Né en 1939 à New York, c’est à Los Angeles que Michael Cimino s’est éteint ce 2 juillet 2016. De sa carrière, il reste de nombreuses images qui ont marqué à jamais la mémoire des cinéphiles du monde entier.
Un réalisateur « hors-normes »
Forme de la nécrologie oblige, il convient de rappeler les débuts de Cimino. Des études d’art et d’architecture, puis d’arts dramatiques, le mènent à réaliser quelques films publicitaires qui lui permettront d’obtenir une carte d’entrée pour Hollywood. Comme bon nombre de réalisateurs, Cimino se fait d’abord remarquer comme scénariste. Son nom apparait au générique de Silent Running (1972), l’excellent film de science-fiction de Douglas Trumbull, et de Magnum Force (Ted Post, 1973), second épisode de la saga des « Dirty Harry ». C’est sur le tournage de ce dernier film que Cimino rencontre Clint Eastwood qui, un an plus tard, interprétera le rôle principal de son premier long métrage, Le Canardeur (Thunderbolt and Lightfoot, 1974), film de casse à l’atmosphère mélancolique. Le personnage de « Thunderbolt » inaugure la lignée des héros brisés que Cimino n’aura de cesse de représenter dans ses films : Michael (Robert De Niro), le soldat de Voyage au bout de l’enfer (The Deer Hunter, 1978); James (Kris Kristofferson), l’ancien shérif de La Porte du paradis (Heaven’s Gate, 1980); Stanley (Mickey Rourke), le policier de L’Année du dragon (Year of the Dragon, 1985); Salvatore Giuliano (Christophe Lambert), le gangster historique du Sicilien (The Sicilian, 1987); jusqu’à « Blue » (Jon Seda), le jeune indien poussé au crime de The Sunchaser (1996), son dernier film. Comme eux, Cimino cultive le trouble, joue avec ses propres limites afin de repousser celles du système. La fin est souvent tragique, l’aventure pleine de rebondissements. En 1980, La Porte du paradis marque pour lui et pour le « Nouvel Hollywood » un point de non retour : désastre financier pour la United Artists, le film fait de Cimino une persona non grata à Hollywood (Steven Bach, alors vice-président de la United Artists rend compte avec détails des conditions de la production du film dans son ouvrage Final Cut. Dream and Disasters in the Making of Heaven’s Gate). Tronqué d’une heure dans un nouveau montage réalisé par Cimino lui-même, il faudra attendre 1988 pour que le film soit présenté en France dans sa version intégrale (rappelons qu’en 2014, la maison d’édition Carlotta nous a gratifié d’une magnifique restauration du film en Blu-ray). Cet échec légendaire est d’autant plus dur à encaisser que deux ans plus tôt, Voyage au bout de l’enfer avait permis à Cimino de s’affirmer comme l’un des réalisateurs les plus habiles de sa génération (le film remporte cinq oscars dont ceux de la meilleure mise en scène et du meilleur film).
« Golden boy » déchu, Cimino apparait, à l’instar de son immédiat contemporain Francis Ford Coppola, comme l’un des plus dignes représentants de l’artiste maudit version Hollywood. Là où un Kubrick avait su jouxter à ses ambitions esthétiques une conscience commerciale nécessaire à sa survie artistique, Cimino n’aura de cesse de mettre en scène son propre échec. Un peu à la manière de Michael (Mickey Rourke), le criminel de La Maison des otages (Desperate Hours, 1990), Cimino semble jouer avec le temps, pris à son propre piège à l’intérieur d’un espace clos dont il n’a jamais cessé de chercher à déjouer les règles.
Amérique(s)
Si Voyage au bout de l’enfer sut surprendre le public et la critique de l’époque, c’est que la guerre du Vietnam promis par son synopsis n’apparait finalement que comme un élément d’un plus vaste ensemble. Ce qui intéresse Cimino, c’est la réalité américaine que dissimule l’échec du conflit. Cette Amérique, le réalisateur ne cessera jamais de guetter son horizon dont la perte apparait toujours comme irrévocable. L’oubli des valeurs dont la nation américaine est porteuse est justement ce qui pousse ses personnages à la révolte. Le shérif finit par défier l’ordre, tandis que la justice se déporte du côté des exactions du gangstérisme, plus justes que les actes plus ou moins légaux menés par les institutions dirigeantes.
Insoumis, Cimino ? Sans doute. Nostalgique ? C’est certain. Mais chez lui, cette nostalgie prend la forme d’un romantisme vaincu, sorte de poème sublimant la grâce de la perte. Voilà ce qu’il y a de plus intéressant dans le cinéma de Cimino : cette certitude qui ne cesse de s’écorner à travers ses propres paradoxes. Le mythe n’en apparait que plus beau encore.
Pour les lecteurs qui chercheraient à en savoir plus sur ce réalisateur définitivement à part, on ne peut que conseiller la lecture du très bel essai de Jean-Baptiste Thoret relatant son voyage avec le cinéaste, Michael Cimino. Les voix perdues de l’Amérique, publié en 2013, aux éditions Flammarion.