Agnès Varda n’est plus, disparue à 90 ans. La nouvelle nous a étonné, car la cinéaste était très active, de tous les festivals. Dernier en date, la Berlinale où elle présentait son dernier film … Même si elle y annonçait que cela pourrait bien être son dernier film, qu’elle se préparait à dire au revoir, nous ne doutions pas qu’elle puisse partir aussi tôt … Sa palme d’or d’honneur en 2015 était loin derrière nous …
“Agnès Varda est décédée chez elle dans la nuit du jeudi des suites d’un cancer. Sa famille et ses proches l’entouraient”
Une filmographie très intéressante
Sans toit ni loi est peut être son long métrage le plus connu du plus grand public, multi-diffusé sur les chaînes de télévision française, il fut également couronné de succès par la critique puisque le film reçut en 1985 le Lion d’Or à la Mostra de Venise. La toute jeune Sandrine Bonnaire s’y affirme pleinement, et entre autres curiosités, on y découvre Yolande Moreau.
Cléo de 5 à 7 est sans conteste l’une des oeuvre phares de la Nouvelle Vague, qui en définit les codes, puisqu’emprunt de liberté, de vie, avec une forme libérée et très fortement dynamique.
Le film narre une journée de la vie d’une femme qui redoute le cancer et qui, en attendant les résultats médicaux, flâne dans Paris pour tromper son angoisse. Sorti en 1962, cinq ans après son premier film La pointe courte, il était en compétition pour la Palme d’or cette année-là.
Sa carrière avait donc commencé avec la Pointe courte, film monté par Alain Resnais, où elle engage un jeune comédien du Théâtre naitonal de Paris, alors inconnu, Philippe Noiret.
Tourné à la suite de Cléo de 5 à 7, Le Bonheur est moins connu, le film remporta pourtant l’ours d’Argent à la Berlinale. Le film s’intéresse à la vie de famille d’un menuisier chamboulé quand celui tombe sous le charme d’une postière, proposant une définition du bonheur bien différent de celui du modèle établi…
Agnès Varda réalisa sa vie durant douze long métrages avant de se consacrer au documentaire, pour réinventer son cinéma comme elle le dit dans Varda par Agnès (voir en fin d’articles) :
- 1955 : La Pointe courte
- 1962 : Cléo de 5 à 7
- 1965 : Le Bonheur
- 1966 : Les Créatures
- 1969 : Lions Love
- 1977 : L’une chante, l’autre pas
- 1981 : Documenteur
- 1985 : Sans toit ni loi
- 1987 : Jane B. par Agnès V.
- 1987 : Kung-fu Master
- 1991 : Jacquot de Nantes
- 1995 : Les Cent et Une Nuits de Simon Cinéma
Jacques Demy tient une place particulière dans sa vie – il était son compagnon depuis 1958 et le père de son fils Mathieu – mais aussi dans son oeuvre. Après qu’il se soit éteint du sida en 1990, Agnès Varda raconte sa jeunesse dans Jacquot de Nantes (1991)
Agnès Varda lui consacre deux documentaires Les demoiselles ont eu 25 ans et L’univers de Jacques Demy en 1995. Les plages d’Agnès évoque également de Jacques Demy.
Sa filmographie comporte de nombreux documentaires dont Les glaneurs et la glaneuse en 2000 qui s’intéresse, bien avant les gilets jaune, à la cause de la paupérisation de la société, quand des personnes se nourrissent en glanant, c’est à dire en récupérant dans les champs ou sur les marchés les légumes abîmés ou invendus.
La thématique sociale se laissait déjà apercevoir dans Daguerréotypes qui s’intéressait à la rue Daguerre mais aussi et surtout à ses habitants.
Dans Les plages d’Agnès, autoportrait sorti en 2008, elle raconte les plages qui ont marqué sa vie, celles de la Belgique où elle est née à celles de la Californie, en passant par Sète, Noirmoutier, Deauville, ….
Ce petit bijou de malice rencontra le succès critique – César du meilleur documentaire en 2009 – mais aussi dans les salles.
Très récemment, Agnès Varda a connu un succès d’estime en 2017 en proposant Visages, villages, co-réalisé avec l’artiste JR, pour lequel elle fut nommer aux Oscars.
Sa filmographie comporte également des courts métrage comme Salut les cubains, construit à partir de 2500 clichés prises par la cinéaste, quatre ans après l’arrivée au pouvoir de Fidel Castro.
Des récompenses, Agnès Varda en reçut de multiples, le Lion d’or pour Sans toit ni Loi, un ours d’argent pour le Bonheur, et lorsque l’on lui remit un Léopard d’honneur en 2016 à Locarno, elle déclarait, avec toute la malice qu’on lui connait:
« J’ai eu un Ours à Berlin, j’ai eu un Lion à Venise et maintenant un Léopard… et une fois j’avais gagné je crois un chien aux Îles Canaries »
Une femme pionnière
Elle fut la première femme à recevoir un Oscar d’honneur pour l’ensemble de son oeuvre en 2017. Mais Agnès Varda avait bien avant cela eut le chic de montrer la voie. Son premier long-métrage, La Pointe courte (1955), annonçait la Nouvelle Vague, quatre ans avant Les 400 Coups (1959), de François Truffaut, ou Hiroshima mon amour (1959), d’Alain Resnais. Cléo de 5 à 7 est d’ailleurs l’un des films phare de la nouvelle vague, enseigné internationalement dans toutes les écoles de cinéma.
Elle fut l’une des seules femmes à être associée à la nouvelle vague. Non pas parce qu’elle était la compagne de Jacques Demy, mais parce qu’elle a livré avec Cléo de 5 à 7, l’un des films majeurs de la nouvelle vague.
Qui plus est ce film, libre dans son ton, proposait une vision qui pouvait déranger les plus conservateurs; en livrant un portrait d’une femme libre, quelques jours avant que le destin ne s’abatte sur elle.
Une énergie débordante
Agnès Varda était partout, tout le temps. Nous l’avons vu de très nombreuses fois au festival de Cannes, qu’elle fasse ou non partie d’un jury, qu’elle ait ou non quelque chose à y présenter, qu’elle y soit ou non honorée, mais aussi à Deauville, à la Mostra de Venise en 2017 ou à la Berlinale en 2019 …
Sa filmographie est quasi sans relâche, jusqu’en 2008. Si elle comporte un trou entre 2008 (Les plages d’Agnès) et 2017 (Visages, Villages), c’est en partie car elle s’est consacrée jusqu’en 2011 à un projet télévisée Agnès de ci de là Varda, une série documentaire en 5 épisodes de 45 minutes, nécessairement chronophages. Dés lors peut-on parler d’inactivité entre 2011 et 2017, si l’on considère le temps qu’il aura fallu à Varda et à JR pour silloner la France entière ?
Cette énergie débordante se voit également dans les centres d’intérêts de Varda, qui n’a eu de cesse de se cultiver, de se documenter, d’apprendre et transmettre par l’image.
Une fantaisie, un sens de l’observation, une malice, un goût pour l’art
Il n’y a qu’à considérer sa coupe de cheveux – ce fameux bol à la Varda peut-on presque dire – pour avoir une idée de la personnalité d’Agnès Varda. Cette coupe de cheveu que l’on prête également à Jeanne d’Arc, elle l’aura conservé toute sa vie durant, seule la couleur a pu varier. Ainsi, à l’âge où les premiers cheveux blancs apparaissent, s’est-elle fendue de coloration rousse, rose flashy ou pourpre très fortement à contre courant des standards … Un peu plus tard, elle a inventé, style aujourd’hui en vogue, la double couleur, une partie des cheveux roses, toujours plus pétant et assumé, et l’autre partie au naturel, tout aussi assumé. Une constance donc, une volonté de se démarquer, mais aussi une jeunesse d’esprit, une créativité débordante. Ces derniers films à nature plutôt documentaire font montre également du sens de l’observation d’Agnès Varda, les plages d’Agnès par exemple, outre sa narration très intéressante, captive justement par l’abondance de détails que la réalisatrice met en images et raconte. Si sa narration captive, c’est car elle sait alterner des moments d’émotion, des moments d’intelligence, et des moments d’humour. Elle fait preuve de malice, joue de son image, se met en scène en semi-clown.
Son intérêt pour l’art au sens large lui vaut de tomber amoureuse de Los Angeles, où elle fréquente Andy Warhol et Jim Morrison. Elle elle y tournera notamment une fiction hippie (Lions love) mais aussi un documentaire sur les peintures murales, Mur Murs.
Quand elle réalise Jane B. par Agnès V., cela participe également à une vision très artistique; où la réalisatrice dresse un portrait de Jane Birkin sous forme de collage d’entretiens et de sketches
Elle pousse le concept jusqu’à créer un film dans le film, cela donne naissance àKung-fu Master …
Agnès Varda avant d’être cinéaste, était, il faut le souligner, photographe, et cela n’a jamais cessé de la suivre. Elle fut ainsi la photographe attitrée du Théâtre national populaire (TNP) de Villeurbanne, dirigé par JeanVilar. De cette expérience auprès du metteur en scène, elle disait avoir gardé ce goût pour un art exigeant et accessible : « Atteindre le plus grand nombre en mettant la barre très haut ».
Le jeu de mots Daguerréotypes lui vient donc tout naturellement quand elle s’intéresse aux habitants de la rue Daguerre à Paris.
L’art cinéma, de façon évidente, entrait dans ses sujets de curiosité. Même si ce fut un échec commercial, elle tenta quelque chose presque Godardien avec Les Cent et une nuits de Simon, Cinéma. On y retrouve Mathieu Demy, Julie Gayet, Michel Piccoli, de très nombreuses stars qui jouent le plus souvent leur propre rôle Deneuve, Ardant, Aimée, Schygulla, Lollobridgida, , De Niro, Depardieu, Ford, Delon, Mastroianni, Belmondo, Léaud, … mais aussi des jeunes premiers très tendance … Toute la malice d’Agnès Varda pour construire un film avec peut être le plus beau casting de tous les temps ! … Jugez plutôt:
- Michel Piccoli : Simon Cinéma
- Marcello Mastroianni : L’ami italien
- Julie Gayet : Camille Miralis
- Mathieu Demy : Camille, dit Mica
- Emmanuel Salinger : Vincent, revenant des Indes
- Anouk Aimée : Anouk, en flash-back
- Fanny Ardant : La star qui tourne la nuit
- Jean-Paul Belmondo : Professeur Bébel
- Romane Bohringer : La jeune fille en violet
- Sandrine Bonnaire : La vagabonde métamorphosable
- Jean-Claude Brialy : Le guide des Japonais
- Patrick Bruel : Le premier orateur
- Alain Delon : Alain Delon, en visite
- Catherine Deneuve : La star-fantasme
- Robert De Niro : Le mari de la star-fantasme en croisière
- Gérard Depardieu : Gérard Depardieu, en visite
- Harrison Ford : Harrison Ford à Hollywood
- Gina Lollobrigida : L’épouse médium du professeur Bébel
- Jeanne Moreau : La première ex-épouse de M. Cinéma
- Hanna Schygulla : La seconde ex-épouse de M. Cinéma
- Sabine Azéma : Sabine / Irène
- Jane Birkin : Celle qui dit radin
- Arielle Dombasle : La chanteuse à la Garden-party
- Stephen Dorff : Un acteur muet à Hollywood
- Andréa Ferréol : L’étonnée
- Daryl Hannah : Une actrice muette à Hollywood
- Jean-Pierre Kalfon : Le premier Jean-Pierre
- Jean-Pierre Léaud : Le second Jean-Pierre
- Emily Lloyd : Une actrice muette à Hollywood
- Assumpta Serna : Une actrice muette à Hollywood
- Martin Sheen : Un acteur muet à Hollywood
- Harry Dean Stanton : Un acteur muet à Hollywood
- Daniel Toscan du Plantier : Le second orateur
- Isabelle Adjani : (images d’archive à Cannes)
- Jean-Hugues Anglade : (images d’archive)
- Daniel Auteuil : (images d’archive)
- Clint Eastwood : (images d’archive)
- Virna Lisi : (images d’archive à Cannes)
- Antoine Desrosières : Antoine
- Elizabeth Taylor
- …
Ceci sans compter ceux qui furent couper au montage, Françoise Arnoul, Maurice Baquet, Blanchette Brunoy, Leslie Caron, Paulette Dubost, Chiara Mastroianni, Mila Parély, Marie-France Pisier, Catherine Rouvel, …
Pour l’une de ses dernières réalisations, elle s’entoure d’un artiste avec lequel elle sympathise, faisant là encore preuve d’une jeunesse d’esprit sidérante, J.R.
Une femme engagée
Agnès Varda s’est engagée pour les droits des femmes, via ses films ou en se mobilisant. Elle fut ainsi parmi les signataires du Manifeste des 343, la pétition demandant la légalisation de l’IVG en 1971. Lorsqu’en 1977 sortit sur grand écran L’une chante, l’autre pas, Agnès Varda déclara:
« Il faut redonner aux hommes la place qu’ils ont dans la vie des femmes, c’est-à-dire pas la première place. C’est un peu dur à avaler… On peut peut-être le dire gentiment, mais je crois que la vie des femmes est faite de beaucoup d’autres choses que la vie des hommes »
Elle a aussi mené le combat à Cannes avec quelques autres pour réclamer l’« égalité salariale » dans le cinéma.
Son film L’Une chante, l’autre pas sorti en 1977 est probablement celui qui porte le plus son combat pour le féminisme. Le film raconte l’amitié entre Pauline (Valérie Mairesse) et Suzanne (Thérèse Liotard). Il porte à l’écran le regard des femmes sur leur place dans la société.
Sans toit ni loi est aussi un film féministe, la jeune fille se met en danger face au désir des hommes qui la recueille, comme le dit la réalisatrice dans les plages d’Agnès:
« J’essayais de vivre un féminisme joyeux, mais en fait j’étais très en colère. Contre les viols, les avortements clandestins, les excisions, les médecins qui obligeaient les filles à subir un curetage sans anesthésie. »
Elle aurait pu se faire connaître de son vrai nom Arlette Varda, mais choisit le prénom Agnès, son prénom d’artiste. Elle aurait pu s’appeler Agnès Demy ou Varda Demy lorsqu’elle épouse Jacques Demy, il n’en sera rien.
Son engagement va au delà de la seule cause féministe. Ainsi, Sans Toit ni Loi est un film particulièrement engagé pour la lutte contre la pauvreté. Agnès Varda s’étonnait, comme elle le confiait à Premières, des informations lues dans la presse locale, ces brèves qui commencent par « On a retrouvé le corps sans vie… » . Tel est le triste sort des femmes et des hommes errants, rejetés de tous et enveloppés dans la mort par une vague de froid. Ils n’étaient pas encore des milliers, on ne parlait pas même de SDF, les Restos du coeur n’existent pas encore, et la voix de l’Abbé Pierre ne se fait plus entendre. Agnès Varda en est choquée quand elle revient de Californie et cela devient le thème de son film.
Elle réalise aussi Black Panthers en 1968. Ce documentaire s’intéresse aux manifestations autour du procès de Huey Newton, leader des activistes noirs au temps où les Black Panthers avaient un programme et des projets, qui comprenaient des entraînement des troupes, des meetings, des danses et déclarations.
Sa dernière conférence de presse
Agnès Varda a tenu une dernière conférence de presse à la Berlinale 2019 où elle y présentait son dernier documentaire, à valeur évidente de testament: Varda par Agnès.
Cette conférence de presse est disponible en intégralité au lien suivant:
https://www.berlinale.de/en/im_fokus/videostreaming/06_streaming_long_versions_2019_57645.html?fbclid=IwAR32KGoQf0gXVMqSCV2uC7oBrcPKDAcGChnpyi1R4CUvO7JHuwPsQiTBn5w
De nombreux hommages prévus et à venir
Les obsèques d’Agnès Varda se tiendront, mardi 2 avril à 14 heures, au cimetière du Montparnasse, a annoncé samedi la Cinémathèque française dans un communiqué. Une cérémonie lui sera également consacrée le même jour à la Cinémathèque, qui déplore la perte d’une « amie incomparable » qui était « capable de faire cinéma de tout » et « n’a cessé de se déplacer et de se réinventer ».
D’autres hommages auront cours, comme celui rendu par la ville de Sète: mardi, la commune héraultaise lui rendra hommage en projetant tous ses films dans divers lieux de la ville, « toute la journée, toute la nuit, jusqu’à l’aube ». Agnès Varda était tombée amoureuse de Sète (Hérault), aussitôt qu’elle a posé sa caméra à la Pointe courte, pour tourner son premier film, en 1954, interprété entre autres par Philippe Noiret et monté par Alain Resnais, . Elle n’a jamais oublié l’Île singulière, où elle avait ses habitudes.
Il faut aussi s’attendre à ce que le documentaire Varda par Agnès, diffusé à la Berlinale et sur Arte en Mars sorte en salle, quoi qu’il soit déjà disponible, pour ceux qui l’ont manqué, en VOD sur Arte:
https://www.arte.tv/fr/videos/083976-001-A/varda-par-agnes-1re-causerie/
https://www.arte.tv/fr/videos/083976-002-A/varda-par-agnes-2e-causerie/
Enfin, il est très fort à parier que l’édition à venir du festival de Cannes accorde une large place à la mémoire d’Agnès Varda.