Une escapade romantique peut-elle raviver la flamme dans un couple ? Elle a réussi à le convaincre de partir quelques jours sans enfants. Ce sera où il a envie, sauf en Italie. Il y est déjà allé avec toutes ses ex… L’Espagne ? Les sentiers de l’Aubrac ? Ce sera finalement la Sicile – car selon lui, c’est pas tout à fait l’Italie.
La première – et la plus importante – question qu’on se pose face à un objet cinématographique ambivalent, difficilement identifiable, comme Voyages en Italie concerne la frontière entre la forme documentaire et la fiction.
En effet, Sophie Letourneur propose, avec ce projet aux hautes ambitions, une réflexion intéressante sur le réalisme au cinéma. Comment capter le réel, le quotidien cru, sans le transformer, et cela dans le cadre d’un long-métrage de fiction? Une question posée auparavant par les plus grands maitres et inventeurs du langage cinématographique comme Rossellini (une référence citée dans le film) ou Kiarostami. Des cinéastes qui, avec leurs expérimentations, ont apporté des éléments documentaires dans leurs films de fiction, et qui ont librement circulé d’une forme à l’autre. Ils ont essayé de s’approcher du regard d’un documentariste afin de voir et d’enregistrer la réalité, si peu esthétique que cela puisse paraitre, tout en pensant des formes singulières.
Sophie Letourneur s’y expérimente à son tour. Elle s’aventure sur un terrain équivoque. Et son geste s’affirme particulièrement audacieux. Sa mise-en-scène, réfléchie, basée sur un scénario respecté à la virgule près au moment du tournage, imite visuellement une émission de télé-réalité. La cinéaste se met à nu, se dévoile, créée de la confusion entre autobiographie et récit cinématographique, n’hésite pas à se montrer dans des états désagréables voire choquants que le spectateur n’a pas l’habitude de voir au cinéma. Difficile à savoir lesquels des éléments du film viennent de sa vraie vie. Dans ce sens, non seulement le film s’avère impudique, mais de plus, il cherche à repousser les limites de l’impudeur le plus loin possible. C’est un geste rare, surtout de la part d’une femme cinéaste, de s’exprimer ainsi sans frein d’auto-censure. Aussi, la belle mise-en-abime dans la deuxième partie du film perturbe, change les codes avec lesquelles on s’était habitué depuis le début, bifurque, tente d’instaurer un autre système narratif, tout aussi peu conventionnel.
Par un processus d’analyse microscopique, Voyages en Italie étudie la vie de couple, d’un couple comme tout autre, au moment où la passion semble étouffée, éteinte, remplacée par les dispositifs quotidiens. On peut traiter cette situation de différentes façons. Sophie Letourneur fait le choix de la comédie. Armé d’un sens de l’humour et d’une ironie exceptionnelle, le film montre tour à tour la banalité, l’absurdité, la mésentente, l’ennui, la déception que l’homme et la femme rencontrent dans leur relation. C’est également un film sur le corps: le pied, les mains, le ventre, les parties intimes. Le corps laid, imparfait, sans maquillage; alors que dans une relation amoureuse, on espère des corps sublimes, au moins désirables. « Quand on vit ensemble, et qu’on se voit tout le temps, le corps change de statut. Cela fait partie du sujet, et du problème! » commente Sophie Letourneur lors d’une rencontre public après la projection.
Par cette représentation choquante du corps (et du couple), Voyages en Italie bouleverse, intrigue, remet en question, autant notre image de la vie amoureuse, que notre perception du cinéma.