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Pour qui Renaud a écrit « P’tite conne » ?

Renaud - P'tite conne (live)

Dans P’tite conne, une de ses plus belles chansons, Renaud s’adresse à une jeune femme décédée suite à la consommation de cocaïne. Mais cette petite conne n’était pas tout à fait anonyme, au contraire : il s’agissait de Pascale Ogier.

Pascale Ogier était à la fois enfant du sérail, muse de Rohmer, icone novö, clubbeuse branchée du monde de la nuit dans sa grande « époque » -celle du Palace- proche d’Alain Pacadis,

« Fille de »

Elle était la fille de Bulle Ogier et l’ami de sa mère n’était autre que le grand cinéaste Barbet Schroeder. Dès l’âge de 10 ans, elle tourne pour André Téchiné dans Pauline s’en va. Elle entame ensuite des études de cinéma qu’elle va laisser pour se lancer dans le métier d’actrice.

Premiers rôles et excès

Son premier rôle sera dans le deuxième film d’un certain Jean-Claude Brisseau, alors soutenu par Eric Rohmer. Ce dernier est, par ailleurs, le voisin de Bulle Ogier, et il a vu grandir Pascale. Il lui offre son second rôle dans Perceval le Gallois.

A la même période, elle rencontre le tout jeune cinéaste Jim Jarmush, avec qui elle noue une relation pour ensuite former un triangle amoureux avec le directeur artistique Benjamin Baltimore.

Pascale Ogier intègre alors un mythe, qui n’est pas cinématographique : celui de la « branchitude » du début des années 80, fait d’endroits mythique -le Palace, les bain douche- et de personnages qui sont devenu légendes grâce à cette période si spéciale ou dont l’aura y sera sans cesse attachée. Ogier fait ses nuit blanches au Palace avec Eva Ionesco, Christian LouboutinAlain Pacadis,  Thierry Ardisson, Pauline Lafont et la mère de celle ci, Bernadette, Pascal Greggory,  Elli Medeiros ou Virginie Thévenet, ou même Roland Barthes. Des nuits plus belles que les jours de certains, des nuits si branchées, si droguées

Muse des plus grands

Eric Rohmer continue de travailler avec la jeune actrice, et lui offre, en 1979, un rôle au théâtre des Amandiers dans une nouvelle traduction française qu’il a faite lui même de La Petite Catherine de Heilbronn. En 1981 elle consigne le scénario du Pont du Nors, réalisé par Jacques Rivette et joue dans le film, aux côtés de sa mère. Sa prestation lui vaut d’être reconnue aux États-Unis comme un espoir du cinématographe.

En 1983, Ken Mac Mullen, se confrontant au style de Jacques Rivette et de Jean-Luc Godard, lui confie un des deux principaux rôles de Danse fantomatique (en), moyen métrage expérimental tiré d’une Traumdeutung et une psychanalyse jungienne réinventées par Jacques Derrida, qui y joue face à une Pascale Ogier spectrale  son propre personnage pérorant sur la dématérialisation de la voix et de la communication : « le cinéma est une fantomachie (…) un art de laisser revenir les fantômes (…) Cinéma plus psychanalyse égale science du fantôme. » Elle même, ex étudiante marquée par la lecture de Rose poussière de son ami Jean-Jacques Schuhl, est férue d’écriture cinématographique avant-gardiste.

 

A vingt quatre ans, elle maîtrise la diction apprise de Marguerite Duras, celle là même que sa mère imitait à l’instar d’Emmanuelle Riva dans Hiroshima mon amour.

En 1984, Éric Rohmer, qui a eu le loisir de l’inviter souvent avec d’autres adolescents et d’étudier cette jeunesse affranchie tant de la morale que des idéologies, promise à un avenir sans difficultés sinon sentimentales, lui confie le rôle principal d’un film existentialiste sur l’éternelle histoire d’amour et de mort que l’impossible désir pour l’autre fait rejouer à la génération növo (post punk) des années 80, Les Nuits de la pleine lune.

Comme le réalisateur représente, la comédie que les enfants de la bourgeoisie contemporaine se jouent à eux mêmes et la manière qu’a une jeune femme de se mettre en scène dans sa vraie vie, il confie à l’actrice elle même le soin de choisir ses tenues dans sa propre garde robe et les accessoires du décor dans son environnement. Par une mise en abyme imperceptible, il fait de son personnage une décoratrice.

C’est également Pascale Ogier qui fait découvrir à Éric Rohmer les performances monmartroises des 120 Nuits et le disque Rectangle d’Elli et Jacno, dont les chansons électroniques, légères et justes à la fois, serviront d’illustration sonore.

Le personnage à la voix fragile et si singulière qu’elle interprète, Louise, partage sa vie entre deux hommes, le jour dans une ville nouvelle de la banlieue avec un compagnon, interprété par Tchéky Karyo, dont elle s’éloigne inexorablement jusqu’à ce qu’il se résigne à la quitter, et la nuit à Paris même avec un confident chaste tenu au rôle d’ami et accompagnateur, qu’incarne Fabrice Luchini. A la dernière scène, l’héroïne disparaît seule dans la nuit parisienne. Le film fait près de six cent mille entrées et Pascale Ogier devient une actrice reconnue, par le public et la profession. En septembre, son interprétation, dans laquelle elle semble jouer la femme qu’elle est à la ville, lui vaut la Coupe Volpi pour la meilleure interprétation féminine à la Mostra de Venise. Le prix lui est remis par le cinéaste qu’elle révère′ 3 lui même, Michelangelo Antonioni.

Cocaïne et arrêt du cœur

Elle commence le tournage d’Elsa, Elsa, film de Didier Haudepin dont elle incarne le personnage principal. Le 17 octobre, elle prend part à une réception officielle à l’Élysée en l’honneur de l’industrie de la mode, en présence du président Mitterrand, de grands couturiers et de d’artistes célèbres. Sept jours plus tard, est diffusée une interview filmée au début du mois pour l’émission Cinéma, Cinémas où elle évoque avec pudeur une sexualité sombre faites de « choses physiques aussi, beaucoup… Je rêve beaucoup de ça. (…) les histoires d’amour (…) C’est ma fatalité, je crois… Pour toujours. »

Le lendemain à l’aube, deux mois et demi après la sortie des Nuits de la pleine lune, elle est prise d’une crise d’angor, comme cela lui était déjà arrivé, au sortir d’une soirée au Palace chez un ancien partenaire d’excès adolescents. Celui ci ignore qu’elle souffre d’un souffle au cœur, trace d’une malformation cardiaque congénitale, et tarde à alerter les secours. Elle meurt sur place des conséquences d’une ischémie myocardique dégénérée en hypoxie générale à la veille de son 26e anniversaire, quatre jours après François Truffaut. Le soir même a lieu l’avant première de son dernier long métrage, Ave Maria, dont elle ne connaîtra pas le destin scandaleux. Ce n’est que des années plus tard que les médias français évoqueront une overdose qui aura décompensé sa cardiopathie.

Marguerite Duras, amie de sa mère, rend hommage à l’image de grâce laurencine qu’elle aura porté à l’écran et à la ville : « On mesure chaque jour davantage à quelle profondeur la mort est allée chercher sa proie. Mais cependant qu’elle frappe, la grâce de la jeune fille se répand encore dans la ville. » Lio la remplace dans le tournage d’Elsa, Elsa. En février, lors de la Nuit des César, elle est citée à titre posthume, honneur qui n’avait jamais été rendu qu’à Romy Schneider, au rang des meilleures actrices, le prix étant remporté par Sabine Azéma. La poétesse Huguette Champroux fait lire par Michael Lonsdale un Chant pour Pascale sur France Culture.

Et ainsi, Renaud, dans son album Mistral gagnant lui consacre une chanson où, sans la nommer, il l’appelle affectueusement « P’tite conne » tout en fustigeant la drogue, la bande des amis branchés et « ces charognes de dealers », et Jim Jarmusch, qui avait le projet de tourner avec elle, lui dédie son film Down by Law.

Célébrée dès le lendemain de sa mort par le critique Alain Pacadis, la comparant à ce que fut Anouk Aimée dans les années soixante pour une Nouvelle Vague finissante, comme l’icône növo des années quatre vingt, elle est devenue, trente ans plus tard, une figure de roman.

 

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