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Le cinéma russe est-il un bon prof d’Histoire ?

Connaître l’Histoire en allant au cinéma est-il d’une source sûre ? A travers les époques, les réalisateurs sont nombreux à avoir traité des sujets historiques récents ou anciens, comme la guerre, la politique, les événements qui ont marqué leur pays. Films de fiction ou documentaires représentent une masse d’images et de points de vue, mais l’objectif de la caméra n’est-il pas éminemment… subjectif ?

Le cinéma russe est-il un bon prof d’Histoire ? Tel était le sujet de la table ronde du festival du cinéma russe à Honfleur. A cette conférence animée par Joël Chapron, responsable à Unifrance des films d’Europe centrale et orientale, étaient conviés :

Pour introduire les débats, Joël Chapron indique que, dans l’histoire du cinéma russe mais également dans celle des pays de l’ancien bloc de l’est, les premiers films historiques racontaient l’histoire d’un pays. Cette perception originelle a ensuite évolué dans le temps notamment en fonction des régimes politiques. Ainsi l’étatisation du cinéma russe en 1919 a été accompagnée d’un regard cinématographique plus politique, parfois biaisé, sur ce qu’était la Russie.

L’exemple emblématique de cette époque est sans nul doute Octobre (1927) de Sergueï M. Eisenstein. Un film de commande de l’État qui ne reflète pas la réalité de la révolution russe. Il serait aujourd’hui réalisé différemment tout comme il l’aurait été si une nouvelle version d’Octobre avait été tournée durant la perestroïka.

Vers une nouvelle adaptation de Guerre et paix ?

Et de rajouter qu’après la seconde Guerre Mondiale, le cinéma russe s’attacha à mettre en avant des figures politiques, telle celle de Pierre le Grand. L’idée était alors de rapprocher le peuple soviétique à leur histoire nationale. L’adaptation cinématographique en 1967 par Sergueï Bondarchuk de Guerre et paix, célèbre roman de Léon Tolstoï, relevait de cette stratégie. Cette adaptation russe fut aussi une réponse à celle réalisée une décennie plus tôt par King Vidor, auteur d’une version américaine qui ne convenait pas aux autorités soviétiques de l’époque.

Avant de confesser que son Ainsi firent les étoiles est un film de commande de Noursoultan Nazarbaïev, président kazakh, Serguei Snezkhine précise que l’adaptation de King Vidor du livre de Léon Tolstoï était jugée incorrecte par le gouvernement soviétique. Et, bien que le long métrage de Sergueï Bondarchuk soit très novateur par rapport au regard de l’Histoire, Serguei Snezkhine ne serait pas étonné que le ministère de la culture russe passe commande d’une nouvelle adaptation au cinéma de ce chef-d’œuvre de la littérature russe ! Travaillant actuellement à l’adaptation d’une nouvelle de Fiodor Dostoïevski, l’auteur de Ainsi firent les étoiles se porterait volontiers candidat pour réaliser cette nouvelle mouture. Au casting, un rôle important pourrait être attribué à l’acteur Alekseï Guskov présent à Honfleur.

De l’usage de sources d’informations diverses

Sur la dernière décennie, Sitora Alieva considère que le cinéma russe a renforcé son rôle de média d’apprentissage. Elle constate ainsi que la jeunesse actuelle de la Russie connaît l’histoire de son pays principalement, voire uniquement pour certains jeunes, grâce au cinéma. Pour exemple, elle évoque le film d’Alekseï Mizguirev, Le duelliste [au programme du festival Honfleur 2016, N.D.L.R.], qui propose une vision du Saint-Pétersbourg de 1860 que le public n’attendait pas. Si Serguei Snezkhine reproche à ce long métrage la mise en avant d’un personnage qui n’a jamais existé, Sitora Alieva perçoit que la valeur ajoutée du Duelliste réside dans la vision contemporaine et moderne d’un jeune cinéaste.

Pour sa part,  Alisa Strukova tient à souligner que tous les films historiques sont réalisés sur la base de manuscrits postérieurs aux faits narrés. Il est dès lors primordial d’analyser et de comparer des sources d’informations différentes. Aucunes ne doivent être négligées, y compris celles émanant de projets réalisés sur commande. La confrontation de ces sources est essentielle et ne doit jamais être galvaudée. Alisa Strukova met cependant en garde. L’analyse précitée ne peut être pertinente que lorsque l’origine de l’information est connue. Enfin, l’autre facteur de succès est de tenir compte du contexte de l’époque abordée et de celui du public visé.

Sans nier l’importance des sources d’informations, Serguei Snezkhine estime qu’il ne peut pas y avoir de cinéma historique sans parler de peinture et de littérature.

Documentaires et films « dirigés »

Selon Joël Chapron, malgré leur constante évolution, les films historiques russes étaient « dirigés » jusqu’à l’avènement de la perestroïka. Nous retrouvons cette caractéristique de façon encore plus prégnante dans les documentaires soviétiques où certaines choses ne pouvaient être montrées dans le champ de la caméra. C’est ainsi que la vie quotidienne durant la seconde Guerre Mondiale n’a jamais été filmée. Cette lacune a été comblée durant de longues années par l’utilisation comme un documentaire de Vingt jours sans guerre (1977) d’Alekseï Guerman, pourtant œuvre de fiction.

Cette situation passée n’est pas totalement révolue. Annette Gourdon note depuis deux ans un changement fort. S’il n’y a pas d’interdiction de filmer Moscou, filmer la capitale russe et ses rues devient plus difficile pour les documentaristes. Il est demandé à ces derniers d’être de plus en plus patriotes. Pour la réalisatrice de URSS, la désintégration, ce changement est une « sensation presque organique« .

Le mot de la fin revient à Joël Chapron qui indiqua que le cinéma historique est avant tout affaire de reconstruction, de reformation et, pour reprendre une formule russe, que « même le passé est imprévisible« .

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