Un film de Matteo Garrone
Avec: Seydou Sarr, Moustapha Fall, Bamar Kane, Didier Njikam, Ibrahima Gueye
L’incroyable odyssée de deux jeunes Sénégalais en route vers l’Italie.
Notre avis: **
Matteo Garrone oublie, en apparence, pour un temps (long espère-t-on) le virage que son cinéma a pu opérer ces temps derniers, du côté du conte de fées, des histoires intemporelles et universelles qui parlent à petits et grands, pour revenir pense-t-on, comme pour ses premières œuvres, à un cinéma plus proche de la réalité, de l’actualité, du quotidien mais aussi, espère-t-on, du côté de ses références en matière de cinéma italien. En s’attaquant au sujet de la crise migratoire, en suivant les pas de deux jeunes Sénégalais dans leur parcours pour rejoindre l’Europe, démarrer une vie nouvelle, loin de le leurs racines et de leurs horizons bouchés, pour vivre leur rêve, nous pensons, que l’imaginaire ne trouvera que peu de place face à l’urgence de la situation, à l’importance du drame qui se joue et à son caractère hautement sensible. Toute fable nous semble interdite. Après Agnieska Holland qui pose son regard certes alertant et intense, nous attendons plus de vérité, plus d’éléments tangibles qui nous permettent de rentrer en empathie avec les personnages, la cause défendue (rappelons que l’Italie est passée depuis peu sous une gouvernance d’extrême droite, avec des postures anti-migratoires qui trouvent leur auditoire dans une population craintive, et qui a vu de nombreux drames se dérouler du côté de Lampeduza avec une certaine inertie et inexorabilité qui fait froid dans le dos). A ce niveau, il nous semble que le récit de Moi, Capitaine comporte moins de détails rocambolesques, pensé pour rajouter du pathos au pathos, que n’en comporte The green border … Garrone parvient à éviter ce premier écueil. Il évite également de proposer une image qui puisse là aussi appuyer le pathos, comme il évite de proposer un récit qui soit parfaitement premier degré, et qui ne s’autoriserait aucune fantaisie. Bien au contraire, il parvient à proposer quelques instants de grâces, hallucinatoires, dans les moments les plus durs, après qu’il eut réussi dans une première partie où il expose ses personnages dans leur cocon familial, dans leur habitat naturel, à ne pas trop user de clichés. D’ailleurs, comme souvent chez Garrone, l’image en elle même, la photographie très travaillée confère au récit une forme très cinématographique, mettant en avant des couleurs lumineuses et chatoyantes au Sénégal, la beauté des paysages désertiques, les dunes du Sahara … Oui mais voilà … quelle vérité retenir de tout ceci ? Quelle force et quelle intensité en ressort-il ? Parvient-on à rentrer dans le récit, à y croire, à rentrer en empathie avec les personnages ? Hélàs, Garrone, s’il ne surcharge pas son récit, tombe dans l’écueil inverse, celui de la simplification façon Petit Prince, apportant ici une lecture dérangeante pour qui voudrait que le caractère tragique puisse apparaître dans sa dimension la plus juste, c’est à dire, ni appuyée, ni sublimée, juste renseignée, crédible et concrète. Pour l’heure, la forme proposée, au niveau de l’image, ou même de la musique, se tourne bien trop du côté « positif », « lumineux » qui semble très inadapté pour porter un message politique, rendre compte, et même émouvoir. Le récit lui même comporte des facilités que l’on ne retrouve que dans les plus beaux Disney, qui permettent de proposer des instants de repos, peut être pas de bonheur, mais des éclaircies dans un horizon qui appelle au pire. Ainsi, nos deux héros un temps séparé se retrouveront magiquement (ah la magie du cinéma) comme on pourrait retrouver une aiguille dans une botte de foin, ainsi, au moment où tout semble perdu, et par deux fois, la providence viendra changer le destin de l’un de nos deux héros, et lui permettre de reprendre espoir dans sa quête. Moi, Capitaine vise délibérément le grand public, à ne pas transmettre trop d’émotions dérangeantes, à entraîner à travers l’espoir qu’il maintient vivant jusqu’à sa scène finale, ouverte, que certains liront positivement quand d’autres y retiendront, le revers ultime de la médaille, le fameux message, enfin noir, envers les politiques d’accueil offertes au migrant. Toujours est-il que ce choix des producteurs (et de Garrone lui même probablement) nous transforme un potentiel bon film à sujet en œuvre insipide, qui oublie en chemin l’importance du sujet politique que son sujet comportait.