Depuis 35 ans, la Fondation Gan pour le Cinéma s’engage pour le cinéma, notamment en délivrant un Prix à la Création pour soutenir des premiers ou seconds longs métrages de cinéma.
Cette année, elle a choisi le cinéaste Antonin Peretjatko, lauréat 2014 pour LA LOI DE LA JUNGLE, pour présider son jury de l’Aide à la Création. Comme chaque année, 4 projets de premières œuvres de fiction (1ers et 2nds longs métrages) seront récompensés.
Antonin Peretjatko succède ainsi aux cinéastes Katell Quillévéré, Marilyne Canto, Alice Winocour, Thomas Lilti, Christophe Honoré, Patricia Mazuy, Raja Amari, David Oelhoffen et à la comédienne Nathalie Richard.
A ses côtés, le jury de l’Aide à la Création sera composé cette année d’Elsa CORNEVIN (Productrice et Fondatrice de Serena Productions), de Laurence GACHET (Distributrice et Fondatrice de Paname distribution), de Julien LILTI (Scénariste), d’Etienne SORIN (Journaliste) et de Dominique HOFF (Déléguée générale de la Fondation Gan).
Ensemble, ils remettront en décembre prochain à la Cinémathèque française les Prix à la Création aux auteurs lauréats.
Ces dernières années, la Fondation Gan a eu le nez fin puisque parmi les films lauréats on dénombre, 3 Césars du Meilleur Premier Film (Divines, Petit paysan, Shéhérazade), une Caméra d’Or pour le film de Houda Benyamina et une Palme d’Or pour Titane de Julia Ducournau !
En 2022, la Fondation Gan a soutenu La Montagne de Thomas Salvador et Dalva d’ Emmanuelle Nicot, actuellement en salles après avoir été sélectionné en Compétition à La Semaine de la Critique.
A l’occasion de cette annonce, nous nous sommes entretenus avec Antonin Peretjatko, puis avec Dominique Hoff, Déléguée générale de la Fondation Gan pour le Cinéma.
Entretien avec Antonin Peretjatko
Le Mag Cinéma (L.M.C.): Comment avez-vous appris votre nomination en tant que président du Jury de la fondation Gan?
Antonin Peretjatko (A.P.): On me l’a proposé parce que j’avais été lauréat … Pour être franc, je ne candidate jamais pour ce genre de comité, ça me met mal à l’aise, il y a trop d’enjeux pour les autres donc trop d’usurpation de pouvoir, trop de professionnels des comités. A chaque fois je crains d’avoir des disputes avec des gens très sérieux chez qui le rire est prohibé. Après je n’en dors plus pendant une semaine. Je le fais pour ajouter du baroque à la décision.
L.M.C.: Vous aviez, vous même, bénéficié du fond de soutien de la fondation Gan pour votre deuxième film, la loi de jungle. Quelle importance et quelle incidence cela avait il eu à l’époque ?
A.P.: L’attribution de l’aide a eu son importance dans la mesure où la fondation Gan a donné le premier sou pour le film. En cela je remercie Eric Garandeau qui, si j’ai bien compris, a œuvré pour la chose. Le plus courageux est d’être celui qui donne en premier.
L.M.C.: Vous serez accompagné d’un jury qui pourrait ne pas partager vos coups de cœur, ou avoir des goûts à l’opposé des vôtres, cela vous fait-il un peu peur ?
A.P.: Il y a toujours le risque de choisir le plus consensuel. Chose que j’ai transcrite dans La loi de la jungle lorsqu’il faut choisir la couleur du bâtiment de Guyaneige : tout le monde veut une couleur vive mais chacun a sa préférée, finalement on opte pour du beige. Une couleur qui ne plait à personne mais convient à tout le monde. Quand un jury est trop nombreux ou que l’organisateur a volontairement pris des personnes aux goûts très différents, on a des scénario gris ou beiges…
L.M.C.: Vous allez ici devoir choisir d’honorer des films sur la base de scénarios, comment pensez-vous pouvoir déceler non pas les scénarios qui ont un bon potentiel narratif, mais les films qui ont un haut potentiel artistique/esthétique sur la seule base du scénario ?
A.P.: Il y a des choses ténues qui peuvent indiquer le potentiel artistique. Ça va du choix de la police de caractère, à l’emploi de certains mots ou les descriptions, c’est de l’ordre du ressenti. Si on a l’impression que le scénario coche toutes les cases pour plaire au lecteur, c’est pas forcément bon signe pour la suite… Je garde à l’esprit cette phrase de Bunuel : « de quel droit me raconte-t-on cette histoire ?«
L.M.C.: La Fondation Gan par le passé a souvent eu le nez fin: à 3 reprises consécutives le César du Meilleur Premier Film (Divines, Petit paysan, Shéhérazade), une Caméra d’Or et une Palme d’Or avec Titane de Julia Ducournau. Est-ce que cela vous met quelque part déjà une pression (potentiellement positive) ?
A.P.: Aucune pression. Parmi mes films préférés certains ont eu des prix, d’autres pas.
L.M.C.: Vous êtes quelqu’un qui a aussi pris le risque d’assumer ses opinions notamment avec Les rendez vous du samedi, et l’actualité politique raisonne étrangement avec ce que vous y dénonciez … Serez-vous naturellement plus sensible aux risques que prend un cinéaste ?
A.P.: Oui. Ce que j’aime dans les films c’est qu’on m’expose une manière de voir le monde, mais aussi qu’on me présente un point de vue qui n’est pas forcément le mien, afin qu’en tant que spectateur je puisse me positionner dans la société en fonction du film que je viens de voir. En cela je peux regarder un film « réac« comme Death wish ou progressiste comme Brokeback mountain à partir du moment où le langage cinématographique est riche… Je sais qu’on est de moins en moins nombreux dans ce cas là. Si j’ai l’impression qu’on peut switcher le/la cinéaste avec n’importe qui d’autre, je m’en désintéresse rapidement.
L.M.C.: Pensez-vous que le cinéma français d’aujourd’hui, comme on peut l’entendre ou le lire, est trop bourgeois, trop masculin, trop hétérosexuel, qu’il véhicule une vision dominante, et qu’il faut lutter contre cela dans une logique de soutien à la diversité, – avec, pourquoi pas, des quotas -, ou pensez-vous, au contraire, que les choses peuvent évoluer d’elles même, sans qu’il y ait besoin d’imposer un nouveau regard et de jeter l’opprobre sur ceux qui n’évoluent pas ?
A.P.: Que la personne qui réalise le film soit un homme, une femme, petit, gros, gaucher ou droitier, ou de telle ou telle communauté, m’importe peu à partir du moment où son point de vue me fait voyager dans une réflexion que seul le cinéma permet. Par exemple je pense qu’on peut faire un film sur une communauté sans en faire partie, autant que si on en fait partie, le film ne dira simplement pas la même chose : dans le premier cas le film parlera de deux communautés à la fois: celle de la personne sur qui est fait le film à travers celle qui fait le film (colonisateur, touriste, exilé, etc.). La grande question philosophique qu’on se pose en astronomie est : « l’Homme peut-il comprendre l’univers ? » C’est à dire: « le contenu peut-il comprendre le contenant ? « C’est pourquoi un regard extérieur peut parfois souligner ce qui avait échappé à un regard intérieur bien que ce dernier ait une connaissance beaucoup plus grande du sujet. En cela, j’aime lire les guides étrangers sur la France au paragraphe où ils décrivent notre mode de vie ou comment sont les habitants du pays.. On apprend comment nous sommes vus et ce qu’on fait ressortir, comme une sorte de miroir déformant.
Au delà de cette question, il y a des postures différentes pour l’artiste:
1- proposer son regard personnel indépendamment de l’évolution de la société en la critiquant au risque de déplaire.
2- s’adapter à l’évolution de la société au risque de faire ce qu’elle attend de nous.
Dans ce 2e cas, on distingue des gens qui se servent d’une idéologie pour exister et ceux qui existent pour une servir une idéologie. C’est la différence entre opportunisme et sincérité. Si l’on considère la violence qui ressort des réseaux sociaux où chacun veut interdire à l’autre de faire ceci ou cela en insultant la pensée de l’autre, la 2e posture semble la moins risquée car le diktat du « like » a considérablement réduit la capacité a accepter un monde complexe ou la contradiction fait progresser chacun. J’ai tendance à dire que la 2e posture se trouve majoritairement à la télévision ou sur les plateformes. En musique ou en peinture l’artiste qui n’évolue pas avec son art est ringardisé. Le cinéma est encore trop jeune pour savoir s’il est logé à même enseigne mais souvenons-nous de ceux qui n’ont pas survécu au cinéma parlant. L’industrie n’a plus voulu d’eux. Est-ce que évoluer avec son art, c’est évoluer avec la société et inversement ? Cette double question est ouverte. Mais les plateformes c’est pas de l’art, c’est de l’industrie. C’est de la forme plate.
L.M.C. : Est-ce que vous êtes de ceux qui pensent que tout est politique, et que l’art, par nature est politique ?
A.P.: L’art est un prisme pour voir le monde. Le choix du prisme est politique.
L.M.C. : Vous faites en moyenne un long métrage tous les 3 4 ans … que pouvez-vous nous dire de vos prochains projets ?
A.P.: C’est un film de vampire. Préparez-vous à aller crever en enfer.
Entretien avec Dominique Hoff
L.M.C. : Notre première question serait de savoir comment vous avez choisi Antonin pour être président du jury de l’aide aux premiers films cette année.
Dominique Hoff (D.H.) : Pour choisir le président du jury, qui est aussi le parrain de l’année, nous nous tournons principalement vers les anciens lauréats. Nathalie Richard, une actrice, a été choisie l’année dernière, car elle avait des liens forts avec la Fondation.
Nous choisissons des cinéastes qui connaissent l’exercice et veillent à être bienveillants. L’expérience d’un oral pour les candidats peut être anxiogène et à très fort enjeu et nous cherchons avant tout que cela se passe bien pour eux.
Antonin est un ancien lauréat. J’apprécie son esprit libre, son côté décalé, et sa manière de dire avec humour des choses très sérieuses sur le monde d’aujourd’hui.
Alors que les scénarios peuvent avoir tendance à s’uniformiser, sous l’influence notamment des chaînes de télévision, cela fait du bien d’avoir ce type de personnalité avec un univers fort. Il sera sensible, je pense, aux cinéastes qui ont un point de vue, un univers.
L.M.C. : Comment se matérialise l’aide que la Fondation Gan verse aux lauréats, et en quoi engage-t-elle ceux qui en bénéficient ?
D.H.: C’est une aide « à la création » car elle intervient en amont du tournage. Elle consiste en une enveloppe de 50 000 € pour les producteurs et de 3 000 € pour les réalisateurs. Cette aide au producteur est versée en deux temps : une première tranche trois ou quatre mois avant le tournage, une fois que le projet est bien engagé, puis une deuxième tranche le premier jour du tournage.
C’est du pur mécénat, un don. Nous ne sommes pas un guichet financier, nous n’avons pas de remontée de recettes sur les films. Il y a toujours une prise de risque sur ce que sera le film au final. Mais notre aide ne s’arrête pas là. Il y a un travail important d’accompagnement.
Nous communiquons sans cesse sur le film, à chaque étape clé : au début du tournage, en festivals, à la sortie en salle, en DVD. Cet accompagnement en nature représente en apport de l’ordre de 70 000 € en communication, ce n’est pas rien.
L.M.C. : De manière concrète, comment un cinéaste doit-il faire pour candidater cette année ?
D.H.: Il y a deux appels à projets par an. Un, a eu lieu en décembre l’an dernier. Ce sont les projets que nous lisons en ce moment. 5 ou 6 seront retenus pour la plénière d’avril. Un deuxième appel à projets est prévu au mois de juin. Il sera suivi par une deuxième plénière qui aura lieu en octobre.
Au final, on choisit sur scénario quatre projets avec le jury et on les annoncera en fin d’année.
Les producteurs pour candidater doivent déposer un dossier, la procédure à suivre est décrite sur notre site internet. Les pièces demandées sont assez classiques: un synopsis, le scénario, des renseignements sur la production. Certains critères sont à respecter: le producteur doit être majoritairement français sur le film, c’est à dire que le budget doit être à plus de 50% français.
Ça peut être une coproduction internationale, mais il faut que la France reste majoritaire.
Après, le film peut se tourner dans le monde entier, être en anglais, le cinéaste peut être de toute origine. Le critère premier, reste la production, l’investissement.
L.M.C. : Les scénarios seront-ils lus à l’aveugle par le Jury ?
D.H.: Le jury a en sa possession le dossier tout entier. Ils peuvent aussi regarder les courts ou les premiers longs-métrages (dans le cas d’un second long) qui ont été faits auparavant.
Je fais partie de ce jury. J’ai une voix également et essaie de départager les avis en cas de désaccords. Le jour J, nous discutons d’abord de façon informelle avant les auditions des réalisateurs et des producteurs. Puis nous délibérons en fin de journée.
Sur les 60 projets qui ont été déposés, les 5 ou 6 projets finalistes sont débattus et nous devons en garder 1 ou 2 à chaque plénière. Cela fait un maximum de 4 films aidés par an. C’est très, très sélectif.
L.M.C. : Quelles sont les caractéristiques des films et des cinéastes que la fondation Gan souhaite défendre ?
D.H.: Ce qui nous intéresse, c’est de mettre le pied à l’étrier à un jeune cinéaste qui va construire une œuvre. Nous ne sommes pas là pour aider quelqu’un qui va juste faire un film et s’arrêter là.
Donc nous visons des cinéastes à même de proposer un univers et un point de vue assez prononcés. Nous recherchons aussi une ouverture sur le monde et un équilibre entre les différents projets sélectionnés. Nous prendrons peut-être un film social, un film d’aventure ou un film de genre, mais le critère premier, c’est toujours l’histoire, la force du scénario. La personnalité du cinéaste est importante aussi, la passion qu’il véhicule.
L.M.C. : Est-ce qu’un film qui ne rentrerait pas dans les cases du CNC peut rentrer dans les cases de l’aide à la fondation Gan ?
D.H.: Oui, tout à fait. Nul besoin que le film ait l’avance sur recettes ! Nous sommes contents certes s’il l’obtient, mais pour nous, ce n’est pas un critère. Nous sommes indépendants.
L.M.C. : Est-ce que vous aidez aussi les jeunes producteurs ou faut-il que le producteur soit expérimenté ?
D.H.: Nous regardons toujours qui est derrière le projet. Est-ce que la production a les épaules solides ? Quelle est son ambition?
Nous aidons volontiers des jeunes producteurs. Par exemple, Marc Benoît Créancier, quand il a démarré avec DIVINES, n’avait produit que des courts métrages. DIVINES a été son premier long métrage. Je pense aussi à des jeunes gens comme Alexis Dulguerian et Stéphanie Bermann, pour qui PETIT PAYSAN était le premier long produit. On les a aidés. L’an dernier, nous avons aidé une jeune société de production Les films Grand huit avec un film dont on attend beaucoup LES FANTOMES.
En résumé, on ne considère pas uniquement les projets portés par des producteurs aguerris. On regarde tout.
L.M.C. : La fondation Gan donne-t-elle au Jury un cahier des charges à respecter, comme des valeurs à défendre, ou des interdits … Ou est-ce qu’au contraire vous leur donnez totale liberté ?
D.H.: Aucun cahier des charges. Mais je sensibilise le jury à notre désir d’éclectisme, d’ouverture sur le monde. Mais nous n’imposons rien. La difficulté est d’aider des films originaux qui vont en même temps rencontrer un public.
L.M.C. : Est-ce qu’avec l’arrivée des plateformes, vous avez noté des changements importants dans les demandes de financements qui sont faites à la fondation Gan, et est-ce que la fondation Gan pourrait à l’avenir accorder des aides à des films pensés pour des plateformes ?
D.H.: Les plateformes interviennent très peu dans le financement des premiers films. On a surtout noté la participation de Disney + pour certains projets, mais cela reste marginal.
On regarde avec plaisir le travail que font certains anciens lauréats pour des plateformes, comme Katell Quillévéré ou Thomas Lilti. Cela dit, ils finissent toujours par revenir au cinéma. Pour raconter des grandes histoires immersives, on n’a encore rien inventé de mieux !
La Fondation Gan est une fondation pour le cinéma et a vocation à le rester.
L.M.C. : Est-ce que la baisse de qualité d’écriture que vous évoquez pourrait être imputable à une forme de standardisation et de normalisation ?
D.H.: C’est contre cela que l’on essaie de lutter à la Fondation. C’est l’avantage du mécénat d’être totalement décorrélé du marché. Nous sommes libérés des recettes et pouvons conserver des critères de sélection ambitieux.
L.M.C. : Pouvez-vous nous présenter un peu plus la Fondation ?
D.H.: Cette fondation a pour vocation d’aider à la création et à la diffusion du cinéma.
Parallèlement à l’aide aux premiers films sur scénario, nous primons également des films en festivals : à la Semaine de la Critique et au Festival international du cinéma d’animation à Annecy.
La dotation de ces prix (20 000 euros) va aux distributeurs pour aider les films à trouver leur public en salle. Au sein de l’entreprise, la Fondation mène des actions pour les collaborateurs et les clients de Gan Assurances.
Mais ce qui nous occupe toute l’année, ce sont les actions d’accompagnement des films primés.
On réalise des reportages sur les tournages, on fait des interviews des cinéastes et on alimente tout un écosystème, un site Internet, des réseaux sociaux, une chaîne Youtube, une newsletter.
Nous avons aidé plus de 230 cinéastes depuis le début de la fondation et nous continuons à communiquer leur actualité. On parle de Nicolas Philibert, qui vient d’obtenir un lion d’or à Venise et qu’on avait aidé à ses débuts pour Au pays des sourds, de Patricia Mazuy, de Christophe Honoré, d’Alice Winocour, de Julia Ducournau.
La Fondation c’est une équipe de 4 personnes passionnées. Son action s’est inscrite dans le temps et est devenue un label de qualité.
La Fondation Gan en quelques chiffres:
À ce jour, toutes aides confondues, la Fondation a participé à l’émergence de plus de 230 réalisateurs qui font le cinéma d’aujourd’hui et préparent celui de demain : une belle communauté riche de plus de 700 œuvres ! Depuis sa création la Fondation compte :
- Plus de 5 000 scénarios lus
- 91 % de films tournés
- 40% de lauréats réalisant plus de 3 films
- 30% de lauréats réalisatrices
- 41 César, 33 Prix à Cannes dont 1 Palme d’or