Le film d’animation Sky Dome 2123 réalisé par Sarolta Szabó et Tibor Bánóczki a fait évènement lors de sa projection en avant-première en ouverture du Festival National du Film d’Animation. Très attendu et très remarqué partout où le film a été diffusé, Sky Dome 2123 sortira en salle ce mercredi 24 Avril dans nos salles de cinéma en France. Il devrait toucher un large public, en ce qu’il constitue une alternative très crédible pour les cinéphiles amateurs de science-fiction à ce qui se fait de mieux en la matière (Il n’y a pas que Dune …). Le film présente surtout la singularité d’afficher de très hautes ambitions sur tous les plans, du scénario, en passant par la technique d’animation, l’image, mais aussi et surtout la mise en scène, très inspirée et inspirante.
2123. Dans un futur où la sécheresse a ravagé la Terre, l’humanité est contrainte de sacrifier une partie de la population : toute personne de plus de 50 ans sera transformée en arbre. La société est régie par des règles impitoyables. Le jour où Stefan voit sa femme condamnée prématurément par le système, il décide de prendre les plus grands risques pour changer son destin.
Sarolta Szabó et Tibor Bánóczki ont bien voulu répondre à nos questions, et partagent avec vous quelques secrets de fabrications et notes d’intentions.
Il s’agit de votre premier long métrage … Qui ne manque absolument pas d’ambition … Est-ce que vous en aviez conscience le jour où vous vous êtes dits on y va, c’est ce film là que l’on va faire ?
Vers 2014, 2015, nous avons senti qu’après nos courts métrages, nous avions atteint le moment où nous étions prêts à utiliser toutes nos connaissances et notre énergie pour commencer un long métrage, ce qui a toujours été un rêve commun pour nous. À cette époque, nous avons développé différentes idées de longs métrages sur des sujets qui nous intéressaient. L’idée de Sky Dome 2123 s’est cristallisée en 2015 et nous avons sauté à pieds joints dans le défi. C’était le moment ou jamais pour nous.
Pourquoi ce changement de titre entre Sky Dome 2123 et White Plastic Sky?
Le changement de titre du film était une idée du distributeur français du film, KMBO. Lorsqu’ils nous ont fait part de leur proposition, nous nous sommes dit que puisqu’ils sont des experts du marché du film français et qu’ils connaissent bien le public français, nous devions leur faire confiance. Nous sommes extrêmement heureux que le film ait atteint les salles de cinéma françaises en plus des différents festivals français, c’est une chose merveilleuse pour nous en tant que réalisateurs, nous espérons que ce nouveau titre aidera le film dans son voyage en France.
Il n’est vraiment pas facile de distribuer des films d’animation pour un public adulte, même en France, qui est probablement la nation la plus friande d’animation en Europe. Le changement de titre vise le public de la science-fiction plutôt que celui de l’animation.
Vous êtes tous les deux crédités comme Scénariste, Réalisateurs, en charge des prises de vues et du Story Boarding. Comment vous êtes vous réparti les rôles, et comment travaillez vous tous les 2 ensembles. Est-ce toujours simple entre vous ?
Nous avons réalisé plusieurs courts-métrages et clips musicaux ensemble avant de nous lancer dans ce projet. Bien sûr, la réalisation d’un long métrage était un monde complètement différent. Nous avons dû travailler sur une histoire plus vaste et plus complexe, nous avons pu travailler avec une plus grande équipe, nous avons tourné des scènes d’action en direct et le fait de travailler en coproduction avec un pays différent a également apporté de nouveaux défis. La complexité du travail et la pression ont augmenté de manière significative et ces nouvelles expériences ont agi comme un catalyseur pour nous.
Nous partageons toujours le travail dans tous les domaines – écriture, réalisation, conception, cinématographie – et nous pensons que des dialogues continus, des brainstormings et des retours immédiats sur toutes les idées peuvent produire de bons résultats dans le travail d’équipe. Bien sûr, nous ne sommes pas d’accord sur beaucoup de choses au quotidien, mais pendant la communication, nous essayons toujours de garder à l’esprit que la discussion ne doit pas devenir une simple bataille d’egos. Nous nous faisons confiance et respectons les connaissances, les goûts et le talent de chacun. L’essentiel est que les idées qui contribuent le mieux à l’amélioration du projet obtiennent le feu vert.
Le film s’inscrit dans la tradition de l’animation hongroise, qui se porte bien avec la palme d’or du court métrage l’année dernière pour 27. Cela était important pour vous de faire votre premier long en Hongrie ?
Il est très difficile de lancer un long métrage d’animation, surtout lorsque les réalisateurs veulent faire leur premier film. Alors que dans le milieu du cinéma en prises de vues réelles, il est naturel pour les réalisateurs de faire un long métrage après quelques courts métrages, dans le domaine de l’animation, ce n’est pas un parcours aussi évident – de nombreuses personnes travaillent exclusivement sur des courts métrages ou/et des séries tout au long de leur carrière.
En général, les réalisateurs tournent toujours leurs premiers longs métrages dans leur pays d’origine, ce qui est compréhensible, car il est dans l’intérêt de chaque pays de cultiver ses talents. À l’époque où nous avons commencé ce film en Hongrie, le soutien aux films d’animation hongrois n’était pas idéal (malheureusement, la situation ne s’est pas améliorée depuis), mais il y avait un concours pour les réalisateurs débutants – le programme Incubator de l’Institut national du film de Hongrie (NFI) – , où nous avons obtenu un budget minimal pour le projet. Ensuite, nous avons impliqué un producteur slovaque et le Slovak Film Fund, et comme le NFI a vu plus de potentiel dans le film, nous avons pu demander un soutien supplémentaire en Hongrie. En tant que coproduction hongroise et slovaque, nous avons ensuite demandé avec succès un soutien à Eurimage. De cette manière, nous avons réussi à augmenter notre budget à 2 millions d’euros – pendant la production -, ce qui était une situation inhabituelle, car pendant longtemps nous ne savions pas exactement quel serait le budget final, mais le film était déjà en cours de réalisation.
Votre histoire se déroule à Budapest. Tout comme les Américains ont pu le faire (sans se poser trop de questions) avec New York ou Los Angeles à de nombreuses reprises. Était-il important pour vous de situer votre histoire géographiquement, plutôt que de viser une forme d’universalisme ?
Au tout début du développement, nous avions imaginé que le film se déroulerait quelque part sur Terre, dans un pays non spécifié, mais il est vite apparu que ce n’était pas une bonne approche pour cette histoire. L’utilisation du médium de l’animation pourrait être sans limite pour concevoir une ville futuriste, mais nous ne voulions pas créer un look très science-fiction car nous pensions que cela irait à l’encontre de notre histoire d’amour. La relation humaine est au cœur de l’histoire, le design doit être construit autour d’elle et non l’inverse. Un design de science-fiction lourd désorienterait et détournerait l’attention de nos personnages.
C’est sur la base de ces réflexions que nous avons réalisé que nous devions choisir la Hongrie et la Slovaquie comme lieux de tournage, des endroits que nous connaissons très bien. La destruction de notre pays a eu de nombreuses résonances avec les questions politiques actuelles. Dans notre film, Budapest s’isole du reste du monde. Nous pouvons voir cela dans notre politique étrangère actuelle. On peut donc dire qu’un dôme peut être construit au-dessus d’un pays de manière invisible. Nous avons également beaucoup réfléchi à ce qui pourrait se passer si notre gouvernement annonçait une durée de vie de 50 ans. Est-ce que nous, les Hongrois, descendrions dans la rue pour manifester ou nous contenterions-nous de l’accepter en silence ?
Vous avez travaillé en France sur des courts métrages avant de pouvoir réaliser ce long en Hongrie. Que vous a apporté l’école d’animation française ? Et plus généralement votre parcours d’apprentissage en Europe ?
Après avoir obtenu notre diplôme en Hongrie, nous avions un fort désir d’explorer le monde – nous voulions étudier, travailler et vivre à l’étranger. Nous avons donc déménagé à Londres en 2005, où nous avons tous deux suivi une formation, Sarolta au Royal College of Art en photographie d’art, et Tibor à la National Film School en direction d’animation. C’est à cette époque que nous avons commencé notre partenariat artistique en nous concentrant principalement sur des projets d’animation.
Nous avons déménagé de Londres en France lorsque nous avons eu l’opportunité de réaliser un court-métrage au studio Folimage et que « Les Conquérants » est né, puis nous avons réalisé le film « Leftover » avec Paprika Films et Ciclic.
Ces années ont été très importantes car nous avons noué de nombreuses relations professionnelles avec des personnes avec lesquelles nous avons travaillé à maintes reprises depuis lors. En France, nous avons appris à connaître l’environnement professionnel des studios et avons acquis beaucoup d’expérience dans la réalisation de courts métrages, ce qui nous a servi de base lorsque nous nous sommes lancés dans le long métrage. En outre, bien sûr, de nombreuses amitiés sont nées, que nous chérissons depuis lors.
En France, nous connaissons l’école hongroise d’animation depuis les années 80, notamment René Laloux et « Les Maîtres du temps » … Est-ce l’un des films qui vous a inspiré ?
Ce film a été une expérience cinématographique déterminante de notre enfance à tous les deux ! Nous avions environ huit/dix ans lorsque nous avons vu pour la première fois « Les Maîtres du temps« , qui rétrospectivement était un film assez sérieux et inattendu. À l’époque, on ne se souciait pas vraiment de la classification par âge des films, et nous avons donc adoré et redouté chaque instant de ce film au cinéma et lu la bande dessinée qui en est tirée au moins une fois par mois. Avec le recul, on peut s’étonner que le film ait été diffusé en Hongrie, qui se trouvait à l’époque derrière le rideau de fer (les dessins animés du film ont été réalisés au studio de cinéma Pannónia à Budapest), car le message du film était en contradiction flagrante avec le système politique hongrois de l’époque. « Abolir l’unité de l’uniformité ! Il n’est pas étonnant que le changement de régime en Hongrie ait eu lieu peu de temps après…
D’une manière générale, partagez-vous des références inspirantes dans vos intentions, qu’elles soient graphiques/ picturales, artistiques, littéraires, et pourquoi pas du côté des écrits ou des films de science-fiction ?
Le thème de la métamorphose – l’existence entre différentes formes de vie – est un motif ancien qui apparaît dans différentes cultures et formes d’art. Des Métamorphoses d’Ovide au septième cercle de l’Enfer de Dante, en passant par les récits mythologiques de Philémon et Baucis. De nombreux récits, personnages et œuvres d’art visuel nous ont influencés au cours du processus de développement.
Les hybrides de plantes et d’humains sont les plus poétiques et les plus intrigants. L’humanité pourrait-elle comprendre une autre forme de vie ? La vie végétale semble beaucoup plus secrète, cachée, avec apparemment plus de facteurs inconnus que la vie animale, et bien qu’il y ait de plus en plus d’études sur la façon dont les arbres et les plantes se sentent et communiquent, cela reste un mystère. Nous regardons avec une crainte constante la tranquillité majestueuse des arbres, nous admirons leur existence apparemment éternelle, puisque certains d’entre eux ont commencé leur vie terrestre il y a plus de 5 000 ans, ils sont donc plus anciens que n’importe quelle civilisation humaine ancienne. Ce type de vie est encore presque inimaginable pour nous, les humains.
Les films de science-fiction de haut niveau font toujours référence ou plutôt prévoient les problèmes et les crises du monde et partagent indéniablement certains motifs communs que les réalisateurs veulent déballer de temps à autre. Bien que des films comme Soylent Green ou Logan’s Run traitent de motifs similaires à ceux du Sky Dome 2123, du problème de la production alimentaire, du vieillissement, etc.
Le scénario que vous proposez entremêle espoir et désespoir, une dystopie et une romance. Il y a tout à la fois un récit de fin du monde comme ont pu écrire Abel Ferrara (4h44 dernier jour sur Terre), David Mackenzie (Perfect sense), Lars Von Trier (Mélancholia) et quelques autres, un récit dystopique qui interroge la fin de vie et la transformation du corps et de l’âme humaine (on pense aux obsessions de Lanthimos (Lobster)) dans un monde futuriste qui amplifie les travers de notre époque (on pense au regard de Jessica Haussner (Little Joe))
On y retrouve aussi un schéma récurrent dans de nombreux films de science fiction, où un héros traverse un miroir ou un espace intersidéral pour entrer dans un monde parallèle, virtuel, en résonance avec le monde actuel, et se lance dans une quête pour sauver sa bien aimée voire l’humanité tout entière.
D’où diriez vous que votre histoire provient et comment avez-vous travaillé son équilibre ?
La pierre angulaire de notre film était que nous ne voulions pas montrer l’arrivée de la catastrophe finale sur la Terre, mais que nous étions curieux de savoir ce qui se passait APRÈS la catastrophe. Nous voulions raconter quel genre d’avenir attend une minuscule société de survivants sur une planète morte après la disparition de l’humanité et l’extinction complète de la flore et de la faune.
Il était important pour nous que nos héros soient des personnes vulnérables de tous les jours, et non des surhommes intrépides. Nos protagonistes sont un couple marié dont la relation est en crise et qui découvre le monde extérieur tout en reconstruisant son amour. L’histoire est construite sur le tissu des relations humaines et consiste en une série de rencontres – avec des amants, des épouses et des maris, des mères et des pères et leurs enfants – à travers les choix et les décisions desquels ce monde se dessine.
Outre les questions philosophiques, la poésie de la métamorphose offre un grand motif d’amour. Grâce à la longue durée de vie des arbres, nous pouvions offrir à nos personnages principaux quelque chose qu’ils ne pourraient pas vivre en tant qu’êtres humains : un amour apparemment sans fin. Il était important pour nous d’examiner cette idée et de réfléchir à la possibilité que d’autres formes de vie soient également capables d’éprouver cette émotion.
Le décor dystopique de Sky Dome 2123 est inquiétant, mais ce que nous voulions vraiment découvrir, c’est le paradoxe du sacrifice. L’humanité est-elle capable de choisir entre les grandes questions et entre la famille et l’amour ? Est-il possible de se sacrifier, de sacrifier ses enfants, de sacrifier son amour pour le bien de tous ? Ou n’est-ce qu’une illusion ?
Dès le début du développement, il était clair pour nous que nous voulions donner une fin inconfortable au public. Nous voulions montrer des choix très différents dans ce monde dystopique. Ils peuvent compatir ou rejeter les solutions et les réponses des personnages. Est-ce la bonne décision que prend notre couple principal à la fin du film ? Peut-être oui, peut-être non. Mais c’est ce choix qui peut nous inciter à réfléchir à ce que nous pouvons ou devons faire sur cette planète. Dans le monde incertain dans lequel nous vivons aujourd’hui, nous avons estimé, en tant que réalisateurs, que nous ne devions pas imposer de réponse à qui que ce soit. C’est au public de le faire.
L’un des plaisirs de l’animation et de la science-fiction est de pouvoir composer un monde « imaginaire ». Comment l’avez-vous construit ? Parcelle par parcelle, ou plus globalement, avec des contraintes précises ?
Comme nous devions faire le plus de tâches possibles dans le film en raison du budget serré, nous étions également responsables du concept art et du design. C’était un plaisir coupable de tout détruire et de tout transformer dans les vestiges d’un Budapest et d’une Hongrie post-apocalyptiques. Nous avons soigneusement réfléchi à tout, à ce qu’il restait du monde à la suite du changement climatique, à l’aspect des paysages et des bâtiments, à la façon dont ils ont changé et se sont détruits en 100 ans. La question s’est posée de savoir comment la ville de Budapest serait reconstruite sous le dôme, et comment les matériaux des bâtiments abandonnés et le sable du désert provenant du monde extérieur seraient utilisés à cette fin.
Bien que nous ayons essayé de créer un environnement architectural proche de la Hongrie d’aujourd’hui, il était important de créer des lieux et des emplacements passionnants, tels que la Plantation sous le lac Balaton ou le centre de recherche Granum dans les Tatras. Nous avons créé des croquis, des plans et des descriptions pour chaque paysage, bâtiment, objet, machine et véhicule, qui ont ensuite été construits par notre équipe hongroise de modélisation 3D, avec laquelle nous avons peaufiné les détails.
La science-fiction et l’animation vont particulièrement bien ensemble. L’animation permet d’aller encore plus loin dans l’imaginaire que les techniques 3D des studios américains. Prenez Dune, par exemple, nous voyons un film qui se déroule dans le désert, pas dans un univers qui nous est complètement étranger. Était-ce important pour vous de pousser l’imagination le plus loin possible ? Mais aussi, d’un autre côté, que la rotoscopie (les prises de vue réelles) s’intègre parfaitement aux dessins ?
Nous n’aurions jamais pu faire de cette histoire un film de science-fiction en prise de vue réelle dans les circonstances dans lesquelles nous travaillions. Bien que Sky Dome 2123 soit un film à très petit budget, nous avons pu imaginer et créer toutes les scènes que nous voulions. Dès le début, nous savions que cette histoire et ce genre de film nécessitaient une certaine qualité de production pour toucher le public. Bien que nous ayons travaillé avec une petite équipe, nous avons réussi à produire un film de grande qualité grâce à beaucoup de travail et d’enthousiasme. L’utilisation d’une technique d’animation mixte et de la rotoscopie nous a semblé correspondre au thème du film sur le plan conceptuel. Explorant différentes formes de vie, Sky Dome 2123 est également un hybride, existant entre les films d’animation et les films en prises de vues réelles.
Graphiquement ou plastiquement parlant, le travail de construction de décors, a du demandé beaucoup de temps … Pouvez-vous nous parler de la façon dont vous travaillez avec vos équipes pour que les résultats correspondent à votre idée première ?
Leur avez-vous laisser beaucoup de liberté ou au contraire étiez-vous dans la commande précise et le contrôle ?
Nous étions en communication constante avec les équipes 3D slovaque et hongroise, qui travaillaient sur la texture et la coloration de l’environnement 3D, les effets spéciaux et l’animation des véhicules. Nous avons donné un feedback quotidien à tous les membres de l’équipe qui ont travaillé sur les scènes, ainsi qu’aux animateurs. Il s’agit d’une partie très méticuleuse et très longue du travail des directeurs d’animation, qui doivent prêter attention à chaque petit détail.
Enfin, les animations des personnages ont été ajoutées et les scènes ont été assemblées et peaufinées avec les collègues compositeurs. C’était un processus magique, car à partir du scénario et des premières esquisses, chaque scène naissait lentement au cours d’une longue évolution grâce au travail de notre équipe.
Vous avez choisi d’utiliser la rotoscopie et des acteurs hongrois connus, que vous avez filmés en prises de vues réelles. Pouvez-vous nous parler de ces choix, de leurs avantages et de leurs inconvénients ?
Nous avons géré le casting et le tournage comme s’il s’agissait d’un film en prises de vues réelles et nous voulions obtenir un jeu d’acteur assez naturaliste, comme on en voit dans les films en prises de vues réelles. Nous ne voulions pas d’un surjeu qui pourrait être familier à certains acteurs de films d’animation. Nos personnages ne sont pas des figurines d’animation, ce sont des êtres humains qui respirent et vivent, avec des émotions profondes et complexes.
Nous avons eu un casting fantastique avec les acteurs hongrois, qui étaient très ouverts aux défis inhabituels de la technique d’animation du film et qui ont apprécié l’ensemble du processus.
La tâche la plus importante et la plus difficile a été de préserver tous les détails subtils de leur jeu tout au long du processus de rotoscopie. Nous n’avons utilisé aucun logiciel pour faciliter la rotoscopie, tous les dessins ont été réalisés par des artistes d’animation hautement qualifiés. La sensibilité du style des dessins a également permis de mettre en valeur le jeu des acteurs que nous avons enregistré pendant le tournage en prises de vues réelles.
Pouvez-vous nous parler du travail de réalisation lui-même, mais aussi du processus d’écriture, et en quoi cela diffère-t-il de la réalisation et de l’écriture d’un film en prises de vues réelles ?
À bien des égards, ce film était très similaire à un film en prises de vues réelles en termes d’écriture et de réalisation. La différence essentielle est due aux techniques que nous avons utilisées pour la visualité finale : un film d’animation a été créé par l’animation 2D et les styles visuels 3D.
Dès les premières étapes de l’écriture du scénario, nous avons commencé à travailler en parallèle sur l’animatique. L’animatique est comme un story-board, où nous assemblons les scènes à partir de simples dessins, mais elle peut être jouée comme un film. Dès cette phase, il nous aide à expérimenter le langage cinématographique, le montage, la cinématographie et le rythme, ce qui affecte et facilite l’écriture du scénario. Le story-board nécessaire au tournage en prises de vues réelles a ensuite été élaboré et nous avons travaillé avec les acteurs sur la base de ce story-board.
Pour un film traditionnel, on ne veut certainement pas gaspiller de pellicule, mais pour un film d’animation, il est presque interdit de jeter des images déjà tournées, si l’on veut respecter le budget… Il faut donc passer par un story-board et d’autres étapes qui fixent un cadre très solide pour le film. Et si on a d’autres idées de mise en scène, de placement de caméra ou de séquences, il doit être très compliqué de les faire accepter par l’équipe. Pourtant, ces nouvelles idées, ces arrangements avec le scénario initial, peuvent être nécessaires lorsque le film commence à être vu dans son ensemble et qu’on le teste… Pouvez-vous nous raconter comment cela s’est passé avec Sky Dome 2123 ?
Bien sûr, il arrive toujours que des problèmes plus difficiles à résoudre se posent ou que certaines choses doivent être essayées de plusieurs façons. En raison du petit budget et de la petite équipe, nous avons dû travailler très consciemment et prendre des décisions prudentes afin de créer le moins de travail inutile possible. Chaque animation doit être accompagnée d’un excellent monteur. Nous avons travaillé avec Judit Czakó dès le début et nous avons beaucoup expérimenté le montage dès la phase d’animation. Il est arrivé que certaines parties de scènes déjà terminées doivent être coupées, mais la quantité de ces coupes était bien sûr négligeable par rapport aux films en prises de vues réelles.
Comme les arrière-plans ont été réalisés en 3D, nous avons pu modifier les réglages de la caméra au cours des phases de travail ultérieures, tout comme le montage nous a permis d’apporter des modifications mineures à un stade ultérieur.
Comme l’animation était basée sur ce matériel d’action réelle utilisant le rotoscope, nous avons pu modifier le placement des acteurs dans les scènes au cours du travail ultérieur, car les arrière-plans ont été réalisés séparément en 3D pour les scènes, ce qui nous a donné une certaine liberté.
À quelle étape du processus d’écriture la musique intervient-elle dans votre façon de travailler ?
Nous travaillons avec Christopher White depuis 15 ans maintenant. (il a été l’élève de Tibor à la NFTS). Christopher a déjà travaillé avec nous sur tous nos courts métrages d’animation et il ne faisait aucun doute que nous voulions qu’il participe également à Sky Dome 2123.
Nous commençons toujours notre collaboration avec lui dès les premières étapes de l’animation. Les partitions passent par de nombreuses phases au fur et à mesure que le film évolue au fil des années. Nous essayons également différents sentiments jusqu’à ce que nous obtenions l’ambiance finale. Christopher comprend parfaitement la durée d’une production d’animation et c’est un partenaire créatif extraordinaire.
Un film d’animation existe sous forme d’esquisse pendant longtemps, ce qui signifie que les scènes sont loin d’être terminées et qu’elles changent constamment. En tant que compositeur, vous devez les imaginer à l’avance et écrire une partition pour elles. Pour cela, il faut beaucoup d’imagination et un grand sens de la visualité.
La plupart du temps, nous avons abordé la musique d’un point de vue émotionnel, nous avons beaucoup parlé de l’objectif de la scène, de ce qui se passe émotionnellement avec les personnages et de ce que le public doit ressentir lorsqu’il regarde la scène terminée.
Le rythme général que vous construisez est plutôt contemplatif (comme l’aimait Laloux, mais aussi les maîtres de l’animation japonaise (Galaxy Express, Albator, …), ce qui contribue à établir un mystère, une atmosphère qui convient parfaitement aux dystopies, mais pour autant, vers le milieu du film, l’action démarre. Les personnages se lancent dans une course contre la montre.
Là aussi, pouvez-vous nous parler de l’équilibre que vous avez cherché à créer ?
Nous aimons beaucoup le cinéma lent d’Europe de l’Est et nous avons pensé qu’il était nécessaire de l’explorer dans le cadre de notre thème dystopique, même si le cinéma lent n’est pas né pour s’adapter à l’animation. Nous voulions également utiliser différents rythmes tout au long de l’histoire. Il y a bien sûr des scènes d’action où le rythme s’accélère, mais nous avons aussi souvent ralenti l’histoire pour laisser à nos personnages le temps d’errer et d’explorer. Dans ce monde mort et désolé, le temps a perdu sa signification, et il y a donc un grand changement en termes de rythme lorsque nos personnages atteignent cet endroit.
Sur le plan technique, les personnages doivent parfois se déplacer dans des décors virtuels, notamment en grimpant aux arbres. On peut imaginer que ces scènes ont nécessité des réglages très fins, voire la mise en place de décors réels reproduisant le décor virtuel…
Heureusement, nous avons eu peu de scènes aussi compliquées que l’escalade des arbres. Nous tournions dans un petit studio photo avec les acteurs, où nous avons construit un objet à partir de meubles et d’objets trouvés dans le studio. Sur cet objet, l’actrice pouvait se déplacer comme si elle marchait sur des branches d’arbre. Nous avons enregistré ces scènes en petits morceaux séparés et nous avons assemblé la scène entière pendant le montage, qui a ensuite été redessinée par l’animateur. Ensuite, lors de la modélisation 3D, nous avons calqué la position des branches d’arbre sur les mouvements de l’actrice.
La difficulté n’est pas toujours là où on la croit. Quelle a été la chose la plus difficile pour vous sur ce film ?
La conception du son était une question fondamentale dans ce film. Nous avons travaillé avec Stefan Smith (également diplômé de la NFTS) sur ce projet. C’était une lourde tâche que de remplir de sons une planète où toute vie a été réduite au silence, où les feuilles des arbres, les oiseaux, les voitures et les bruits humains ont disparu. Stefan a également suivi le film depuis le début et a commencé à travailler dans la phase d’animation, ce qui a été très important pour nous aider à sentir les lieux, le temps et le rythme du film pendant le travail.
7 ans se sont passés depuis le moment où vous vous êtes dits « on y va! ». Imaginiez-vous que les choses se passeraient comme elles se sont passées jusque là ?
Notre histoire principale était déjà assez dystopique depuis le début, donc en fait c’est le monde qui s’est rapproché de notre film. D’un point de vue sarcastique, nous pourrions nous estimer heureux que notre matériau de base n’ait pas vieilli au cours des années de production, mais on pourrait dire que c’est plutôt triste.
Le plus effrayant est peut-être la façon dont l’évolution de l’histoire a donné une nouvelle signification à certaines des scènes que nous avions créées au préalable. Par exemple, le petit char d’assaut des enfants est devenu une sorte de métaphore de la guerre voisine. Le petit char d’assaut faisait partie de nos scènes bien avant la guerre en Ukraine, mais il est malheureusement devenu une image plus menaçante que nous n’aurions jamais pu l’imaginer.