Un jour un chat a obtenu une première consécration en 1963. Ce film réalisé par Jasny Vojtech était en effet appelé à concourir à l’obtention de la Palme d’Or. Le jury du festival de Cannes 1963 présidé par Armand Salacrou, auteur de pièces de théâtre, lui décerna finalement son Prix spécial du jury ainsi qu’à Harakiri, un long-métrage réalisé par Masaki Kobayashi et fort différent de Un jour un chat. Ce n’est que fin 1965 que ce dernier fit enfin l’objet d’une distribution dans les salles françaises. L’année 2021 marque quant à elle un double retour célébrant la superbe restauration numérique du film : retour à Cannes en sélection officielle Cannes classics et retour en salle orchestré ce 1er décembre par le distributeur Malavida.
Robert, instituteur d’un petit village, apprend à ses élèves à respecter la nature et à résister au conformisme ambiant. Un magicien et sa troupe débarquent un jour avec la belle Diana et un chat pourvu de lunettes qui a un étrange pouvoir révélateur sur les vertus et les vices des humains. Certains habitants du village ne le supportent pas, et le font savoir… Mais cela provoque à son tour d’étranges phénomènes, comme la disparition des enfants du village… Robert mène l’enquête, tout en tombant amoureux de Diana…
Le générique de début de Un jour un chat nous apprend que Jasny Vojtech, au-delà de la réalisation du film, a coécrit le scénario avec Jirí Brdecka. Les dialogues sont ceux de Jan Werich également présent devant la caméra dans le rôle de Monsieur Oliva, châtelain et « homme d’esprit ». Parmi les assistants à la réalisation apparaît Ivan Passer, future figure incontournable d’une nouvelle vague naissante du cinéma tchécoslovaque.
La musique composée par Svatopluk Havelka accompagnant le générique, douce et légère (flûte), semble annoncer une fable. Pourtant, l’insolite première séquence met en scène Monsieur Oliva nous alertant en ces termes : « Il était une fois… Sauf que ceci n’est pas vraiment un conte de fées… ». La dernière scène du film, parfait reflet de la première, conclut le récit ainsi : « Il était une fois… Et puisse ceci ne pas être qu’un conte de fées… » Elle vient de la sorte boucler un schéma narratif limpide et astucieux et laisser au spectateur le libre-arbitre sur la classification de ce long-métrage.
Un jour un chat se pare d’un cadre bucolique dès ses premiers photogrammes. C’est celui d’une petite ville de province au centre de laquelle trône une église. Le clocher de celle-ci est le lieu choisi par Monsieur Oliva pour observer avec le « recul » nécessaire les faits et gestes de ses congénères scrutés à la loupe. Chacun vaque à ses occupations, pas toujours licites, dans un quotidien simple. Vojtech filme ainsi un petit théâtre fantaisiste, parfois burlesque, qu’il dépeint dans des cadres usant de la douceur de vie et des charmes touristiques proposés par ces lieux. En somme, la chronique d’une vie provinciale très loin du remue-ménage urbain ou des « lointaines coopératives agricoles ». Tout ici parait suspendu, hors du temps.
Vojtech alterne les séquences mettant en scènes les écoliers avec celles faisant figurer leurs parents ou encadrants. Dans l’école de la commune, les choses de la vie remplissent littéralement les feuilles blanches soumises aux rédactions des enfants. La sincérité et l’amitié sont élevées au rang de maître-mots par le maître d’école (Vlastimil Brodský). Soit une vision de l’éducation en totale opposition du directeur de l’établissement (Jiri Sovak), taxidermiste passionné. L’opposition du vivant à l’empaillé dans une ville dont l’une des attractions est un musée d’animaux empaillés qui ne fait pas l’unanimité parmi la population.
Les animaux, vivants ou empaillés, sont d’ailleurs portés au rang de protagonistes à part (presque) entière. Parmi eux, le chat évoqué par le titre porte des lunettes. Sans celles-ci, sous son regard « les gens prendraient la couleur de leur caractère et de leurs actes », tel que le violet pour les menteurs, le jaune pour les infidèles, le gris pour les escrocs, le rouge pour les amoureux, etc.
Cet argument a un impact certain sur le visuel du film. Ainsi à l’écran, la première moitié de Un jour un chat baigne dans des couleurs délavées parfaitement restituées par la belle photographie de Jaroslav Kucera. La seconde partie est, quant à elle, émaillée de séquences laissant libre cours à des aplats de couleurs vives habillant de la tête au pied les protagonistes filmés. Vojtech chorégraphie dans le champ de sa caméra une confrontation de couleurs dont le montage syncopé et l’usage de transparences sur certains passages démultiplient les effets visuels. Ces « combats » nous rappellent dans une certaine mesure ceux de West side story (1961, Jerome Robbins et Robert Wise).
Ce marqueur coloré et visuel effectif dès que le chat du titre ne porte pas ses lunettes est le révélateur de la bassesse des adultes. Il est le signe d’identification d’une culpabilité qui devrait appeler à une autocritique de chacun. Il sera l’arme non létale des enfants éduqués à satisfaire deux valeurs essentielles : la vérité et l’amitié. Pour cela, Vojtech utilise sa caméra comme un outil d’observation, voire de surveillance. La caméra adopte ainsi souvent le regard d’un des protagonistes.
Tel un spectacle de magie et d’illusions, Un jour un chat a vocation à figurer une partie du vivant qui l’entoure. La petite ville de province hôte et ses habitants y sont dessinés et colorés avec simplicité et élégance. Le film agit comme un spectacle vivant, une fantaisie allégorique et… peut-être comme une fable. Il était une fois… Et puisse ceci ne pas être qu’une fable…