Tommaso est un artiste qui vit à Rome avec femme et enfant. Le récit est centré sur sa vie quotidienne, ses problèmes de couple, les activités lui permettant de tenir bon après avoir arrêté toute consommation d’alcool et de drogues (pratique du yoga, prises de parole au sein d’un groupe des Alcooliques Anonymes…), ses projets artistiques (il écrit le scénario d’un film à réaliser). Tommaso est à la recherche de sérénité et d’harmonie, mais encore hanté par les colères et les peurs.
Tommaso, présenté à Cannes 2019 et aux festival des Arcs lors d’une séance spéciale, offre une expérience cinématographique des plus étonnantes et ce sur plusieurs niveaux. Tout d’abord, parce qu’il marque le retour au premier plan d’un auteur singulier, Abel Ferrara, qui ici retrouve une inspiration que l’on n’avait pas chez lui depuis sa période de grâce, du temps où il rivalisait avec Coppola ou Scorcese. Ensuite, parce qu’il inscrit son récit dans son univers très personnel, et propose une expérience quasi intime, et enfin, par l’esthétique qu’il propose pour traiter ses thématiques centrales, d’ordre psychologique: la lutte permanente contre la dépression et la rechute, l’angoisse, la violence mentale.
D’emblée nous suivons les activités quotidiennes du personnage principal, avec une mise en scène rappelant une approche documentaire. Les différentes scènes – chez Tommaso, dans son café préféré, dans une salle de répétition de théâtre, dans les rues ou dans des jardins publiques – donnent lieu à des plan-séquences, caméra à l’épaule, le tout sous une lumière naturelle. Le soleil illumine les visages dans les gros plans, en contraste avec des moments sombres, des cauchemars. Cette esthétique visuelle directe, confère un regard réaliste et en même temps nous accompagne délicatement, traduit les différents états d’esprit de Tommaso. L’univers musical du film, instauré par différents extraits musicaux empruntés – video clip divers, notamment de la musique orientale – se marie parfaitement à l’image, et aide à créer le rythme émotionnel.
L’ambition intimiste de Tommaso se révèle sincère et particulièrement sensorielle. L »intensité de la dimension personnelle éclate, Ferrara nous partage ses énergies. Il aborde ainsi par l’intermédiaire de son double à l’écran – impeccable Willem Dafoe – le mal d’amour, le manque d’estime de soi, le sentiment particulier qui habite quelqu’un jadis dépendant à l’alcool et à la drogue, l’incapacité de fuir le passé, de tourner la page pour se construire une nouvelle vie, d’une manière touchante, sans fard. Le scénario se construit pièce à pièce, de façon quasi énigmatique, le spectateur ne percevra pas nécessairement comment, quand, et pourquoi un glissement s’opérera: le bonheur et l’équilibre apparents cohabitent avec des angoisses, des hallucinations, des souffrances pouvant aller jusqu’à la torture.
Tout l’univers de Ferrara se reconnaît dans ce récit existentialiste, jusqu’aux fantasmes, qui trouvent une place importante dans le récit visuel. La violence – fut-elle intériorisée -, sa naissance, les moyens de lutter contre elle, la tentative de rédemption avortée, sont autant d’obstacles à une vie saine, rangée, souhaitée, mais que les passages à l’acte viendront réduire à néant.
Retrouvez également notre interview exclusive d’Abel Ferrara, que nous avons eu l’opportunité de rencontrer au Festival des Arcs.