A l’occasion de la sortie de Vie Sauvage, nous nous sommes entretenus avec son réalisateur Cédric Kahn, à qui l’on doit aussi, entre autres, l’Ennui, Roberto Succo ou Les regrets. Nous évoquons bien entendu le film, mais au détour, il est beaucoup question de cinéma, de cinéphilie et de… Mathieu Kassovitz !
Connaissiez-vous les frères Dardenne [NDLR qui co-produisent le film] ?
Non je ne les connaissais pas. On les a sollicités comme coproducteur et ils étaient intéressés. Cela s’est fait très naturellement, leur intervention est très légère, une ou deux discussions sur le scénario, et puis voilà … C’était vraiment de la coproduction mais c’était très agréable.
Pourquoi avez-vous choisi de mettre ce fait divers à l’écran ?
Je trouvais l’histoire incroyable. Il y avait une richesse et des possibilités de cinéma tout azimut, dans le drame que vit cette famille. J’étais convaincu qu’il y avait de quoi faire un film très émouvant. Il y a des éléments de cavale, de western … C’est un mélange de mélo et de western pour moi.
Pourquoi avoir raconté l’histoire sous l’angle de la cavale du père et des enfants justement ?
Le fait divers c’est la base. Ces éléments de cavale sont dans leur livre à eux. Parce qu’ils sont les seuls témoins de leur cavale. Autant la recherche de la mère a été médiatisée, autant l’adhésion des fils au projet du père a été surmédiatisée lors du procès, autant ce dont ils sont seuls dépositaires c’est la cavale, les mois, les années passées à échapper, à se planquer, à changer d’identité, à vivre comme des clandestins.
Une chose importante que je tiens à dire est que le père n’a jamais été accusé de kidnapping ou d’enlèvement et ne peut pas l’être car on ne peut pas kidnapper ses propres enfants. Dans les journaux, la terminologie est totalement impropre. Ce dont il a été accusé par la Justice, par les tribunaux, c’est de « Non présentation de soustraction d’enfants », c’est le terme juridique précis. D’ailleurs dans le film il y une scène très ambivalente qui raconte beaucoup de choses pour moi, c’est le moment où il explique au grand fils qu’il ne le prendra pas. S’il avait pris ce « grand » fils qui n’est pas le sien, c’eut été du kidnapping. Je pense que c’est pour çà qu’il ne l’a pas pris. On voit bien que ce gars, bien qu’étant un marginal, et un hors-système connaît bien le droit ; On le voit dans ses lettres et les injonctions aux différents juges que c’est un légaliste et un procédurier ;
Ont-ils vu le film ?
Bien sûr ! Je m’étais engagé à ce qu’ils le voient en premiers. Ils l’ont vu tous les cinq. Ils se trouvent plus ou moins bien desservis par le film. Si je me mets à leur place, je trouve que c’est une expérience incroyable que de se retrouver face à sa propre histoire racontée et incarnée au cinéma.
Ils ont acceptés d’être cités au générique. Tous sur le même carton, ce qui était ma demande. Aucun d’entre eux n’a demandé de changements, pas une phrase.
Mathieu Kassovitz, une évidence pour vous?
J’y ai pensé assez vite, mais j’ai mis beaucoup de temps à lui proposer le rôle. J’ai hésité. Parce qu’il refuse quasiment tous les films, c’est compliqué donc …. Il dit à peine qu’il est acteur finalement. On est passé par tout un tas d’idées de casting qui ne me paraissaient pas évidentes. Pour moi, Kassovitz c’était l’évidence. Je me suis dis « allons lui proposer » et il a pris le projet très vite en fait. Cette évidence est devenue aussi une évidence pour lui.
Il y a des points communs dans leur radicalité d’ailleurs…
Oui. C’est pour ça que j’ai pensé à lui ! D’abord je le trouve excellent comédien. D’une part je trouvais qu’il y avait cette possibilité que lui s’identifie au personnage, mais je pariais aussi sur la possibilité que le public l’identifie au personnage. C’est lui dans son tempérament, et effectivement, sur ça, j’avais raison ! Tout de suite il a pris le rôle, il s’y voyait.
Avez-vous eu besoin de le diriger ?
Je ne sais jamais répondre à cette question sur la direction d’acteurs. Parce que pour moi la direction d’acteurs c’est tout, c’est comment on se dit bonjour le matin, le costume que l’on convainc l’acteur de porter. Ce n’est pas juste au moment où l’on tourne. Donc en tout cas, je l’ai convaincu d’être ce personnage là. Par contre l’univers du film est très très loin de lui. Je pense qu’il n’avait jamais joué ça et qu’il ne le rejouera jamais.
Vous êtes de la même génération …
On a le même âge.
Vous l’aviez déjà croisé ?
Absolument pas. Je ne le connaissais absolument pas.
Et vous saviez ce qu’il pense de vous comme cinéaste ?
Je sais qu’il ne pense que du mal de tout le cinéma français donc … Je ne me suis pas aventuré à lui demander ce qu’il pensait de moi ! (rires) Je trouvais ça trop risqué ! Il y a deux ans aux Césars, il a tweeté : « J’encule le cinéma français ! » Je mes suis bien gardé de lui demander ce qu’il pensait de moi, comme je fais partie du cinéma français. Que je le veuille ou non ! (rires)
Le choix de Céline Sallette était-il également évident ?
Oui. La chance que j’ai eu sur ce film c’est d’avoir les numéros un de ma liste. Elle était en tête. J’avais d’autres possibilités hein … Comme on dit, « on garde quelques cartes sous sa manche » … Je la voulais pour des raisons presque évidentes en voyant le film mais que je veux bien expliquer. Elle a une qualité évidente : elle peut vraiment jouer deux âges, la jeunesse et la femme qui allait traverser des épreuves. Je trouve qu’elle raconte beaucoup de choses. C’est une fille qui est très changeante physiquement. Elle peut raconter beaucoup d’histoires. Quand même cette fille là, si on la voit très peu elle change. Dans le flashback, c’est une femme, quand elle quitte le campement c’est une autre femme, et quand on la retrouve à la fin, sans dévoiler la fin, c’est encore une autre femme. C’est une femme à multiples visages. Quand on la voit à la fin, on voit vraiment sur son visage les onze années de séparation, le poids de la douleur. Moi je trouve ça incroyable. J’air rarement vu une actrice raconter le « off » à ce point là. Elle rentre dans la pièce et on peut reconstituer tout ce qu’on a [ ?]
On n’a pas cette même impression avec le personnage joué par Kassovitz …
Ce n’est pas du tout la même trajectoire parce que pour moi c’est un personnage qui ne bouge pas, il est inamovible, c’est ça que définit l’histoire, si lui bougeait tout ça n’arriverait pas, c’est un personnage campé sur ses convictions et qui n’en démord pas. Pour moi, ça me paraissait très logique qu’il change … Lui Mathieu, il aurait voulu faire des changements de costumes, de machins de barbe, de cheveux, les cheveux lâchés, pas lâchés. Je lui ai dis « Non, non, tu ne dois avoir qu’un seul look du début à la fin du film ». C’est la pierre angulaire de cette histoire. C’est notre regard sur lui qui change, lui ne change pas, inamovible dans ses convictions. Votre regard a changé parce que vous vous êtes identifiés aux enfants en fait. C’est ce que je voulais. Ca marche exactement comme je voulais. C’est le regard des enfants sur lui qui a changé, lui ne change pas. Le seul changement c’est qu’il a des habits de plus en plus usés, parce qu’on avait fait le raisonnement qu’il portait toujours les mêmes et donc les habits prenaient des années. Au départ, il est le héros des enfants, c’est ce que j’appelle le temps de la fusion. Et puis après il y a le deuxième acte, qui est le temps de la rébellion, de la remise en question. Au-delà de l’extraordinaire de l’histoire, c’est presque banal. C’est l’histoire d’un enfant qui grandit.
C’est un peu le propre de l’adolescence.
On est dans un contraste un peu particulier car on voit que ces enfants souffrent de la clandestinité, du mensonge, et même si c’est peu dit, de l’absence de leur mère et de leur grand frère. Voilà, il y a une déchirure quand même. Même si… il y a beaucoup d’amour pour leur père mais je trouve que dans les temps forts de la rébellion on ne remet jamais en question l’amour qu’il y pour leur père. Mais par contre, il y a une souffrance qui s’impose.
Ce film a une dimension personnelle pour vous?
Non. Mais bizarrement on se raccroche parfaitement quand on fait un film qui n’est pas personnel. On se méfie moins (rires).
Feux rouges, une vie meilleure, vous aimez la fugue quelque part.
Il parait. Psychanalyse de journaliste ! Il n’y a qu’au moment des interviews où je suis dans cette posture de devoir faire les liens entre mes films. Moi je ne le fais pas. Je suis comme le personnage, je me fuis moi-même ! J’essaye toujours de surprendre, de raconter des choses nouvelles… Et puis voilà il y a des récurrences … Ca fait peur ! (rires)
Dans une vie meilleure c’est pareil, il y a une continuité …
Ils ont un rêve conformiste dans Une vie meilleure. Leur piège c’est ça, leur rêve d’entreprise, leur rêve d’entrepreneur, ce sont des victimes du système et ils vont s’en émanciper. Là il a déjà dépassé tout ça, il s’est positionné par rapport au système. Mais je montre aussi qu’il y a un piège dans cette radicalité là, ce n’est pas aussi blanc noir. Pour moi cela me paraissait opposé dans les personnages, mes convictions restent les même.
L’ennui était tiré du roman éponyme de Moravia, puis vous êtes passés à d’autres styles, notamment dans Roberto Succo, quel regard portez-vous sur votre évolution ?
Il y a une chose que je n’ai pas refait depuis que j’avais fait dans l’Ennui c’est les scènes de cul. Il y en avait 20 à 25 minutes. Pour moi, c’était le défi en tout cas. Je suis assez pudique, ce n’est pas simple pour moi. Je ne l’ai pas refait …
Et puis l’intellectualisation …
C’était l’opposition des deux qui étaient drôle. C’était presque tragi-comique, l’opposition entre quelqu’un qui théorisait le sexe et en même temps dans le sexe faisait toujours exactement l’inverse, c’était assez drôle. Mais votre question est compliquée, c’est difficile d’y répondre. Par exemple, je suis incapable de faire des classements entre mes films. A chaque fois, je me suis engagé dans chaque projet avec la même conviction, la même intensité, je sais qu’il y a des réussites diverses, ce n’est pas une science exacte le cinéma, et tout le monde n’a pas les même goûts, vous me citez l’Ennui, d’autres Roberto Succo …
Mais vous avez une préférence ?
Le dernier !
Est-ce que vous avez un regard objectif ?
Mais c’est impossible !
Mais Kassovitz par exemple, il revendique la Haine …
Mais Kassovitz il est plein de certitudes (rires) ! Je ne suis pas comme lui. Je cultive le doute, sans posture. Ce qui m’intéresse c’est d’être en mouvement, de chercher des choses différentes, c’est d’être un éternel débutant, je ne m’intéresse pas à ce que j’ai fait avant …
Un peu comme Winterbottom qui change de genre de films à chaque fois …
Oui, j’aime bien que ce soit une aventure. Je ne fonctionne pas avec des certitudes. J’avance plus avec le fait de me mettre en question que de me dire le cinéma c’est ça, c’est comme ça que ce doit être. D’un film à l’autre je peux me remettre en cause, changer complètement ma façon de travailler. Ce que je sais c’est ce que les autres m’en disent, j’y suis réceptif. Je ne pense pas avoir raison envers et contre tous. Je prends en compte les avis extérieurs. Je ne suis pas Mathieu Kassovitz !
Est-ce pour les même raisons que vous êtes acteur ?
Oui. C’est parce que ça me fait peur que je me suis dit qu’il fallait que j’y aille. J’ai découvert quelque chose en étant acteur, c’est le déplacement. Le fait de changer de place dans un endroit que vous croyez connaître, le plateau, vous fait voir les choses complètement différemment. C’est passionnant, je pensais que je n’en étais pas capable. C’est Elie Wajeman qui m’a convaincu d’être acteur. Il était persuadé que j’étais son personnage. Je l’avais eu comme élève à la Femis. Lors d’un café le midi, il m’a dit « je veux que tu joues ce rôle ». Entre le moment où il m’a dit ça et le moment où le projet s’est réalisé il s’est passé 3 ans. C’était une longue histoire.
Vous allez poursuivre ?
Oui je vais rejouer avec lui, pour son second film.
Pour revenir à la Vie Sauvage, vous avez recréé les lieux ou bien êtes-vous reparti des lieux réels de l’histoire ?
J’ai suivi les lieux de l’histoire. La Normandie c’est là où ils avaient leur campement semi-nomade, elle part avec ses enfants sur la Côte d’Azur où elle avait sa famille. Puis lui il les emmène dans le Gers, puis dans le Lubéron, puis dans les Cévennes. Les gamins finissent par partir en Corse. La seule étape que j’ai sauté c’est l’Ariège, là où ils ont été retrouvés. J’ai suivi leurs traces parce que cela raconte des choses. Ce sont des lieux très esseulés, des endroits de maquisards. Tous les lieux ne sont pas idéaux pour se planquer. C’est un bon abécédaire des lieux où se planquer leur bouquin ! (rires).
Vous avez un point de vue sur leur histoire ?
Non surtout pas ! Je ne veux pas être un donneur de leçons. Il y a une forme d’hymne à la liberté. Il y a l’histoire d’un père qui est en adéquation totale avec ses idées, c’est suffisamment rare pour susciter l’admiration, après il n’y a pas d’angélisme par rapport à ça. On montre aussi le prix de cette radicalité, il le paye par une forme de solitude. On démarre le film par un homme qui se fait abandonné par sa femme, et on le termine par un homme qui se fait abandonné par ses fils. Il paye le prix cher de ses convictions. Je ne condamne pas. Les enfants sont déchirés entre leur père et leur mère. J’ai beaucoup de respect pour les gens qui vivent hors système. C’est courageux.
Vous vous êtes servi de votre propre expérience, vos parents ont vécu en communauté …
Moi du coup ! Ca n’a pas duré longtemps. De sept à dix ans. C’était heureux, mais j’ai le souvenir que ça s’est cassé la gueule. Il y avait un idéal très fort. Mais les choses sont rentrées dans l’ordre. C’était beaucoup moins radical que ce que je montre dans le film. D’un autre côté, le film ne condamne pas le mode de vie, ce qu’il condamne c’est la guerre que se livre les deux parents, le fait d’être séparé. Ce que je pense c’est que c’est compliqué d’être élevé que par un seul de ses deux parents. S’il y a un jugement, c’est celui-là, je ne condamne pas du tout le mode de vie. Je montre que ce mode de vie là a des côtés merveilleux, et qu’il a des côtés plus raides, une forme d’âpreté. Ce n’est pas de la carte postale !
Avez-vous hésité sur la façon de terminer le film ?
Au scénario oui parce qu’on allait plus loin, on allait jusqu’à la rencontre des frères et les adieux au père qui partait en prison. Quand on a monté, c’était évident de terminer un peu avant, de finir par le point haut. On est resté sur les retrouvailles avec la mère. C’est ce qu’il y a de plus fort. Le film n’est pas une reconstitution d’un fait divers, on ne l’a jamais voulu comme ça. Les gens peuvent aller sur Internet et je n’ai pas mis les choses que l’on met en général à la fin pour dire ce qu’ils sont devenus, on n’a pas pris ce parti là.
D’ailleurs que sont-ils devenus ?
Ils vont bien ! Ils sont devenus. Ils sont assez fidèles à ce qu’on voit d’eux dans le film. Leur mère vit toujours pas loin de là où elle les a emmenés, assez sociabilisée. Le père vit toujours de la même manière avec ses élevages, des animaux dans un champ, et les fils restent proches de leur père.
Vous dîtes que certains se sentent desservis quand ils ont vu le film, c’était qui ?
La mère et le grand frère. C’est facile à deviner. Ils sont moins présents. Ils ont l’impression d’être moins défendus. En même temps, j’ai convaincu la mère que les scènes les plus fortes étaient celles où elle est présente, et qu’il y avait une identification très forte. Je pense qu’émotionnellement ce que l’on retient c’est le sentiment vis-à-vis de la mère, que c’est là que le film se joue. Mais elle n’avait pas forcément le recul pour analyser cela.
Vers la fin elle évoque qu’elle a connu 3 miracles … C’est du scénario ?
Non, c’est elle qui l’a racontée ! C’est très étonnant le parcours de cette femme, elle est complètement sous l’emprise de cet homme, puis elle va chercher la protection de son père. J’ai lu tout son livre. C’est une femme qui en permanence cherche la protection, et finalement elle finit avec la protection de Dieu. Maintenant quand je la vois aujourd’hui, je ne suis pas sûr qu’elle soit totalement en paix. Ce qu’elle a raconté, c’est qu’elle a été voir un prêtre en lui disant « je veux pardonner à cet homme qui m’a tant fait souffrir, qui me torture ». Il lui a parlé, elle est rentrée chez elle, les larmes ont coulé, elle s’est sentie capable de lui pardonner et trois jours après, dit-elle, elle a eu un coup de fil de la police annonçant que ses enfants avaient été retrouvés. C’est très émouvant. C’est invérifiable mais c’est très émouvant.
N’y-a-t-il pas eu une interférence sur le plan artistique à être en contact avec les vrais personnes quand vous adaptez un fait réel ?
C’est compliqué ! Sur Roberto Succo, j’avais refusé à rencontrer les protagonistes, je voulais rester dans ma bulle de fiction. Mais là, je voulais leur accord, les droits du livre. Donc je n’avais pas le choix. Mais j’avais beaucoup de réticences. Ils ont tous essayé de m’influencer, il faut être honnête.
Il y a eu une pression ?
Une pression permanente. J’ai encore une pression sur les interviews. Il y a des choses que je n’ai pas le droit de dire.
Pouvez-vous nous dire justement ce que vous n’avez pas le droit de dire ?
Je n’ai pas le droit d’utiliser le mot kidnapping. C’est le mot proscrit. Il y a plein de choses que je vous dis que je n’ai pas le droit de dire. C’est à vous de trouver. C’est le jeu des sept erreurs. Le fait qu’ils essayent de m’influencer, ça ne marche pas. Sauf quand je suis obligé de l’admettre. On ne peut effectivement pas parler de kidnapping, on ne peut pas enlever ses propres enfants, sauf si on est déchu de ses droits.
Vous pensez qu’en onze ans, il y a eu des recherches actives de la police ?
On peut en douter. Il y a eu des pics, mais pas forcément tout le temps.
Vous avez coécrit le scénario, c’est quelque chose que vous aimez faire ?
Le cinéma ce n’est pas une activité solitaire …
Et si quelqu’un vous apporte un scénario, vous le prenez ?
S’il est bon oui … S’il est pourri non ! Je suis ouvert à toute proposition : livre, scénario, fait divers, série… J’en reçois beaucoup. Mais en pratique c’est vrai que je ne les prends pas. Il peut y avoir un cadeau dans une proposition, je pars de ce principe là. Mais c’est compliqué qu’une proposition rencontre une envie. J’aimerais bien laisser un scénariste écrire. Avec le temps, et avec l’expérience, je fais de plus en plus confiance, c’est valable pour le chef opérateur, le prompteur. Je suis de plus en plus paresseux.
Justement à vos débuts, vous aimiez bien garder le contrôle, si on prend l’ennui …
Ah bon ? Je ne suis pas un formaliste. Je ne me suis jamais considéré comme tel. Je recherche la vibration, la vérité et non la perfection formelle. J’aimerais bien.
Même Roberto Succo est très léché …
Mais là aussi ! C’est un film qui peut paraître léché, mais ce n’est pas fait comme ça.
C’est pas vous ?
C’est pas fait comme ça. On n’est pas là à déplacer la caméra au millimètre. Ca arrive comme ça, mais c’est pas fait comme ça. On recherche la belle lumière. C’est plus une recherche de sensation. L’esthétique doit être une sensation, quelque chose qui colle avec ce qu’on a envie de raconter. Je ne me considère pas formaliste, mais je ne sais pas comment travaillent les autres. Peut être que je le suis malgré moi. Je ne me prends pas la tête avec des cadres, des formes.
Vous rentrez directement dans le sujet, par goût ?
Oui, je n’aime pas trop les mises en place. Je trouve cela plus rock’n’roll. En tant que spectateur, je n’aime pas trop qu’on me mâche le boulot. On rattrape après. Mais en même temps les américains font cela très bien, les fameuses vingt minutes de mise en place. Pendant vingt minutes ils nous assomment d’informations, on se fait chier, puis ensuite l’histoire démarre on sait vraiment qui est qui, c’est très balisé. C’est très efficace. Moi j’aime bien plongé le spectateur dans la situation et après qu’il la rattrape et qu’il ait la possibilité d’inventer les personnages.
Quels sont vos références avouées ?
Il n’y en a pas tant que ça.
Mathieu Kassovitz ?
Oui Mathieu Kassovitz (rires). Quand j’étais gamin, j’avais une passion totale pour Pialat. Maintenant je dirais que c’est Terrence Mallick le cinéaste qui me transporte le plus.
Il y un peu des deux dans la Vie Sauvage, un peu d’A la merveille, et le coup de poing à la Pialat …
Et l’aridité, la rugosité de Mallick. J’ai fusionné. Mais ça bouge. Chez Mallick il y a quelque chose qui me nourrit. Mais je vais de moins en moins au cinéma.
Pourquoi ?
Je ne sais pas. Parce que ça prend du temps.
Etonnant, d’autres réalisateurs ne suivent pas le même chemin, Tarantino continue de voir des films…
Oui mais lui c’est un cinéphile au départ ! Il tenait un magasin de vidéos. Il vient de là ! Moi je ne suis pas un cinéphile. Je n’ai jamais été un cinéphile. C’est vrai qu’il n’y rien qui me donne plus envie qu’un bon film, les médiocres un peu moins (rires).
C’est étonnant alors de s’orienter vers le cinéma
Pourquoi ?
Godard, Truffaut, voyaient beaucoup de films par exemple. Même les acteurs, si on prend Catherine Deneuve, elle voit bien cinq films par semaine.
Mais il y a des contre-exemples. J’en suis un.
En France on a cette vision de l’auteur complet : caméras stylos, l’auteur choisit tout. On a cette image là du cinéaste français à l’étranger …
Mais je pense que c’est en train de mourir ! Je ne sais pas si c’est une bonne ou une mauvaise chose, le tout puissant auteur.
Kassovitz était inspiré par Mondino pour la Haine, Romain Gavras ou Kim Chapiron (la nouvelle garde) revendique leurs références …
Mais Mondino ce n’est pas un cinéaste … Il a un visuel incroyable. Mais ce n’est pas de la cinéphilie. Et je n’ai rien à voir avec eux ! J’aime des films. Mon inspiration ne vient pas que du cinéma. Je me nourris de la vie. J’ai autant de plaisir à rencontrer des gens ou à m’assoir à une terrasse de café et à les observer que d’aller au cinéma.
Etes-vous un cinéaste intéressé par les marges ?
Oui. Dans la vie aussi. J’aime que les gens se posent des questions, aient une philosophie. Je trouve que la vie c’est une inspiration géniale. Etre un cinéaste du cinéma qu’on a vu, c’est comme remâcher de la matière. C’est important, je ne suis pas arrivé. Il y a des gens qui ont fait du cinéma avant moi, qui ont exploré des façons de travailler le récit, la façon de rentrer dans les films. Mais je trouve justement que les gens ont vu tellement de films qu’on peut raconter les choses de façon de plus en plus elliptique, les gens peuvent reconstituer les histoires, je trouve ça passionnant. Il n’y a plus besoin de raccords. On a des possibilités de raconter des histoires et de filmer infinies. Les gens peuvent supporter un flou, des images proches du documentaire ou du reportage. Le numérique a aussi complètement ouvert des portes. Toutes ces portes ouvertes, je les prends toutes, elles m’intéressent. J’essaye de coller à mon époque. Je ne fais pas du cinéma en dehors du monde, sans me soucier que les autres aient faits des films.
Comme Godard ou Wenders votre prochain film sera en 3D ?
Si c’est justifié par le sujet que je raconte je n’hésiterais pas. Là par exemple le film est fait en numérique, par rapport à ce film là c’était absolument génial, pour pouvoir tourner avec les gamins notamment. Je me suis réapproprier l’outil différemment. Je m’inscris dans une histoire du cinéma. Mais je pense qu’on ne peut pas nourrir que du cinéma. Ca ne me semble pas possible.
Vous n’êtes pas curieux par exemple de ce qu’apporte Xavier Dolan par exemple?
Du fait d’utiliser le format carré. C’est ça la nouveauté ?
Vous n’êtes pas curieux ?
Mais je n’ai pas dit que je ne voyais pas de films du tout. Bien sûr que je suis curieux. Je vais aller voir le Dolan, je ne l’ai pas vu. Je trouve par exemple que Maiwenn a apporté quelque chose au cinéma français. Sur les films de flic il y a un avant et un après Maiwenn. Elle a ringardisé tout un pan du cinéma français. Sans pour autant qu’elle devienne ma cinéaste française préférée de tous les temps.
On a parlé de Pialat, et vous pensez quoi d’Abdelatif Kechiche ?
Que du bien. Je trouve qu’il a l’art du raccourci, sa façon de raconter n’est jamais encombrée de détails qui ne servent à rien. Il atteint rapidement le cœur de son sujet, il n’y a pas de gras, il y a une épure. Je suis curieux mais pas obsessionnel, c’est cela que je veux dire quand je dis que je ne suis pas cinéphile. Quand je sens que le geste du cinéaste est courageux, parce que ça part d’une intimité, d’une mise en abîme, ou alors qu’il cherche par la forme à pousser le jeu, le récit assez loin. C’est un peu ce que je cherche à faire, je n’y arrive pas toujours.