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Le cours de la vie: entretien avec le réalisateur Frédéric Sojcher

Noémie retrouve Vincent, son amour de jeunesse, dans l’école de cinéma dont il est désormais directeur. A travers une masterclass hors norme, elle va apprendre à Vincent et ses élèves que l’art d’écrire un scénario c’est l’art de vivre passionnément.

Comment avez-vous découvert le livre d’Alain Layrac, Atelier d’écriture, 50 conseils pour réussir son scénario sans rater sa vie?

J’ai découvert l’essai d’Alain Layrac avant qu’il n’existe en livre. Je dirige une collection aux éditions Hémisphères. J’ai eu un coup de cœur pour ce texte. Alain Layrac y évoque les liens entre le scénario et la vie, comment toute dramaturgie s’inspire de vécus, comment un scénariste doit avoir la capacité d’observation des autres. J’ai donc décidé de publier son texte dans ma collection. 

Comment l’idée d’une adaptation cinématographique vous est venue?

Je cherchais depuis longtemps un sujet qui me permette de réaliser un film avec de petits moyens. Cela parce que j’ai parfaitement conscience de mon statut de cinéaste. N’ayant pas eu récemment de succès en salles, je ne pouvais prétendre à avoir de grands budgets pour faire un nouveau film. J’ai toujours pensé mes films en fonction des contraintes de production, qui peuvent (c’est un paradoxe) être aussi sources d’inspiration. Une fois que le livre d’Alain Layrac a été publié, j’ai eu une illumination. Et si… ce récit sur des cours de scénario pouvait être adapté en film, avec une unité de lieu (la salle de cours et ses alentours) ? Et si ce que racontait Alain Layrac dans son livre pouvait s’incarner à travers des personnages, dans un jeu de mise en abîme? 

Votre récit s’installe dans un milieu étudiant où le savoir se transmet aux élèves, mais aussi peut interroger le spectateur. Aviez-vous des films de références qui vous inspiraient sur cette question (Le plus bel âge, par exemple, entre autres) ?

Mon film de référence était au départ Une sale histoire, d’Eustache. Dans ce film, Michael Lonsdale raconte une histoire à des personnes qui l’écoute dans un appartement parisien. On ne peut avoir de dispositif plus ténu. Pourtant, on est intéressé par ce que Lonsdale raconte. Il y a bien un cinéma de la parole. Le même texte interprété au théâtre n’aurait rien à voir. Une autre caractéristique du film d’Eustache est qu’il est divisé en deux parties. Après avoir vu et entendu Lonsdale, on voit et on entend Jean-Noël Pick, qui est la personne qui a vécu la « sale histoire ». Le trouble vient de ce dédoublement. L’acteur (Lonsdale) est plus crédible dans son interprétation. La fiction est plus vraisemblable que le réel. J’avais envie de faire un film qui explore ses allers-retours entre la réalité et la fiction. Par ailleurs, j’avais la conviction que filmer un cours peut être très cinématographique… comme l’a par exemple démontré Laurent Cantet (qui a eu la Palme d’or à Cannes pour « Entre les murs »). 

Le cours de la vie est votre cinquième long-métrage. Où le placez-vous dans votre filmographie ? Est-ce qu’il est dans la continuité de votre cinéma ou marque-t-il une rupture ?

Jusqu’ici, tous mes films parlent de cinéma. C’est encore le cas avec « Le cours de la vie », mais dans mon cinquième long métrage, pour moi, c’est différent. « Le cours de la vie », avant d’être un film sur le scénario, raconte une histoire d’amour entre deux personnages (interprétés par Agnès Jaoui et Jonathan Zaccaï). Pour la première fois, j’explore cet axe émotionnel. C’est dans cette direction que je souhaite poursuivre… Mon prochain film n’évoquera pas explicitement le cinéma.

Comment avez-vous collaboré avec votre scénariste (et co-scénariste s’il y a en un.e)? Quelle méthode pour « dramatiser » le livre d’une manière générale ?

Alain Layrac est le seul et unique scénariste du Cours de la vie. C’est cependant moi qui ai eu l’idée d’adapter son livre à l’écran, idée qu’il a trouvée au départ saugrenue… avant d’y adhérer et d’y plonger complètement. L’adaptation de « Atelier d’écriture » ne pouvait advenir que si y était ajouté une dimension qui n’existe pas dans le livre : des personnages qui interagissent entre eux. J’ai suivi toutes les étapes d’adaptation et d’écriture, en donnant à chaque fois à Alain mon avis, en lui faisant part de mes remarques, de mes envies. Il s’est par exemple inspiré de mon propre parcours pour le rôle de Vincent. L’idée de dramaturgie était au cœur de nos échanges.

Pour vous, du point de vue personnel et de celui du cinéaste, quel est le rapport entre l’écriture d’un scénario et la vie intime, quotidienne d’un.e écrivain.e ? 

Je suis en train d’écrire un roman et de l’adapter en scénario, pour mon prochain film. J’adore ce passage entre une écriture littéraire » (qui permet d’entrer dans la pensée des personnages) et l’écriture scénaristique (où seul ce qui se voit et ce qui s’entend compte). Dans les deux cas se pose la question du rapport entre la forme et le fond. Dans les deux cas, il faut affirmer un point de vue. 

Pourquoi avez-vous choisi Agnès Jaoui pour le rôle principal ? 

Agnès Jaoui est une actrice que je trouve exceptionnelle. Elle est par ailleurs d’emblée crédible comme scénariste, puisqu’elle est elle-même scénariste et que le duo de scénaristes qu’elle a constitué avec Jean-Pierre Bacri est devenu mythique. Je pense aux films qu’ils ont initié ensemble, aux films réalisés par Agnès Jaoui et au film d’Alain Resnais « On connaît la chanson » dont ils ont co-écrit le scénario.

Comment Agnès Jaoui a-t-elle construit son personnage? Ses propres expériences en tant que scénariste lui sont-elles venue en aide?`

Si j’ai, depuis très jeune, envie de faire du cinéma, c’est d’abord pour les acteurs. La rencontre entre un acteur et le personnage qu’il interprète est ce qui me touche le plus dans un film. Je ne crois pas à l’expression « direction d’acteur », car je n’aime pas ce terme. Par contre, je pense que le réalisateur pose un regard et accompagne les acteurs et que cet accompagnement est essentiel. Je n’ai jamais demandé à Agnès Jaoui, comme à aucun des acteurs avec qui j’ai collaborés jusqu’ici où ils allaient puiser leurs émotions. Mais par contre nous parlons ensemble du personnage, du scénario, de la vie…

Pourquoi avez-vous choisi Toulouse pour le tournage ?

J’y ai des souvenirs. Je trouve la ville magnifique. La région de l’Occitanie et Toulouse métropole ont participé au financement du film. Ce sont trois bonnes raisons pour aller tourner dans la « ville rose ». Il y en a une quatrième. Noémie (Agnès Jaoui) passe une journée en dehors de Paris. Il fallait que la ville où elle retrouve son amour de jeunesse, Vincent (Jonathan Zaccaï) soit suffisamment loin de la capitale pour faire une coupure et (peut-être) une parenthèse enchantée. 

Toulouse (comme beaucoup d’autres villes en France) a rarement été vu comme décor dans les films, le cinéma français restant particulièrement parisiano-centré. Comment avez-vous construit l’image (de cette belle ville) ?

D’après le bureau des tournages de la ville de Toulouse, « Le cours de la vie » serait le premier long métrage entièrement tourné à Toulouse. Je trouve cela inouï. Cela tient sans doute au fait que Toulouse n’est pas relié par un TGV direct (il passe par Bordeaux) et que du coup le temps de voyage (si on ne vient pas en avion) est plus long que celui qui relie Paris à d’autres grandes villes. Je déplore le centralisme parisien, particulièrement tenace dans le milieu du cinéma.

Avez-vous des anecdotes à raconter sur le tournage à l’ENSAV (école de cinéma à Toulouse) ?

Je voudrais juste mentionner les noms de Guy Chapouillé et de Paul Lacoste, qui sont deux cinéastes qui y ont enseigné (Paul Lacoste y est toujours professeur). La question est la suivante : peut-on enseigner le cinéma sans le pratiquer soi-même ? Quand j’étais moi-même étudiant, j’ai eu la chance d’avoir des cinéastes comme enseignants : André Delvaux (à l’INSAS, l’école de cinéma belge) et Eric Rohmer quand j’ai fait mes études à l’Université de Paris 1. 

Est-ce que vous pouvez nous parler de vos choix esthétiques, notamment celui d’introduire l’image dans l’image, lorsque le cours est filmé par la caméra de surveillance? 

L’un des défis du Cours de la vie était de filmer des scènes de cours…  Il fallait éviter à tout prix la captation, que le contenu prime sur la forme. A toutes les étapes de la création du film, j’ai eu cette obsession : rendre vivante une master class… Quand nous parlions avec Alain Layrac du scénario, nous imaginions un cours hors-norme, dans lequel Noémie révèle une part de sa vie aux étudiants. Pendant le tournage, j’ai imaginé avec le chef opérateur Lubomir Backchev une manière de filmer totalement hors-norme, pour « par l’image » montrer l’émotion entre Agnès Jaoui, Jonathan Zaccaï et les acteurs jouant les rôles d’étudiants. Au montage, avec le monteur Christophe Pinel (qui travaille habituellement avec Albert Dupontel), nous avons rythmé les scènes de cours et toujours pensé à créer des passerelles entre ce que raconte Noémie et ce qu’elle vit avec Vincent, mais aussi avec Louison (personnage interprété par Géraldine Nakache). Il y a enfin la musique signée Vladimir Cosma et le mixage qui permettent, je l’espère, de donner de l’émotion à cette histoire. 

Le film a pour principe de mélanger l’atelier scénario avec une histoire romantique qui s’avance petit à petit, entre le passé et le présent. Comment ces deux aspects se reflètent-ils l’un et l’autre ?

Grâce à Jour2fête, le distributeur du film, j’ai pu faire une série d’avant-premières en France et rencontrer des spectateurs.  Certains spectateurs sont venus me voir après la séance en me disant : « Agnès Jaoui, c’est moi ! ». D’autres, en me disant : « Cette histoire d’amour, c’est la mienne !! ». Jamais je n’ai eu sur mes précédents films de tels retours. Ce qui compte pour moi d’abord et avant tout, c’est raconter une histoire qui, par le scénario, la mise en scène, la musique et le jeu des acteurs, emporte le spectateur… La fiction l’emporte sur le cours. C’est aussi une leçon de vie. 

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