Pour nous, Tabatha Cash sera toujours la sublime et complexe Shalia de Raï -film aussi poignant que drôle, avec un nombre de punchlines impressionnants. A l’époque de la sortie du film (le meilleur de Thomas Gilou, co-écrit avec Cyril Collard), Tabatha Cash, aka Céline Barbe était LE personnage médiatique par excellence.
Raï, avec La haine, lançait la vague d’un nouveau genre : le film de banlieue. A posteriori, Raï est un rare film du genre à avoir un vrai personnage féminin. « Dans La haine, il n’y a pas de personnage féminin, parce qu’on ne les voit pas » dixit Matthieu Kassovitz. Dans Raï le personnage de Shalia ploie sous le joug de sa famille et de son environnement, tiraillée entre son envie de vivre à l’occidentale et le quartier dans lequel elle vit.
Encore domiciliée chez ses parents, elle est la seule de sa fratrie à avoir un travail, mais doit demander la permission à son père pour la moindre activité, quand elle n’est pas « persécutée » par son frère. Jeune et jolie (« la meuf la plus puissante de la cité ») elle croit aimer un ami de son frère, avant de se retrouver enserrée dans l’étau des traditions. Rarement un film n’a fait état de ce déchirement identitaire, car comme le disait Debbouze « Il y a encore pire qu’être un mec dans une cité, c’est d’être une fille dans une cité ».
Hormis ce film très marquant, si nous connaissions Cash, gamin(e)s que nous étions, c’était via ses fracassantes et nombreuses apparitions télévisuelles (NPA, Coucou c’est nous… etc). Pas une couverture de magazine sans elle non plus. Et pour cause : après la mode médiatique des top-modèles super-stars, les porn-stars s’affichaient mainstream. D’ailleurs, pour êtres honnêtes, on n’a connu que la Tabatha Cash « à la retraite » (du porno, à seulement 20 ans). Quand on n’était qu’un enfant -ou tout jeune ado- dans les années 90, il fallait voler les cassettes du vieux tonton pervers pour voir autre chose qu’une Tabatha autorisée au – de 18 ans.
Outre son étonnante prestation d’actrice dans le très bon et culte Raï, Mademoiselle Cash était l’animatrice, sur Skyrock, de l’émission concurrente à celle de Doc et Diffool de Fun Radio. Elle s’y distinguait par un cynisme et une violence verbale assez extrêmes, qui contrastaient avec sa voix enfantine et la douceur des traits de son visage. Autre fait notoire : elle fut la première à passer du rap sur Skyrock (qui, peu après, en fit son fond de commerce). D’ailleurs Cash était le personnage street par excellence : du rap, du bling, du matérialisme assumé, de la violence, de la prison, des pitts-bulls, de la boxe et des guns.
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Cash était un personnage romanesque et difficile à cerner. Des origines volontairement faussées et brouillées (tantôt japonaises, tantôt orientales, italiennes, africaines, quand ce n’était pas toutes ces origines en même temps), une répugnance revendiquée pour le monde du porno (où elle avait œuvré pour avoir « tout, tout de suite » comme dirait Booba), un passé trouble (des accointances passées avec Serge Ayoub aka Batskin, un tatouage d’extrême-droite qu’elle avait recouvert d’une rose), une disparition fulgurante et totale, suite à l’annonce d’une future maternité.
Elle aurait pu, forte de son premier rôle sur grand écran, enchaîner les vrais films, le rêve de beaucoup de ses confrères et consœurs -souvenez-vous de Traci Lords dans l’excellent Cry Baby de John Waters.
Pour ses adieux aux médias, alors, Cash fit des photos enceinte, une main de fatma autour du cou. D’ailleurs son fils s’appellera Mehdi, comme si elle était devenue Shalia, le personnage de Raï.
Et puis elle est revenue. En août de cette année 2014. Pourquoi ? Son mari, Franck Vardon, le rédacteur en chef de Hot vidéo est mort en janvier et l’affaire périclite. Vingt ans que l’on avait pas entendu parler d’elle médiatiquement parlant. Au Mag Cinéma, on avait réussi à savoir ce qu’elle était devenue, il y a quelques années : elle vivait en Floride, mère dévouée de deux enfants et se consacrait à la foi juive. Nous n’en avions pas parlé par respect pour son absolue volonté d’échapper à un passé dont même ses enfants n’étaient pas au courant. Car quand elle avait fui, prête à vivre une vie à l’opposée de celle qu’elle avait menée, il était encore possible de totalement disparaître, de tout cacher d’un passé. En 1995, année de sa disparition, internet n’existait pour ainsi dire pas.
Mais, forcée par les lois du destin, Céline Barbe épouse Vardon a du reprendre les rênes d’une magazine dédié à ce à quoi elle voulait échapper. Elle doit se monter aux médias qu’elle avait tant fui. Elle figure dans un joli portrait de Libération ainsi que dans un reportage du Supplément de Canal + et des interviews filmées où les journalistes n’ont pas manqué de souligner son mystère et ses contradictions*. Drôle de parcours.
* : pour ceux qui se sont cassés la tête pendant 20 ans à savoir quelles étaient ses origines, Céline Barbe/Tabatha Cash… Elle est née d’un père noir martiniquais et d’une mère sa mère, «française blonde aux yeux verts». «Rien de rebeu chez moi» dixit Mlle Cash.