Quelle triste nouvelle nous parvient subitement, sans crier gare. David Lynch nous a quitté à l’âge de 78 ans. Il laisse derrière lui une œuvre sans nulle pareille, qui propose une voie cinématographique si singulière et si rare. Le réalisateur américain a plus qu’aucun autre expérimenté le cinéma comme langage, visuel et sonore, en prolongation de sa propre psyché. Il nous a donné à voir et à entendre des rêves, des cauchemars, des angoisses, des réflexions, des fantasmes. Il s’est désolé du monde, et en a inventé de nouveaux. Il s’est intrigué de la possibilité de mondes parallèles, à commencer par le sien, nous partageant ses vapeurs, ses visions labyrinthiques, exposant inlassablement quelques motifs, dans une recherche permanente d’ambiance, jouant sur toute la gamme qu’offre le cinéma, les couleurs – chatoyantes-, les sons -réverberés, les rythmes – électriques, les cuts – subliminaux, les lumières -stylisées. Ses images hantent tout cinéphile, une voiture dans le brouillard, un regard bleu dans une pièce de velours, une tête de lapin, une cassette vidéo insérée dans un magnétoscope, une veille télévision, des coups de téléphone intempestifs, une boîte noire, des phares de voiture sur une autoroute la nuit, des larmes amères qui coulent, un papy souriant sur son tracteur … Nous espérions son retour à Cannes (la dernière fois que nous l’avions vu, c’était pour une diffusion de la troisième saison de Twin Peaks). Lynch, ce n’est hélas qu’une seule Palme d’or (Sailor et Lula– Wild at heart). Lynch, c’était Twin Peaks comme Une histoire vraie, Lost Highway comme Elephant Man, Mulholland drive comme Blue Velvet ou EraserHead. Lynch, confiant en son talent et en ses visions, ne craignait pas la démesure, ou de perdre connexion avec les autres, d’aller trop loin, il en fut victime avec Inland Empire. Après cet échec critique – quoi que le film eut quelques thuriféraires, cet artiste complet s’en remît à d’autres arts, la musique ou la peinture par exemple, toujours dans cette quête de sonder l’âme, de composer à travers et pour elle. La sienne ne pourra que rejoindre des cieux lointains, et probablement continuer de nous hanter longtemps. Fire walks with him.