Restaurations de films, rétrospectives, et même une exposition organisée à la Cinémathèque française (du 8 novembre 2017 au 29 juillet 2018) : impossible d’échapper à l’œuvre d’Henri-Georges Clouzot ! Il faut dire qu’en à peine douze longs métrages, le réalisateur s’est forgée une réputation à la hauteur de son talent. Original, pourvu d’un fort tempérament, spécialiste des tournages difficiles, le cinéaste affirme dans chacun de ses films une maîtrise et un sens de la composition qui demeurent au sein du cinéma hexagonal quasi-inégalables. Profitant de ces nombreux évènements Le Mag Cinéma vous propose un petit retour sur la filmographie de ce maestro à la française.
On murmure dans la ville
Le nom d’Henri-Georges Clouzot est souvent lié au cinéma de l’occupation et à celui de l’après-guerre. C’est en effet durant cette période qu’il réalise son premier film, L’Assassin habite au 21 (1942). Avant cela, Clouzot a été journaliste, assistant réalisateur pour Anatole Litvak et Ewald André Dupont. C’est en Allemagne qu’il fait ses premières gammes, supervisant la version française de plusieurs métrages (à l’époque, on ne doublait pas mais on retournait les films, plan par plan, en changeant simplement les acteurs). Mais c’est d’abord par son talent de dramaturge que Clouzot se distingue. Il collabore ainsi au scénario de nombreux films, et écrit quatre pièces de théâtre entre 1940 et 1943. Ce goût pour l’écriture, le réalisateur ne l’abandonnera jamais et travaillera de façon active sur les scénarios et les dialogues de tous ses films.
Dès L’Assassin habite au 21, Clouzot fait montre d’un talent certain pour la mise en scène. Sous la tutelle de la Continental-Films (société crée par Goebbels en 1940 dans le but de contrôler la production cinématographique française), le cinéaste réalise un film sombre hanté par la présence d’un mystérieux tueur. Cette atmosphère angoissante réapparait dans Le Corbeau (1943), véritable pamphlet contre l’hypocrisie et la délation, thématiques ô combien controversée dans la France occupée, mais aussi dans celle de la Libération prompte à expier ses fautes du passé. Comme l’a bien résumé Olivier Barrot, Le Corbeau « exhale des senteurs délétères » et apparaît en définitive comme un « traité de l’abjection très mal pensant » (Olivier Barrot, Tout feu tout flamme, Cahiers du cinéma, 2012).
Bien que soutenu par Sartre et Camus, l’accueil réservé au Corbeau oblige Clouzot à se retirer du métier jusqu’à 1947 et Le Quai des Orfèvres, nouveau film policier qui obtiendra le prix de la Mise en scène au festival de Venise.
Si la France est à présent libérée, Clouzot, lui, ne cesse pas de filer ses thématiques de prédilection. La petitesse de l’Homme et de sa morale, la relativité de la foi gangrénée par l’arrivisme social. Ces problématiques ne prennent jamais la forme d’un quelconque discours didactique, mais sont comme murmurées, au creux des images, à la faveur d’un simple passage. Pour Jacques Lourcelles : « le pessimisme de Clouzot n’est pas celui d’un idéaliste, épris d’absolu. Clouzot était persuadé au contraire du relativisme de toutes choses Aussi tenait-il à voir et à montrer ses personnages dans leur décor, dans leur atmosphère, dans leur jus » (Jacques Lourcelles, Dictionnaire du cinéma. Les films, Éditions Robert Laffont, Collection « Bouquins », 1992).
C’est un groupe fracturé par la jalousie et le désir (Le Salaire de la peur, 1953), un tandem féminin prêt à tout pour récupérer sa liberté volée (Les Diaboliques, 1955), une micro-société piégée par les apparences (Les Espions, 1957). De fait, chez Clouzot le rapport, surtout lorsqu’il est amoureux, ne peut se résoudre que dans la tragédie, marqué par les soubresauts de l’Histoire (Manon, 1949), ou entravé par le tentaculaire tissu social. Bien que parfois heureuse, la fin ne peut se départir des terribles épisodes qui l’ont fait advenir.
La constance de Clouzot le démarque sans nul doute d’un grand nombre de ses contemporains. Bien qu’enclin à l’étrange et à la description d’un environnement urbain oppressant, son cinéma se distingue du réalisme poétique de Marcel Carné, de l’engagement politique de Julien Duvivier, ou du fantastique de Christian-Jaque. Difficile de ne pas lui céder le statut d’auteur, lorsque l’on prend en considération l’entièreté de son œuvre. Cette homogénéité force à battre en brèche les idées reçues véhiculées par les jeunes turcs de la Nouvelle Vague au sujet du cinéma français des années quarante et cinquante. Clouzot, membre du « cinéma de papa » ? Certainement pas.
Art(s)
Au-delà de leur cohérence, ce qui marque lorsque l’on découvre les films de Clouzot c’est leur incroyable acuité visuelle. Les reflets du Quai des Orfèvres, les ombres marquées du Corbeau, la caméra subjective de L’Assassin habite au 21 soulignent la présence d’un maniériste concerné. Maniériste car Clouzot a quelque chose de l’esthète, concerné parce qu’il ne cède jamais à l’art pour l’art mais cherche toujours à ancrer sa recherche du beau dans une approche documentaire de la réalité.
Cette ambition passe d’abord par un intérêt certain pour la pratique artistique : le music-hall (Le quai des Orfèvres), le théâtre (Miquette et sa mère, 1950), la musique (Grands Chefs d’orchestre, 1967), la photographie (La Prisonnière, 1968), et bien sûr la peinture. François Truffaut avait pu ainsi décrire le Mystère Picasso (1956) comme « un dessin animé plus beau à voir que d’ordinaire, inhabituel et poétique » (François Truffaut, Les films de ma vie, Flammarion, Collection « Champs arts », 2007). Cette vision élargie du cinéma permet au réalisateur de travailler la structure de ses films selon des modalités multiples ; un aspect qui transparait notamment dans le tempo très rythmé de son montage conférant à certaines séquences la dimension d’un musical.
Les recherches formelles de Clouzot peuvent parfois toucher aux marges de l’expérimental. Ainsi de son film inachevé, L’Enfer dont Serge Bromberg et Ruxandra Medrea ont tiré en 2009 un très beau documentaire, L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot, montage des rushs d’origine ponctué de nombreux entretiens. Clouzot joue avec les lumières, les couleurs, les sons, et les mouvements de caméra pour approfondir le sens de ses récits à travers la matière de leurs images. L’écran apparait alors comme une surface plastique prompte à recueillir les impressions visuelles d’un réalisateur devenu le maître d’un art syncrétique et total.
Pour retrouver les informations concernant l’exposition et la rétrospective organisées à la Cinémathèque française, c’est par ici. Rappelons par ailleurs à nos amis strasbourgeois que le cinéma l’Odyssée propose un cycle Clouzot du 8 novembre au 12 décembre 2017. Quant aux lecteurs qui souhaiteraient approfondir leurs connaissances, nous leur recommandons l’ouvrage de José-Louis Bocquet et Marc Godin, Clouzot cinéaste, publié en 2011 aux Éditions de la Table ronde. [amazon_link asins=’2710368668′ template=’ProductCarousel’ store=’lemagcinema-21′ marketplace=’FR’ link_id=’e271fb89-c98a-11e7-b6c0-578ccf5c73d1′]