Le sixième long métrage d’Alex Ross Perry, Her smell, est actuellement sur les écrans en France.
Nous avions connu et apprécié ce jeune cinéaste américain avec son troisième film Listen up Philip!, Gagnant du prix spécial de jury au festival de Locarno en 2014. Plus tard nous découvrions The queen of earth, présenté au festival de Berlin en 2017, mais aussi, à rebours, sa deuxième expérience cinématographique qui date de 2011, The color wheel, une comédie filmée en 16 mm, en noir et blanc, avec lui-même dans le rôle principal, qui a attiré les regards vers lui en tant que réalisateur indépendant, figure du mouvement mumblecore New Yorkais.
Her smell propose un biopic imaginaire d’une star de la musique grunge féminine des années 1990 (Something she), qui vit aujourd’hui l’échec. Elle perd pas à pas devant nos yeux tout ce qui peut l’amener à la réussite – ses amis et collaborateurs qui ont construit le groupe avec elle, son producteur, son enfant, sa famille – et s’isole dans un narcissisme autodestructif en lien avec sa célébrité.
La manière par laquelle, à travers ce schéma, nous approchons cette anti-héroïne, nous commençons à connaître sa solitude assumée, son orgueil, et son attitude désagréable vis-à-vis de son entourage, pour former un quasi anti-biopic, ou, pour le moins, jouer avec nos attentes du genre, se retrouve également dans Listen up Philip !, qui proposait le portrait/biographie d’un jeune écrivain. Ceci étant dit, la mise en place dans Her smell est plus accentuée, plus exagérée; avec plus de remarques, de gestes et de paroles dans ce but.
The queen of earth poursuivait aussi cet objectif, malgré des différences importantes, puisque le film, beaucoup plus calme et posé, développe lentement la vie intérieure de deux femmes dans une relation d’amitié très tendue. L’action se situe dans une maison de campagne, le réalisateur use de nombreux flashbacks pour nous raconter son histoire.
Dans tous les cas, la crise existentielle du personnage qui l’amène à comprendre les sources profondes de sa solitude, et le lien entre les ressentis de cet individu avec la communauté qui l’entoure, est mise en avant et analysée. Les films d’Ales Ross Perry sont toujours, d’une certaine manière, basés sur une étude psychologique.
Amener des mal vécus affectifs qu’on cache normalement dans la vie sociale – surtout ce qui surmonte en passant par des moments intense et dure dans la vie de couple et l’amitié – en surface, et en parler directement, crée un effet bouleversant, surtout quand il s’agit des films construits autour des acteurs, la violence sous-entendue dans les gestes, la façon de parler, les regards. Et Elizabeth Moss trouve ici la place d’une actrice/auteur, elle impulse le ton et la puissance des films par sa présence, par sa manière de jouer, elle a construit et fait évoluer son caractère avec Alex Ross Perry de film en film. L’Esthétique visuelle, la fréquence régulière des gros plans, la caméra qui se concentre sur le visage, nous amène viscéralement dans la peau du personnage.
Dans Listen up Philip, film très riche en caractères et aux multiples récits croisés entre eux, où l’aspect littéraire domine, cet effet se pressent dès le départ, par un rythme très rapide enchaînements narratifs, au moment où on trouve Philip, fier de la publication de son roman, chercher à se venger d’une ex-copine en la méprisant, de façon agressive. La scène trouve son sens plus tard, quand on comprend, dans le cas de Philip certainement, comment un orgueil extrême peut en fait venir d’un manque important de confiance en soi.
Nous voyons par la suite, subtilement, quand il n’hésite pas à aller à un rendez-vous dans un bar, comment il se détache de sa copine actuel Ashley, qui occupe une place de plus en plus centrale dans le film, avant de rompre officiellement avec elle (Elizabeth Moss, brillante dans son premier rôle pour Alex Ross Perry, une collaboration qui, comme dit précédemment, trouvera une suite dans les deux prochains films). Ce moment clé dans la vie de Philip est bien choisi pour débuter l’histoire, car sa réussite et la reconnaissance qu’il obtient en tant qu’écrivain s’avèrent également le début de ses malheurs en tant qu’homme. Il s’agit de la raison principale qui pousse le père de Catherine dans The queen of earth à se suicider (comme elle l’exprime dans un monologue long et brutal à la fin du film).
Dans Her smell, Becky (Elizabeth Moss) incarne cette idée par excellence. Les mouvements vertigineux et sans arrêts de caméra autour de Becky, renforcé par la bande sonore, font référence à Une femme sous influence de Cassavetes, et les cinq scènes du film, bien distinguées les unes des autres – elles respectent chacune une unité de temps et de lieu -, sont placées dans un ordre symétrique (le film commence et termine avec un concert). Ce choix s’est imposé pour mieux faire ressortir les similitudes entre l’ouverture et la fermeture (évidentes), mais aussi celles entre la deuxième et le quatrième scène (plus subtiles).
Cette structure-là accompagne Becky dans ses différents états d’esprit jusqu’au moment de trouver le bonheur et la paix à coté de tous ses proches. La dernière œuvre d’Alex Ross Perry se trouve ainsi la seule qui jusqu’à présent offre un point de vu optimiste. A suivre…