Alan Parker faisait partie de ses rares réalisateurs capables de films en films de passer d »un genre à un autre, et de sempiternellement chercher à se réinventer, là où beaucoup d’autres tournent en continue une histoire à géométrie variable.
Le concernant, la géométrie variable constitue probablement le dénominateur commun à tous ses films. Certains d’entre eux lui auront permis de toucher et de gagner l’estime de publics très différents les uns des autres, quand d’autres au contraire, lui auront valu de féroces critiques.
Autre paradoxe notable, Alan Parker était certes connu de presque tous- il a obtenu quelques prestigieuses récompenses, – nommé 2 fois pour le meilleur réalisateur, ses films au total ont obtenu 10 Oscars notamment- , il a beau avoir connu de véritables succès populaires, peu le classent dans les grands réalisateurs qui comptent, dans les génies, aux côtés des Fellini, Visconti, Godard, Coppola, Bergman ou tutti quanti, et peu même le citent parmi les réalisateurs populaires à Oscars comme peuvent l’être les Spielberg, Cameron, Jackson, Nolan, Del Toro ou autres Cuaron … Dit autrement, Alan Parker, était assez inclassable, et c’est précisément la raison pour laquelle nous pensons au Mag Cinéma, que son talent a malgré tout été sous-estimé et que son oeuvre devrait non seulement perdurer dans les esprits, mais connaître une seconde vie critique.
Son talent, parlons-en à travers sa filmographie …
Il avait le goût de l’expérimentation, si l’on se réfère à The Wall filme culte s’il en est, d’un point de vue musical, mais pas que …
La musique est peut être l’un des seuls fils conducteurs que l’on puisse noter dans sa carrière, dés son premier film Bugsy Malone. Les bandes originales de Fame et de Midnight Express (Moroder) sont de tous les esprits, voire de toutes les soirées. Alan Parker savait particulièrement bien s’entourer à ce niveau. Il eut également la très bonne idée de confier à Madonna le rôle éponyme d’Evita, pour un film qui ne connut ni le succès critique, ni le succès populaire, et qui, pourtant présentait de nombreux atouts, parmi lesquels son modernisme, sa puissance historique, et son sujet, Eva Péron.
La musique, on la retrouve également sous une forme très différente, le jazz de la nouvelle Orléans, dans Angel Heart, là aussi, un film très culte pour certains cinéphiles amateurs de genre, très noir, qui confronte un De Niro satanique à un Mickey Rourke alors au top de sa forme, et particulièrement charismatique. Le film est à rapprocher de Midnight Express en ce qu’il distille dés ses premières images une intention atmosphérique que le film n’aura de cesse de renforcer, quasiment sans limite, pour atteindre une intensité qui marque notoirement les esprits.
Angel Heart, Midnight Express sont des films cultes, mais la critique journalistique ne les hissait en général pas comme des films qui comptent particulièrement, même si les académies leur remirent quelques honneurs, Midnight Express repartit bredouille de Cannes et créa plus la polémique que l’admiration, que ce soit pour les libertés prises par rapport au récit originel, ou pour l’interdiction dont il fut frappé par les autorités turques, …
Le succès critique, Alan Parker, l’obtiendra un eu plus tard pour Birdy. Le film qui s’intéresse aux traumatismes post-guerre du Vietnam est interprété par Nicolas Cage et surtout par un Matthew Modine impressionnant. Le film fut couronné d’un Grand prix du Jury à Cannes en 1985 très mérité. Là aussi, il s’agit d’un film très inclassable, même si on peut le rapprocher de Vol au dessus d’un nid de coucou par exemple de Forman, sensible, psychologique et déroutant.
Plus méconnu, et tout autant à redécouvrir, Les cendres d’Angela reçut injustement une mauvaise critique, le reproche principal étant le côté tire larme, mais aussi la reconstitution historique classique, deux arguments que l’on peut aisément transformer en arguments contraires, bien servi par une interprétation d’Emily Watson notamment, émouvante.
Bugsy Malone, le premier véritable film d’Alan Parker, devait nous mettre la puce à l’oreille sur la suite de sa carrière. Il s’agissait déjà d’une tentative particulièrement « gonflée ». Alan Parker prenait pour partie pris de confier à des enfants des partitions de gangster, en proposant quelques instants musicaux. Le film rend un hommage appuyé à un genre, tout en le démystifiant totalement et lui confiant une couleur rose-bonbon pour le moins loufoque; pour un résultat au final très divertissant, parfois tendre, parfois drôle, et pour autant soucieux des codes du genre dont il s’amuse.
The commitments peut se rapprocher quant à lui de Fame, en ce qu’il s’agit d’un film énergique, positif, entraînant et musical.
Mississipi Burning lui se rapproche de Midnight Express, ou de La vie de David Gale, pour sa portée essentiellement politique, Alan Parker dénonce vertement, et se permet de prendre des libertés avec le récit d’origine, pour amplifier l’impression – on lui reprochera ici son angélisme vis à vis du FBI:
Autre film très politique, La vie de David Gale restera le dernier film d’Alan Parker, et il est une fois de plus très bon, labyrinthique, trompant le spectateur, l’intrigant de bout en bout, et portant à l’écran une réflexion pleine d’ambiguïté sur la peine capitale, la frontière mince qui peut subsister quand il s’agit de juger quelqu’un. Le duo formé à l’écran par Kate Winslet et Kevin Spacey vaut par exemple celui formé par Jodie Forster et Anthony Hopkins dans Le silence des agneaux.
La carrière cinématographique d’Alan Parker s’arrêta net en 2003, et depuis, son talent nous manquait. Dans un reportage vidéo, il revenait sur les raisons qui l’avaient fait quitter Hollywood, notamment:
» J’ai eu plusieurs projets jusqu’en 2010 que je n’ai jamais pu finaliser. C’est physiquement très dur. Je ne veux plus de cette vie-là. Je n’ai plus la force et l’envie de me battre. Je peins, j’écris beaucoup sur mon site, notamment sur le cinéma.«
Interview pour l’express
Gilles Jacob, parle de lui, comme un cinéaste « vif, brillant, prolifique » doté d’un « esprit sarcastique » L’homme avait le sens de la formule, ainsi lorsqu’il affirmait:
« Un réalisateur de film doit avoir la sensibilité d’un poète et l’énergie d’un ouvrier du BTP. Le drame, c’est que pour beaucoup d’entre nous, c’est l’inverse«
, nous ne pouvons qu’apprécier le trait d’esprit, et regretter qu’il soit aussi sensé.
Alan Parker, le grand cinéaste britannique est décédé ce 31 Juillet à l’âge de 76 ans des suites d’une longue maladie.