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C’est mon homme : de hautes ambitions, une grande déception

C’est mon homme s’appuie sur quatre donnes hautement cinégéniques : des faits réels qu’un scénariste n’oserait inventer ; le thème de l’amnésie traumatique ; la Première Guerre Mondiale ; les Années Folles. Les faits en question (qui ont eu deux occurrences historiques à priori non abordées au cinéma, et qui ont été fusionnées fort à propos en une seule histoire ici) : un jour où la presse révèle le portrait d’un homme amnésique, Julie Delaunay semble convaincue qu’il s’agit de son mari, disparu en plein champ de bataille lors de la Grande Guerre, mais elle n’est pas la seule…

L’écriture scénaristique, la direction d’acteurs et la réalisation accouchent tristement de longueurs inutiles, de retournements de situation ou d’événements se voulant surprenants mais en réalité prévisibles, et, à l’inverse, d’ellipses là où il eût été plus pertinent de s’attarder.

Ces quatre atouts mentionnés plus haut, pourraient, même sans génie, même sans, pour ainsi dire, efforts ou dons artistiques ostentatoires et exceptionnels, donner une œuvre au moins captivante, prenante émotionnellement. Las ! Guillaume Bureau, pour son premier essai, choisit de verser dans le téléfilm de moyenne gamme, tant au niveau de la photographie, indigne du grand écran (et même pour les sériephiles, largement en-dessous du « style téléfilm » injustement reproché à Moll pour La nuit du 12) ; la musique relève du cliché le plus commun et n’emporte guère le spectateur. La mise en scène, qui manifeste la volonté et l’ambition de donner à voir des scènes et tableaux complexes, faillit étrangement. 

Le spectateur et/ou le cinéphile ne peut s’empêcher de songer au travail viscontien de Bertrand Bonello pour L’Apollonide : souvenirs de la maison close, ou, plus récemment encore, à J’accuse, reconstitution maniaque et perfectionniste (deux caractéristiques que Roman Polanski a en commun avec feu Kubrick), ou, plus anciennement mais exactement dans la peinture de la même époque le brillantissime et incontournable Chinatown. On peut aussi songer au volontairement anachronique (anachronisme concernant un seul personnage, celui de Margot Robbie, censée pourtant incarner, sans la nommer, Clara Bow). Babylon, pour rester dans les Années Folles et la comparaison à une œuvre récente.

Cependant, en faisant abstraction de la facture basique de la réalisation, l’émotion et l’embarquement associée du spectateur dans cette histoire inspirée de deux faits bien réels (ce qui, théoriquement, rajoute à l’émoi, cette stricte véracité), auraient pu, dans d’autres cas, suffire à générer intérêt et passion.  Il n’en est rien. Le choix de Karim Leklou en obscur objet du désir de deux femmes belles et exceptionnelles est discutable ; la façon dont il a été dirigé et l’absence totale de caractère de son personnage le sont malheureusement tout autant. 

On peut souligner néanmoins les efforts parfois payants de Leïla Bekhti dans un registre qui lui est rarement confié, efforts qui atteignent par moments leur but. Il existe aussi un travail en amont (chant, danse, imprégnation des femmes de classe populaire et canaille de cette époque) de la part de Louise Bourgoin, qui est à souligner. Dans l’ensemble, on peut tout de même mentionner de furtifs instants où Bureau atteint son but, où il parvient à réaliser ses intentions.

Le point décisif et ultime réside dans la fin. Celle qui peut d’ordinaire gâcher un film qu’on pensait bon ou cueillir et contredire le spectateur sceptique. Concernant C’est mon homme, nous revenons ici à la comparaison avec La nuit du 12 car le film a ceci en commun avec le film de Dominik Moll (tout comme avec Zodiac ou Memories of murder) de ne nous fournir aucune réponse finale et donc de nous laisser volontairement sur notre faim. Cela ne constitue évidemment pas un défaut (au contraire !), surtout quand il s’agit des sommets cinématographiques précités, mais ici la scène finale, qui devrait être l’acmé déchirante, impactante du film nous laisse parfaitement indifférent, ce qui s’avère fort dommageable. Non seulement pour l’issue en elle même mais aussi pour l’avis que l’on se fait de ce premier long métrange dans son ensemble. Et nous en venons à regretter de ce qu’il eût pu donner entre les mains d’un(e) autre réalisateur/trice plus rigoureux/rigoureuse, résolu(e) à en faire une véritable œuvre artistique pour atteindre ses hautes ambitions, avec, pour atout de base, les quatre caractéristiques si propices (déjà mentionnées plus haut) et qui, le disions-nous, parfois, se suffisent à elles-mêmes. 

 

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