous en dire (cet amour Rohmerien, Truffaldien ou Godardien) ; se trouve tout autant aux antipodes de l’approche que suivirent Sautet, Oliveira, Ruiz ou même Gondry, si tant est que l’Amour Ouf visait le romantisme. Pour le situer, il serait bien davantage à rapprocher des romances à la Jean-Paul Rappenaud, à savoir qu’il s’appuie sur une histoire plutôt bien racontée, qui met en scène et suit des gens amoureux, dont les souffrances et les passions semblent peu Wertheriennes.
Mais passons sur cette appréciation de la nature de la romance, du regard posé sur celle-ci – si tant est qu’il y en ait un, qui se révélera au final une fausse piste. Passons également sur l’interprétation très quelconque des stars conviées au casting (même Chabat et Exarchopoulos nous déçoivent, ce qui est rare, pour Civil et Poelvoorde cela étant plus prévisible tant leurs personnages s’appuient sur des modèles et procédés caricaturaux qu’ils incarnent machinalement) le problème de l’Amour Ouf – outre son titre trompeur donc – ne se situe pas là, puisque cette première heure et demie de film que nous passons aux côtés d’adolescents qui se rencontrent et se plaisent quasi instantanément, le fameux coup de foudre finalement très cinématographique, se regarde plutôt plaisamment, bien aidée – renforcée – disions-nous par la B.O. et le surplus d’images qui compensent ou masquent, ce que, de façon subjective entendons-nous bien, nous attendions comme de possibles carences. Ce qui nous détache bien davantage de l’objet, relève de la nature même du film, du développement que celui-ci vient à suivre, linéairement, et surtout, de façon tracée, au premier degré, certes avec sincérité, certes avec une intention qui pourrait se défendre, nous en faire voir de toutes les couleurs. Nous faire prendre l’autoroute, d’un point A (l’Amour) à un point B (la Baston finale?), sans laisser la moindre possibilité au spectateur de s’aventurer sur des chemins moins directs, moins rapides, de se perdre tout simplement et d’y trouver le plaisir que la destination finale, peu ragoutante pour qui la pressent, ne propose pas.
Laconiquement, à la sortie de la projection cannoise, nous ne pouvions nous empêcher de tweeter: « Bon bah on a donné sa chance au produit. #lamourouf à #cannes2024 rien de ouf. Une grosse production française un calibre au dessus artistiquement parlant du Mesrine de Richet mais cela reste un film de bandits. »