Un scénario, une centaine d’heures de rushes (sur plus de mille pellicules) et un montage d’une quarantaine de minutes réalisé par Orson Welles, tels sont les éléments restés longtemps inexploités issus d’un projet cinématographique à la genèse compliquée et conflictuelle (Orson Welles, réalisateur-monteur) : The other side of the wind. Visible depuis le 2 novembre sur le réseau Netflix sous le titre De l’autre côté du vent, le « dernier » film inachevé de Welles bénéficie enfin d’un montage « achevé ». Au générique, le cinéaste est crédité au montage au côté de Bob Murawski.
Un accident de voiture mortel. Au volant, Jake Hannaford qui fêtait, en cette soirée du 2 juillet, son anniversaire. Le réalisateur vieillissant faisait alors son come back à Hollywood après des années d’exil en Europe.
En ce 2 juillet, Jake Hannaford fête ses soixante-dix ans. Son ultime anniversaire puisqu’il perdra la vie dans un accident de voiture le soir même. De l’autre côté du vent commence donc par la mort de son personnage principal… comme Citizen Kane (1941). John Ford campe ce personnage entre Ernest Hemingway, mort également… un 2 juillet, et Orson Welles, cinéaste de retour à Hollywood après un long exil en Europe et décédé en 1985… à l’âge de soixante-dix ans. Il y a sans nul doute une part autobiographique du cinéaste dans ce personnage de J. Hannaford, dont le passé d’exilé ne relève pas que de la fiction. Et si Welles considérait Monsieur Arkadin (1955) comme le plus autobiographique de ses films, De l’autre côté du vent n’en esquisse pas moins un autoportrait à peine déguisé.
Respectueux du scénario coécrit par Welles et Oja Kodar, le film démarre ainsi sur la photographie d’une voiture accidentée commentée par une voix off qui n’est pas celle attendue. Welles ne l’ayant jamais enregistrée, Peter Bogdanovich assure la lecture des premières lignes du scénario qu’il prolonge par la présentation de son personnage, Brooks Otterlake. Au sein d’un casting XXL, le réalisateur de La dernière séance (1971) est l’un des rares acteurs jouant son propre rôle, en l’occurrence celui d’un jeune réalisateur prometteur.
Nous ne saurions trop conseiller nos lecteurs de prendre connaissance du casting avant de visionner De l’autre côté du vent. Parmi les multiples personnages, on reconnaît sans peine Claude Chabrol et Dennis Hopper dans leur propre rôle. Mais, faute d’être présentés, d’autres protagonistes sont moins facilement identifiables. Sans envisager d’en faire la liste exhaustive, notons la « présence » de la critique américaine de cinéma Pauline Kael (Susan Strasberg), de Paul Mazursky dans son propre rôle, du biographe britannique Charles Higham (Alan Grossman). Pour sa part, une jeune actrice blonde semble être le possible double de Cybill Shepherd alors épouse de Bogdanovich. On croit reconnaître aussi le directeur de la Paramount Pictures Robert Evans ainsi que le scénariste John Milius.
Tous ces personnages entourent Hannaford et jouent de leur proximité intéressée avec le cinéaste. Il faut voir ici une critique à peine voilée de Welles envers la sphère hollywoodienne qui l’a poussé à un long exil européen. Enfin, si nous accolons les qualificatifs dense et complexe à la distribution interlope convoquée, il est difficile de ne pas utiliser les mêmes termes pour qualifier le montage proposé. De l’autre côté du vent relève plus d’un essai de construction que d’un film au sens classique du terme.
Quand Welles était interrogé sur ce qu’était une bonne scène ou un chef d’œuvre, il répondait toujours que c’était un « accident » provoqué dans l’étape essentielle du montage du film, ultime écriture de celui-ci. Alors que De l’autre côté du vent démarre par la photo d’un accident, celui-ci est-il annonciateur d’un chef d’œuvre ?
Article en trois parties :
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- Orson Welles, réalisateur-monteur
- Souffle accidentel ?
- En attendant le « director’s cut »