Au palmarès des Palmes d’or du festival de Cannes, à Une affaire de famille de Hirokazu Kore-eda succède une autre affaire de famille, celle proche, le Japon et la Corée sont voisins, de Bong Joon-ho. Si la Palme d’or 2018 ne nous avait guère convaincue (Affaire courante), celle de 2019, peu contestée, émerge d’une sélection officielle « excellente », voire « exceptionnelle » pour de nombreux journalistes, avis que nous ne partageons que très peu. De plus, Parasite, puisque tel est son titre, est originaire de Corée du sud. Nous sont venus du pays du matin calme de remarquables films tels que Burning en 2018 (Au brasier des délices) de Lee Chang-dong ou encore Mademoiselle en 2016 (Thriller saphique à tiroirs) de Park Chan-wook. Deux excellents longs-métrages qui ont aussi eu les honneurs de la sélection officielle du festival de Cannes mais, faits incompréhensibles, sans obtenir le moindre prix. Le rendez-vous était donc pris avec Parasite, chef-d’œuvre en puissance.
Toute la famille de Ki-taek est au chômage, et s’intéresse fortement au train de vie de la richissime famille Park. Un jour, leur fils réussit à se faire recommander pour donner des cours particuliers d’anglais chez les Park. C’est le début d’un engrenage incontrôlable, dont personne ne sortira véritablement indemne…
Parasite est précédé d’une première promesse. Bong Joon-ho renoue en effet avec la réalisation d’un film entièrement filmé en Corée et en coréen. Ce long-métrage rompt donc avec ses prédécesseurs Okja (2017) et Snowpiercer (2013), deux superproductions américaines qui ne nous auront pas laissé de souvenirs impérissables. Le cinéaste renoue aussi avec son acteur fétiche Song Kang-ho avec qui il signe ici sa quatrième collaboration après Memories of murder (2003), The host(2006) et Snowpiercer.
Son personnage, Ki-taek est le patriarche de la famille Kim composée de quatre membres, tous sans emploi. Une situation précaire que les Kim vivent avec un certain détachement. Sans colère, sans apitoiement sur leur sort, les Kim paraissent d’emblée sympathiques. Pour sa part, la famille Park vit dans une vaste demeure luxueuse et répond à la même composition en plus jeune : deux parents et deux enfants (un garçon et une fille). Là encore, les Park dont l’unique trait de caractère notable est la cupidité n’est nullement antipathique. Leur cupidité facilitera les plans des Kim tout autant que l’écriture du scénario. Au final, la micro-société formée par ces deux familles parait si lisse qu’aucun effet manichéen ne peut être détecté.
L’intrusion de la famille Kim chez les Park figure sur l’affiche du film où les quatre membres Kim encadrent déjà les Park. Voilà ainsi les Park parqués. A moins que cet « encadrement » fasse figurer des Kim repoussés sur les bords du cadre, comme périphériques et prémonitoire peut-être à l’épilogue de Parasite. Cette peinture des oppositions sociales paraît placée sous l’influence de La servante (1960, Au service d’un nouveau cinéma coréen) de Kim Ki-young. Dans ce célèbre film coréen, une femme de chambre semait le trouble dans le foyer bourgeois qui l’employait. Pour Bong, les servants répondent au patronyme Kim et le titre du film ne doit pas être pris dans sa connotation négative occidentale. En coréen, l’idéogramme « parasite » renvoie aux notions de coexistence et de cohabitation. Cette signification originelle rend caduque les interrogations sur un titre laissé au singulier et vaine la recherche de parasites dans l’un et/ou l’autre clan.
Ainsi, Parasite tient plus de la comédie que de la satire sociale. L’enchaînement des faits laisse peu de doutes sur la réussite de l’entreprise menée par les Kim. La première partie du film se révèle donc assez mécanique, un brin prévisible et frôle même la répétitivité. L’absence de plan B chez les protagonistes ne sera jamais préjudiciable. Une fois les objectifs des intrus atteints, la farce vire au drame. Le film devient plus intéressant car enfin surprenant jusqu’à un épilogue dont l’improbabilité trouvera un écrin parfait, celui d’un rêve.
Parasite se révèle plus convaincant dans la mise en scène précise choisie par son auteur. Dans Snowpiercer, Bong avait fait figurer les classes sociales sur le plan horizontal d’un train. Ainsi, la traversée des wagons par les protagonistes en direction de la tête du convoi se doublait d’une progression dans la hiérarchie sociale. Dans Parasite, le cinéaste coréen procède plus classiquement par une mise en scène axée sur la verticalité comme en 2000 dans Barking dog (Originale comédie douce-amère).
Chez les infortunés Kim, les espaces sont restreints dans l’entresol à hauteur de caniveau qui leur sert de domicile. Ces espaces exigus confinent à l’impasse et sont propices aux événements naturels quand la malchance vient s’ajouter au malheur. Le contraste est saisissant avec les grands espaces offerts par la maison luxueuse des Park située sur les hauteurs de la ville. Parasite est un film de cloisonnement mais dont les scènes en intérieur offrent très souvent une vue sur l’extérieur et des cadrages sophistiqués.
Pour la famille Kim, l’accès à une société dont elle semble tenue en périphérie passe par l’élévation à l’image de cet accès wifi trouvé à hauteur de plafond de leur entresol. Les déplacements observés chez les Kim sont de deux ordres. Aux déplacements vers le haut (intrusifs) leur permettant de rejoindre les Park viennent s’adjoindre des mouvements vers le bas (libératoires). Se jeter au sol ou descendre dans un sous-sol seront des déplacements de protection. En cela, l’unique déplacement durant lequel nous verrons les Kim rentrer chez eux et donc regagner les quartiers bas de la ville en dévalant des escaliers (métaphore des niveaux sociaux) est caractéristique. Ici, Bongprivilégie un filmage en plans larges sur lesquels les membres de la famille Kim paraissent minuscules, redevenus périphériques et insignifiants.
La parabole est signifiante. Il y a l’ascension sociale puis la descente aux enfers. Une descente vers les quartiers bas comme une pluie dont l’eau qu’elle charrie ira naturellement inonder les points bas et les entresols de la ville. Bong a beau invoquer Claude Chabrol et Henri-Georges Clouzot, nous n’avons vu dans Parasite ni une intrusion dans une famille à la hauteur de Que la bête meure (1969) ni une noirceur comparable à celle d’un film comme Le corbeau (1943, Oiseau de mauvais augure ?). Parasite s’inscrit plus dans le constat que dans la critique. Ce n’est donc pas le chef-d’œuvre tant espéré mais seulement un bon film grand public et divertissant. Voilà qui chez nous pourrait mettre en berne (comme les Park sont bernés par les Kim) une sélection officielle cannoise jugée « exceptionnelle ».