C’est l’histoire d’une femme qui s’appelle Chiara. Elle est actrice, elle est la fille de Marcello Mastroianni et Catherine Deneuve et le temps d’un été, chahutée dans sa propre vie, elle se raconte qu’elle devrait plutôt vivre la vie de son père. Elle s’habille désormais comme lui, parle comme lui, respire comme lui et elle le fait avec une telle force qu’autour d’elle, les autres finissent par y croire et se mettent à l’appeler « Marcello »
Avec Marcello Mio, Christophe Honoré trouve une occasion de se faire plaisir, à l’écriture, mais aussi et surtout au travers du dispositif. Ce plaisir, communicatif, entraîne avec lui sa muse, Chiara Mastroianni, et quelques figures du cinéma français en guest dans leur propre rôle, Nicole Garcia, Melvil Poupaud, Benjamin Biolay ou encore Fabrice Luchini.
L’ensemble surprend agréablement. Certes, le film possède bien des attributs si souvent décriés dans le cinéma français (entre-soi, qui se regarde le nombril, bourgeois, intellectualo-parisiano-centré), certes nous ne sommes pas sur une grande œuvre, ou même une œuvre profonde, mais le principe est fort ludique, le concept ingénieux et constamment renouvelé. Le travestissment de Chiara en son père certes n’obéit pas à une intention naturaliste, Honoré poursuit ce geste surréaliste qu’il a entamé précédemment, plutôt avec réussite, dans sa Chambre 212, qui valut à l’époque à Chiara Mastroianni de recevoir, pour la première fois, une récompense pour ses qualités d’actrices (elle cessait définitivement de devenir fille de) et de verser de très sincères et touchantes larmes – nous étions très ému en retour de la voir si émue. Chiara et Marcello, dans ce monde virtuel réinventés par Honoré, sont de tous les plans, ils occupent l’espace, et les esprits. En traversant ainsi la vie et l’œuvre de Mastroianni, Honoré fait appel à nos mémoires, et se sert également des souvenirs de Chiara.
Il trouve même des niveaux de mise en abîme fort intéressants, lorsqu’il fait revivre par exemple Nuits Blanches – la sélection Cannes Classics proposait d’ailleurs cette année une version restaurée du très rare Quatre Nuits d’un rêveur de Robert Bresson, autre adaptation cinématographique de la nouvelle tirée des Carnets du sous sol de Dostoievski. La métaphore du père si souvent absent qui, manqua à la jeune fille, opère avec charme, et lors même que nous en avons perçu le principe, Honoré s’amuse, une fois de plus, à l’abandonner en chemin pour trouver d’autres prismes pour rendre hommage à la filmographie de Marcello, passant même jusqu’à parodier la télévision et le journalisme à l’italienne. Le rythme de la comédie s’en trouve constamment renouvelé, et scène après scène, plan avec plan, nous attendons avec impatience de découvrir le nouveau stratagème qui permettra de raconter Marcello, sa vie, son œuvre, ses petits secrets et péchés mignons. Paradoxalement, malgré son apparente légèreté, Marcello Mio comporte sa part moins lumineuse, intrinsèque au besoin fictif de Chiara de se sentir lui.
De façon subtile, Honoré interroge la transidentité, ou en tout cas, le fait de ne pas se sentir parfaitement soi dans son corps tel qu’il est et d’aspirer, par fantaisie, fantasmes, ou nécessité vitale, à se muer. Sans aller très loin dans l’explication psychologique, il témoigne à l’écran aussi du poids que peuvent avoir les apparences dans ce sentiment. Si Chiara pourrait être tentée de se transformer en Marcello, comme il l’imagine, ne serait-ce pas au fond, car naturellement, ses traits rappellent ceux de son père, comme un visage androgyne contemplé chaque jour dans le miroir peut enlever certains repères quant à un genre parfaitement déterminé ?
Malin, disions-nous, et tout ceci, en convoquant, par petites pastilles – certes très touristiques, à l’instar du Grand Tour de Miguel Gomes, les plus grands noms du cinéma italien de Fellini, à Visconti en passant par Comencini, Zurlini ou Antonioni, pour un petit voyage en Italie au départ de Paris.