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Bertrand Tavernier: un amoureux du patrimoine

À l’occasion de la ressortie de certains des films réalisés par Bertrand Tavernier (réalisateur, scénariste, producteur et écrivain) qui nous a quitté le 25 mars 2021, nous essayons ici de retracer son style cinématographique.

Le cinéaste a réalisé une trentaine de films en abordant plusieurs genres cinématographiques allant de la comédie dramatique (Un dimanche à la campagne en 1984, Daddy Nostalgie en 1989), jusqu’au film de guerre (Capitaine Conan en 1996), en passant, entre autres, par le film historique (Laissez-passer en 2002, La Princesse de Montpensier en 2010) ou par le polar (L.627 en 1992, L’Appât en 1995). 

Le style et l’esthétique cinématographique de Bertrand Tavernier se caractérisent par un grand souci du détail et une attention particulière portée aux personnages. Ses films sont souvent ancrés dans une réalité sociale et politique, explorant les thèmes de la classe, du pouvoir, de la justice et de l’oppression. Il a souvent utilisé des histoires à plusieurs niveaux de lecture pour construire des personnages complexes et nuancés. Sur le plan formel, Tavernier a utilisé une variété de techniques pour donner vie à ses films avec des plans larges pour montrer les personnages dans leur environnement naturel.

Films en costume

Bertrand Tavernier s’est également intéressé aux films en costume, qui ont souvent approfondi des périodes historiques et sociales complexes. Il a réalisé plusieurs films se déroulant dans le passé, notamment Que la fête commence en 1975, La Passion Béatrice en 1987 et La Vie et rien d’autre en 1989 qui se situent respectivement dans la France du XVIIIe siècle, à l’époque médiévale et à l’issue de la Première Guerre mondiale. Il a apporté sa touche personnelle à ces films en costume en se concentrant sur les détails historiques et en créant des personnages nuancés et réalistes qui ne correspondent pas nécessairement aux stéréotypes de l’époque. Les décors, les costumes et les accessoires ont permis de recréer avec minutie l’atmosphère et l’authenticité de ces périodes historiques. Cependant, Tavernier n’a pas cherché à glorifier le passé mais soulignait avec ses films en costume, les inégalités, les injustices et les conflits de pouvoir dans ces périodes plus ou moins reculées. Cela a contribué à donner une perspective contemporaine à ces histoires anciennes.

Le Juge et l’Assassin, réalisé par Bertrand Tavernier en 1976, est basé sur l’histoire vraie de Joseph Vacher. Ce tueur en série français du XIXe siècle est considéré comme le pendant de l’anglais Jack l’Éventreur. Le film suit l’enquête menée pour l’arrêter.

Le film explore des thèmes tels que la justice, la folie et la société. Il se concentre sur les personnages principaux, le juge Rousseau et l’assassin Vacher, interprétés respectivement par Philippe Noiret – fidèle collaborateur de Tavernier – et Michel Galabru. La relation entre les deux personnages est le cœur du film. Le spectateur assiste à une confrontation psychologique fascinante entre un juge, qui cherche à comprendre la folie de l’assassin, et l’assassin lui-même, qui refuse toute responsabilité pour ses crimes. La mise en scène remarquable de Tavernier et une attention particulière portée aux décors et aux costumes; recréent parfaitement l’ambiance de l’époque. La photographie, signée Pierre-William Glenn, est également excellente, avec des plans larges et des mouvements de caméra subtils qui aident à construire l’atmosphère tendue du film. Les dialogues percutants et les moments de tension intense maintiennent le spectateur en haleine jusqu’à la fin. Noiret et Galabru offrent des interprétations puissantes et subtiles de leurs personnages respectifs.

Bertrand Tavernier a réussi à créer un film qui est à la fois un portrait fascinant de deux personnages complexes, et une réflexion sur les enjeux plus larges de la société et de la justice. Le film a remporté quatre César en 1977, dont celui du meilleur film et de la meilleure réalisation.

La Vie et rien d’autre, réalisé en 1989, se déroule en 1920, après la fin de la Première Guerre mondiale. Il suit l’histoire d’une femme, interprétée par l’émouvante Sabine Azéma, qui cherche son mari disparu pendant la guerre. Pendant ce voyage, elle rencontre d’autres personnes qui, eux aussi, ont perdu des êtres chers pendant le conflit. Elle apprend à écouter les histoires des autres, à partager leur douleur et à trouver un moyen de se reconstruire.

La douleur et le deuil, la recherche de la vérité et la reconstruction de soi après la guerre, sont des thématiques au coeur du film. Bertrand Tavernier utilise l’Histoire pour explorer des questions plus universelles et intemporelles, telles que la façon dont les individus sont touchés et changés par les événements de la vie. Les décors et les costumes sont fidèles à l’atmosphère de l’après-guerre, et la photographie, signée Bruno de Keyzer, donne au film une texture et une ambiance particulières.

La Vie et rien d’autre a remporté le Prix Louis Delluc en 1989 et a été acclamé par la critique pour sa mise en scène prodiguée par le réalisateur et les performances d’acteurs.


Adaptations littéraires

Par ailleurs, Bertrand Tavernier s’est souvent inspiré de la littérature pour créer ses films. Il a ainsi réalisé plusieurs adaptations de romans et de pièces de théâtre d’auteurs très différents les uns des autres allant de Jim Thompson à Marguerite Duras en passant par Joseph Kessel ou Georges Simenon. Il avait un grand respect pour les œuvres littéraires originales, et cherchait à les adapter fidèlement tout en y ajoutant sa propre vision et sa touche personnelle.

Ses adaptations ont été acclamées par la critique, notamment Un dimanche à la campagne, adapté de la pièce de Pierre Bost (Prix du Jury au Festival de Cannes en 1984) ou encore Coup de torchon en 1981, adaptation du roman Pop. 1280 de Jim Thompson. Le cinéaste a su créer une atmosphère cinématographique unique qui rendait hommage à l’œuvre originale tout en la transposant à l’écran de manière créative. Il a travaillé avec des scénaristes expérimentés pour adapter les œuvres littéraires, tout en laissant de la place à l’improvisation et à l’interprétation de ses acteurs.

Un dimanche à la campagne, réalisé en 1984 est adapté de la pièce de théâtre éponyme de Pierre Bost. Le film raconte l’histoire d’un peintre vieillissant, interprété par Louis Ducreux, qui passe un dimanche à la campagne en compagnie de sa famille. La visite d’une jeune femme, interprétée par Sabine Azéma, va bouleverser cette atmosphère et révéler les tensions familiales enfouies.

Le film est une étude minutieuse des relations familiales et des personnages qui les composent. Les tensions, les émotions et les non-dits s’entremêlent pour révéler les dysfonctionnements de cette famille bourgeoise, profondément instable. Le personnage principal, Monsieur Ladmiral, est un peintre solitaire et mélancolique, qui cherche à retrouver le sens de sa vie à travers sa peinture. Il est entouré de sa famille, qui se montre pourtant froide et distante, n’arrivant pas à communiquer ni avec lui ni entre eux. Le décor rural apporte une ambiance bucolique et poétique à l’ensemble. La mise en scène de Tavernier se concentre sur les détails, comme les couleurs et les sons, qui aident à renforcer l’atmosphère du film. La photographie, toujours signée Bruno de Keyzer, contribue à la beauté visuelle de l’oeuvre cinématographique.

Un dimanche à la campagne explore les thèmes de la famille, de la solitude et de la créativité avec mélancolie. Bertrand Tavernier a su adapter avec brio la pièce de théâtre originale en créant un film visuellement magnifique et émotionnellement intense. Le film a remporté le Prix du Jury au Festival de Cannes en 1984 et a été salué par la critique pour sa subtilité et son atmosphère envoûtante.

La Princesse de Montpensier, réalisé par Bertrand Tavernier en 2010, est basé sur la nouvelle éponyme de Madame de La Fayette publiée en 1662. Le film se déroule en France pendant les guerres de religion du XVIe siècle et suit l’histoire d’amour tragique entre la princesse de Montpensier (Mélanie Thierry) et le duc de Guise (le regretté Gaspard Ulliel), sur fond de luttes de pouvoir entre les catholiques et les protestants.

La photographie, une nouvelle fois signée Bruno de Keyzer, est également magnifique, avec des plans larges et des mouvements de caméra subtils qui créent une atmosphère immersive et poétique. Le scénario, co-écrit par Tavernier, est fidèle à l’histoire originale tout en ajoutant des éléments de drame et de romance pour créer une expérience cinématographique captivante. Les performances des acteurs sont excellentes, en particulier celles des protagonistes joués par Thierry et Ulliel, qui incarnent avec justesse la passion et la tragédie de leur amour interdit. Au niveau sensuel, le film reste plus sage que le roman original. Le réalisateur préférait donc filmer des scènes de combats, des dialogues entre les personnages en insistant sur l’élégance vestimentaire de l’époque. Les décors somptueux élaborés dans des cadres choisis avec soin sont des éléments très caractéristiques du film qui lui permettront de recevoir son unique récompense à la 36e cérémonie des César. 

Le film a été choisi par le ministère français de l’Education Nationale pour figurer dans le programme du baccalauréat littéraire entre 2017 et 2020. 

Bertrand Tavernier était un cinéaste visionnaire et engagé, qui a laissé une empreinte indélébile sur le cinéma français et international. Sa filmographie riche et variée est un témoignage de son amour pour l’Histoire, sa maîtrise technique et sa passion pour le cinéma en tant qu’art et forme d’expression. Sa perte en mars 2021 a été une triste nouvelle pour le monde du cinéma, mais son héritage cinématographique restera vivant pour les générations à venir, notamment grâce au livre de Thierry Frémaux publié le 22 septembre dernier, Si nous avions su que nous l’aimions tant, nous l’aurions aimé davantage

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