Un ancien aumonier militaire (Ethan Hawke), survasté par le chagrin après la mort de son fil, vient à conseiller une jeune paroissienne (Amanda Seyfried) et son mari activiste environnemental qui sort juste de prison. L’aumonier retrouve un sens à sa mission en même temps que sa santé lui joue des tours.
Le moins que l’on puisse dire avec Paul Schräder est qu’il souffle le froid et le chaud, le sulfureux et le pieux. Bien entendu, Schräder c’est pour nous – et à jamais – le scénariste des meilleurs films de Scorcese, et notamment de Taxi Driver ou Raging Bull.
Plus prêt de nous, en 2013 quelques un(e)s parmi notre rédaction avaient beaucoup apprécié The canyons, son atmosphère sulfureuse, la beauté de ses images …
C’est peu de dire que nous avions été glacés, et de façon unanime lors de la cloture de la Quinzaine des réalisateurs en 2016, par le nullissime Dog Eat Dog, dont on se demande encore comment il a pu exister tellement il sonne creux.
Alors pour ne rien vous cacher, First Reformed ne nous disait rien. Il était dans notre liste des films à voir au cas où et certainement pas dans les MBW (Must be watched). Qu’aurait donc pu venir faire Ethan Hawke par exemple dans un Dog eat dog 2 ? Rien … strictement rien… lui, qui ne s’est jamais autant révélé que dans Born to be blue, où sa prestation est non seulement remarquable, mais respectable car respectueuse, aurait-il pris le risque de s’engager dans un projet de bric et de broc ?
Voilà bien la puce à l’oreille, si Ethan Hawke en est, c’est que Schräder est revenu à une écriture plus dense, plus profonde, nécessairement.
Les quelques premières images, les quelques premiers sons nous le confirmeront. Très vite, on songe à Journal d’un curé de campagne, que ce soit le livre de Bernanos, ou le film de Bresson. En conférence de presse, outre la question à 2 cents sur le nouveau Taxi Driver – certains ont réussi à y voir un parallèle, faut pas pousser quand même ! 🙂 – un journaliste italien d’emblée a interrogé Ethan Hawke pour savoir s’il avait puisé quelques références dans le Journal d’un curé de campagne de Bresson. La question eut mieux valu à être adressée à Schräder lui même tant la référence semble évidente.
Très vite on apprécie le ton sobre, la lumière choisie, les plans précis et délicats. Très vite, on entre en empathie avec le personnage d’Ethan Hawke, qui semble sincère, droit mais aussi troublé, voire trouble. Etrangement, ou non, nous ne sommes pas si loin non plus de Sous le soleil de Satan, quand une jeune femme, incarnée par Amanda Seyfried, enceinte lors du tournage, vient à demander l’aide de cet aumônier qui s’interroge après avoir perdu son fils. Il se nouera entre eux une relation particulière, emprunte de souffre et de grâce.
La torture, la destruction, qu’elle soit physique ou mentale, occupe une place très importante dans le film; toujours dans le registre de l’auto-flagellation. Plus le récit se déroule, plus il nous apparaît profond, complexe, dans un registre interrogatif et non démonstratif. La plastique (visage comme posture) d’Ethan Hawke se prête parfaitement au doute existentiel que met en image Paul Schräder, il semble tout entier habité, souffrant, en doute, en errance.
L’un des forts de First Reformed est de parvenir à rendre non seulement crédible, mais aussi actuel, un sujet qui en apparence pourrait sembler désuet, à une époque où la question de la foi est moins centrale dans la façon de vivre occidentale.
Schräder se paie le luxe d’interroger le rapport de l’homme à la nature au regard de son rapport à Dieu.
En conférence de presse, il nous avouera que cette observation est pleinement la sienne, conscient d’avoir fait partie d’une génération dorée, qui n’a que peu connu la guerre, mais oh combien consommatrice , égoïste et destructrice.
Le sujet écologique aurait pu être un chausse-trappe, comme aurait pu l’être également le sujet terroriste qui trouve également sa place dans un récit pourtant majoritairement épistolaire, tourné sur le je.
Il n’en est rien. Au contraire, comme Dumont avait su le faire avec le sublime Hadewijch, Schräder parvient à proposer des instants de grâce, sous le sceau de la foi, de l’amour, du doute, du rapport à la mort.
Premier coup de coeur à Venise, First Reformed est selon nous un sérieux candidat au Lion d’or.