Hôtel Grand Nord, chambre 315. Diane, nous avons terminé le visionnage de Twin Peaks: The return. L’agent Gordon Cole est à mes côtés. Son large sourire vaut pour symbole d’une saison 3, œuvre majeure, magistrale et inimaginable. J’ai l’esprit un peu embrumé, mais l’excellent café servi au Double R m’aide à y voir plus clair. Diane, je dois vous entretenir de l’expérience-plurielle véhiculée par dix-huit épisodes dont je tairai les tenants et les aboutissants puisque vous les connaissez.
Le 20 septembre 1991, durant l’ultime épisode de la saison 2, Laura Palmer (Sheryl Lee) donne rendez-vous dans vingt-cinq ans à l’agent Dale Cooper (Kyle MacLachlan) fraîchement téléporté dans la loge noire aux rideaux rouges. Nous avons été nombreux à passer ce rendez-vous en pertes et profits d’autant qu’en l’espace d’un quart de siècle, David Lynch a pris ses distances avec le monde du 7ème art.
Cette distance semblait même être devenue un gouffre infranchissable depuis l’échec critique et public d’Inland empire (2006). Ce dernier long-métrage en date destiné au cinéma n’est pas le meilleur de son auteur mais présente des qualités qui finiront par lui valoir une réhabilitation, peut-être dans une version écourtée. Ce retour inespéré de la série Twin Peaks relève d’un coup de maître magistral qui porte cette grande œuvre télévisée culte au-delà de tout ce qui a pu être produit pour le petit écran jusqu’ici.
Twin Peaks: The return s’étire sur dix-sept heures et dix-huit épisodes. Le doublement du nombre d’épisodes initialement prévu pouvait laisser craindre que cette ultime saison ne soit frappée du syndrome de sa devancière, à savoir l’évolution pour le moins confondante (et parfois sans intérêt) de certains personnages. Il n’en est rien. Contrairement aux deux saisons originelles, Twin Peaks: The return jouit d’une double caractéristique essentielle : tous les épisodes ont été réalisés par David Lynch et tous ont été coécrits par le réalisateur et par Mark Frost. Notons au passage que cette totale implication de David Lynch à l’écriture et derrière la caméra s’accompagne aussi d’une plus grande présence de celui-ci devant la caméra. L’auteur d’Eraserhead réendosse de façon moins épisodique, le rôle de Gordon Cole, un directeur adjoint du FBI toujours très à l’écoute.
Car, au rang des réjouissances procurées par la saison 3 de Twin Peaks, trônent en bonne place nos retrouvailles avec des personnages laissés il y a vingt-cinq mais jamais oubliés. Pour certains d’entre eux, le spectateur devra se montrer patient, voire très patient, avant de renouer le lien. La série ne triche pas, le quart de siècle passé se voit : les rides sont plus nombreuses, les cheveux sont plus gris et parfois moins nombreux. Le casting des deux premières saisons est reconduit exception faite bien sûr des acteurs décédés avant le tournage de Twin Peaks: The return. Chacun de ces absents se verra dédié un épisode ce qui renforce l’émotion d’une réapparition désormais impossible. Mais la magie du cinéma de David Lynch est telle que, sous une forme ou une autre, ces acteurs pourraient bien venir nous rendre visite…
La seule absence notable dans la distribution de la saison 3 est celle de Michael Ontkean qui a mis un terme à sa carrière. Dans ses fonctions de shérif de Twin Peaks, Harry Truman se voit remplacé par son frère Frank Truman interprété par Robert Forster. Les personnages adolescents des deux premières saisons ont aussi vieilli. Désormais « installés » dans leur vie respective, leur maturité est plus grande ce qui bénéficie à la psychologie de leur personnage. N’oublions pas non plus que dans leur danse à mille temps, David Lynch et Mark Frost prennent plaisir à introniser de nouveaux venus. Certains vous surprendront. Le casting extra large compte plus de deux cents acteurs, exclusion faite des figurants !
Dans cette série-chorale, les deux coauteurs maintiennent leur procédé de narration consistant à faire subitement disparaître un personnage avant de le faire, peut-être, réapparaître quelques épisodes plus tard. Qu’il soit historique ou nouveau, principal ou secondaire, tout protagoniste peut être une cible potentielle de cette technique. Dans de telles conditions, il est impossible pour le spectateur de statuer sur le caractère principal ou secondaire d’un personnage donné. Sur le vaste échiquier mis en images, le roi peut devenir, définitivement ou temporairement, simple pion. Et au final, c’est le spectateur qui pourrait devenir fou. Inutile de lutter, nos duettistes ont plusieurs coups d’avance sur nous.
À suivre : Twin Peaks: The return – Série plurielle