Un film de Gaël Morel
Avec: Théo Christine, Lou Lampros, Victor Belmondo, Noah Deric, Amanda Lear, Elli Medeiros, Stéphane Rideau
Emma aime Sammy qui aime Cyril qui l’aime aussi. Ce qui aurait pu être un marivaudage amoureux à la fin du siècle dernier va être dynamité par l’arrivée du sida. Alors qu’ils s’attendaient au pire, la destinée de chaque personnage va prendre un virage inattendu. Quand on vous dit que vous allez mourir, et que finalement, la médecine vous sauve, comment accueillir cette nouvelle vie ? Est-ce une prolongation ou un nouveau départ ?
Notre avis 1: **
Gael Morel, comme pour chacun de ses films, nous parle avec émotions et sincérités, de sujets intimes. Son cinéma rappelle le meilleur de Téchiné, celui qui l’a fait (Les roseaux sauvage, probablement le meilleur film de Téchiné, où sa sensibilité débordait aux côtés d’une autre débutante, Elodie Bouchez). Il prend le temps de présenter ses personnages, de nous dire qui ils sont, ce qu’ils pensent, ce à quoi ils aspirent, et surtout la période de vie qu’ils traversent. Les films gays & lesbiens s’intéressent le plus souvent à la question du désir, aux histoires d’amour vu sous l’angle de l’attractivité, mais aussi aux regards extérieurs, à la question sociétale que ces « autres désirs » comme ils sont parfois appelés suscitent chez les plus conservateurs. Gael Morel, lui, ne pense qu’à nous raconter des tranches de vie, le plus souvent de manière très douce, en questionnant en premier lieu le sentiment, l’amour, et le théorise, comme le faisait si bien également Rohmer. Vivre, Mourir, Renaître n’échappe pas à la règle. Bien construit, adoptant un rythme adapté à l’histoire narré, nous faisons tour à tour connaissance avec chacun des personnages. Un photographe discret, poli, particulièrement bien interprété par Victor Belmondo, et un jeune ménage qui vient de mettre au monde un enfant. Tous s’attirent, et pensent à vivre. Le récit ne semble nullement artificiel, très étayé puisqu’issu de l’expérience intime de Gael Morel lui-même. La sensibilité du réalisateur se respire, se voit à l’écran; les dialogues respirent l’intelligence et l’appétit pour la vie, et la culture. Sur la forme, Morel ne prend certes pas beaucoup de risque, tout au plus il revisite la scène mythique de Mauvais Sang de Carax (voilà qui aurait de quoi plaire à Gerwig qui elle même l’a revisité dans Frances Ha), mais il s’attache à garder un bel équilibre tonal, et narratif, pour mieux nous rapprocher des épreuves traversées. Moins puissant que Happy Together, moins Pialesque que les Nuits Fauves, moins glauque que les récits de Jacques Naulot, il partage avec eux l’ambition de nous transmettre avec justesse de émotions, des ressentis, et des épreuves, avec sincérité et sensibilité.
Notre avis 2: *
Vivre, mourir, renaître de Gaël Morel nous renvoie dans un temps incertain, entre la fin des années 1980 et les années 2000, quand rôdait encore l’ombre du VIH sur des relations sexuelles libres. Il y a un hommage lointain aux Nuits Fauves de Cyril Collard ou à 120 battements par minutes de Robin Campillo, mais avec moins de passion, avec une suspension hors du temps de la peinture de la relation entre les trois protagonistes. Si Vivre, mourir, renaître semble rester dans une zone de confort, et boucler un cycle de films sur le Sida, c’est peut-être, et c’est la bonne nouvelle, parce que l’on en meurt beaucoup moins. Mais que reste-t-il alors à dire sur cette question ?
L’interprétation naturelle et à contre-emploi du couple homosexuel interprété par Victor Belmondo et par Théo Christine (connu pour des rôles de banlieusard revêche de Suprême à Vermines et qui ici surprend) donne sa dynamique à une mise en scène plutôt classique quoiqu’efficace. Il y a quelque chose d’une liberté et d’une douceur inactuelles dans le couple à trois (le trouple) formé par Sammy (excellent Théo Christine), Cyril (non moins brillant Victor Belmondo) et Emma (Lou Lampros à qui les faux airs de Scarlett Johansson et le courage invraisemblable confèrent une aura qui en fait in fine, le personnage fort de l’histoire, du moins celui qui a le dernier mot). Des scènes de vie ou de nus rappellent précisément les relations décomplexées des années 1980-1990, dans la continuité des Valseuses de Bertrand Blier.
La mise en scène sur le fil du rasoir de cette comédie de mœurs passe habilement entre les gouttes du pathétique, du tragique et du vaudeville, sans minimiser les atermoiements ni les errements des personnages mis face à leur destin, qui passe du plaisir à la sanction implacable par la mort. Le grand mérite de Gaël Morel est d’aborder plusieurs questions sensibles dont certaines n’ont pas ou peu été traitées : la gestion du VIH dans la famille, la bisexualité dans le couple, la fidélité dans le couple à trois, l’éducation des enfants de parents atteints de VIH. Ces sujets qui découlent en cascade de la problématique du VIH dans les relations homosexuelles sont assez organiquement articulés, et rendent le film vraisemblable, intéressant, émouvant sans pathos en dépit de quelques moments creux.
Les décors liés aux années SIDA et peut-être par Éte 85 de François Ozon, créent une atmosphère désuète et atemporelle, vintage, et sont répartis en quelques sous-décors qui rythment la narration. Le métier de photographe de Cyril est aussi l’occasion, sans entrer dans le vif du sujet, de proposer une réflexion sur l’inspiration et le rapport de la création à la mort. En dépit du poncif du thème faustien de l’artiste maudit, sulfureux parce que mourant, les scènes de « désir » sont saisissantes, grâce au talent des deux comédiens et du duo qui fonctionne.
Ainsi, sans toutefois atteindre un haut degré permettant à ce film de concourir dans la catégorie des grands films sur le couple ou sur le Sida, quelques moments presque télévisuels faisant retomber l’envolée lyrique ou tragique ou le questionnement qui se devine, Gaël Morel réussit à traiter un triple sujet délicat en le rendant plaisant et sensible, sans excès de pathos, grâce à une réalisation de bonne facture.