A l’occasion du festival de cinéma rennais Travelling qui cette année nous convie à découvrir le cinéma Norvégien, avez un zoom sur la ville d’Oslo, nous avons eu la chance de rencontrer un cinéaste Norvégien d’origine Kurde, Hisham Zaman.
Le Mag Cinema (MC): Pouvez-nous raconter votre parcours ?
Hicham Zaman (HZ) : Je suis venu en Norvège, à 17 ans, avec ma famille en tant que réfugié politique. Quand j’étais enfant, Mon père ne voulait pas que je fasse du cinéma. Cinéma, les amis, la télé, traîner dans la rue, ce n’est pas un moyen de gagner sa vie: « Tu dois étudier, tu dois travailler » disait mon père. Mais ma mère m’amenait au cinéma avec mes cousins sans que mon père ne le sache. Alors j’ai vu beaucoup de mauvais films, des années 80, des séries B : Jacky Chan, Bruce Lee, Jean Claude Van Damme. Mais j’appréciais surtout les films japonais, les films de samouraï, pour des raisons artistiques. Ils avaient de la valeur à mes yeux, une valeur artistique mais je ne le savais pas encore. Le mythe, la magie du cinéma, simplement y aller, regarder l’écran dans le noir, sans être perturbé, c’était un cadeau, une découverte. Quand j’étais réfugié, je devais oublier le cinéma. J’ai du oublié le cinéma pendant des années. Alors quand je suis arrivé en Norvège, j’ai recommencé à regarder des films, j’en ai repris le goût. Je pensais à ce que mon père me disait, j’avais peur de ne pas mettre de l’argent dans ma poche, et je me destinais à devenir garagiste. Les mots de mon père raisonnaient en moi, m’influaient, je partais pour choisir une voie très éloigné de mon rêve : mon rêve c’était le cinéma. Alors j’ai senti que j’avais besoin de faire un travail pour survivre et aider ma famille. J’ai été garagiste 3 ans. Le soir, j’allais dans une association d’amateurs de cinéma à Oslo, ils étaient tous plus âgés que moi, c’était des retraités, j’étais le plus jeune. Ils avaient du bon matériel, de bonnes caméras, je les ai empruntés et j’ai fait des courts-métrages. C’est ainsi que mon intérêt pour le cinéma a continué de grandir, je participais à des concours, je gagnais des prix, et j’ai postulé à une école de cinéma que j’ai intégré en 2001 jusqu’en 2004. Je suis devenu réalisateur. Mon premier court métrage professionnel qui s’appelait Bawke, raconte l’histoire d’un voyage d’un père et son fils vers l’Ouest pour démarrer une vie meilleure, mais ils n’obtiennent pas les autorisations nécessaires pour rester et le père est alors confronté à une décision difficile pour que son fils lui puisse rester. Ce court métrage a été montré dans de nombreux festivals et a reçu de nombreux prix, ce qui était une grande étape pour moi en tant que réalisateur.
MC Qu’est ce que cela signifie pour vous être un réalisateur ?
HZ Beaucoup de réflexions, beaucoup de ressentis, d’impressions, beaucoup d’histoires à raconter. Mais il n’y a jamais assez de temps pour les histoires. J’aime ce que fais d’une certaine manière, mais je sais que la manière de s’améliorer c’est en travaillant dur. Je suis privilégié d’avoir les instruments, les équipements pour raconter des histoires.
MC Vous dîtes que vous avez été intéressés par les séries B, les films Cannon, mais vous devez avoir d’autres références ?
HZ C’est à l’école de cinéma que j’ai vu des films plus artistiques, pas seulement divertissants, mais avec une valeur artistique, culturelle. Des films qui sont restés gravés en moi et qui m’accompagnent, les films de Bergman, de Robert Bresson. Beaucoup d’entre eux figurent parmi mes films favoris, les 400 coups est mon film préféré, il m’a beaucoup ému. Pickpocket, Un condamné à mort s’est échappé, Mouchette, m’ont appris les règles du cinéma, comment poser sa caméra, comment être minimaliste.
MC Partagez-vous la vision de Robert Bresson du cinéma, le cinéma de geste, le fait de reposer sur des acteurs non professionnels ?
HZ Oui. Cela m’a inspiré, mais j’essaye de trouver mon propre langage, comme Bresson le faisait. Ses films m’ont fait réfléchir. J’utilise il est vrai beaucoup d’acteurs amateurs. J’aime quand les personnages sont proches des acteurs qui les incarnent. Cela a de la valeur. Si je dois faire des portraits de réfugiés, je préfère que ce soit des réfugiés, si je dépeins des policiers, je préfère qu’ils soient policiers.
MC Vos films évoquent des personnages qui s’échappent, fuient ou partent en voyage. Pensez-vous que pour les Kurdes c’est une nécessité de fuir aujourd’hui, ou est-ce juste parce que vous aimez les road movies que ce thème est si récurrent dans vos premiers films ?
HZ Quand j’ai fait ces films, ce qui se passait était différent. C’était un autre temps. Les êtres humains n’ont de cesse de voyager. Pour moi, ce qui est important lorsque l’on voyage ce n’est pas de traverser la frontière géographique, mais de franchir une frontière psychologique, de définir où l’on est chez soi, où l’on peut trouver la paix. Le monde est aujourd’hui beaucoup plus petit qu’hier, la situation est triste, épouvantable, mais il ne faut pas oublier par exemple qu’il y a des gens en Norvège qui voyagent au Kurdistan pour aider. Ils sont des frères et des sœurs des Kurdes qui sont entourés d’ennemis. La question du voyage est toujours intéressante du point de vue du cinéma. J’ai fait ces films en un temps où le Kurdistan était beaucoup plus libre, avec beaucoup moins de pression.
MC Pensez-vous que l’art en général peut aider à médiatiser la cause du Kurdistan ?
HZ Je pense que le cinéma a été important pour les Kurdes ces 10 ou 20 dernières années. Beaucoup de films kurdes relatent des histoires de leur passé, quand les kurdes n’étaient pas reconnus en Turquie, quand leur identité même était remise en cause. Mais aujourd’hui qu’ils peuvent parler, ils puisent leurs histoire de ce passé difficile. Je suis en Norvège, Hiner Saleem est en France, il fait des films tels que Vodka Lemon ou Kilomètre zéro, Bahman Ghobadi fait des films en Iran. Tous utilisent le cinéma comme un outil important pour mettre en lumière les ombres du passé.
MC Pour vous, la cause du Kurdistan est nécessairement dans votre cœur, mais est-ce pour vous une mission de parler de cette cause, où au contraire en êtes-vous libre en tant que cinéaste ?
HZ Je ne parle pas du Kurdistan. Je parle de gens que je connais, qui vivent en Europe, qui ont leurs histoires. Je les rencontre tous les jours. Ce sont des amis parfois, je trouve leurs histoires intéressantes, je les raconte. Vous trouverez des personnes non Kurdes dans mes films. Donc ce n’est pas une mission pour moi. Je ne représente aucun groupe. Je suis un réalisateur, si je trouve un sujet intéressant, je le partage avec les spectateurs.
MC Parlons du cinéma norvégien, y’a-t-il un seulement un cinéma norvégien ?
HZ Bonne question. Je pense qu’il y a un cinéma norvégien. J’ai aussi été un enfant du cinéma international, en allant dans des festivals comme Sundance, Cannes, Tribecca, mais je pense que le cinéma se répète parfois, ne se lance pas suffisamment de challenge, mais mon espoir est que les nouvelles générations qui sortent des écoles en Norvège ou ailleurs, feront des films plus personnels.
MC Etes-vous un enfant du cinéma norvégien ?
HZ Non, je ne pense pas.
MC Pour revenir aux questions politiques, quelle est votre vision du monde aujourd’hui, si l’on regarde par exemple les attentats de Anders Breivik, ceux de Charly Hebdo ou les exactions de Daesh ?
HZ Je pense la même chose que vous. Ce que vous pensez je le pense aussi.
Je pense que ce sont des évènements tragiques et tristes, mais je me réjouis que le monde soit éveillé et que des gens s’insurgent contre tout ce qui est contre l’humanité. Nous ne devons pas nous endormir, on doit se battre avec nos armes, les mots, les paroles, les caméras.
MC Quelques mots sur le festival travelling ?
HZ J’ai hâte de voir des films ! C’est la première fois que je suis dans un festival français pour présenter mes films et j’ai hâte de voir les réactions du public français face à mes films.
A l’occasion de Travelling seront notamment diffusés en avant première en France Before Snowfall et Letter to the King: