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Pulp Fiction – De la case au cadre

En 1994, Pulp Fiction remporte la distinction suprême au Festival de Cannes. Cette Palme d’or récompense tout autant la singularité narrative d’un film que ses indéniables qualités audio-visuelles. Le second long métrage de Quentin Tarantino atteste en effet d’une remarquable maîtrise qui doit autant à son scénario, coécrit par le cinéaste et Roger Avary, qu’à la composition très soignée de ses plans. Un double-enjeu que la ressortie en salles cette semaine de Pulp Fiction invite à (re)découvrir sur grand écran.

Débordements

Au début du film, un carton indique les deux origines du terme « pulp ».  Renvoyant d’abord à une matière informe, le « pulp » a fini par désigner une publication, caractérisée par son sujet subversif et la piètre qualité de son papier. On perçoit ici toute la qualité cinématographique de la chose. Trois histoires, cinq personnages principaux, et autant d’unités configurant l’originalité d’un plus vaste ensemble. La structure de Pulp Fiction est comparable à un concours de danse : des couples qui se forment, exécutent leur chorégraphie, sans se soucier, en apparence, des autres. Pourtant, tout se relie, tout se confronte, à travers une structure en mouvement constant, trouée de variations. Ainsi, les personnages seront amenés à se rencontrer, à changer de partenaire pour entamer une nouvelle danse. Danse du désir et de la mort, tant les deux sont, chez Tarantino, étroitement (re)liés.

À la manière des cases accolées de la bande-dessinée que le lecteur peut à loisir raccorder ou disjoindre, les récits de Pulp Fiction s’enchâssent sans jamais perdre leur cohérence. Tout destin dépend d’un autre, chaque évènement renvoie à un second. Comme Robert Altman, Tarantino et Avery poussent le sacro-saint principe de causalité à son culmen. Ici, règne l’ordre du chaos, propice à l’aléa et à la relativité. Cet emboîtement infini déborde le cadre même de l’écran. Tarantino profite de la persona de ses acteurs pour raviver la mémoire du spectateur : John Travolta en danseur, Christopher Walken en soldat rescapé du conflit vietnamien. La bande-son, elle, enchaîne les titres, conférant à chaque séquence la dimension d’un clip musical, unité par excellence de la forme audio-visuelle, affirmant la constance d’un espace-temps caractérisé par l’invariable.

Il y a bien dans Pulp Fiction, quelque chose de l’indice ou du fétiche cinéphile, marque de fabrique du cinéma de Tarantino. Mais ceux-ci ne sont jamais appuyés, jamais uniquement conditionnés par le second degré. Le ralenti et le sabre peuvent tout à la fois renvoyer au « Wu xia pian » (film de sabre chinois), à un délire formaliste, ou à un désir de gradation dramatique. À nouveau, le chevauchement détermine la conduite de l’usage, au point de rendre indistincts les contours des figures. Telle Marilyn Monroe qui sera confondue avec une autre, tandis que Jerry Lewis et Dean Martin prêtent leurs noms à un milk-shake. Le cadre dans le cadre prend la forme d’une case dédoublée, d’une coulée d’hémoglobine débordant la composition pour investir un autre écran. Pulp Fiction est une sorte de patchwork géant, ingérant sans cesse telle figure dans une autre.

Dessins mouvants

Quant à la structure visuelle de Pulp Fiction, celle-ci est principalement déterminée par la fixité et le mouvement. L’espace encadré par l’immobilité de la caméra se meut par la force des dialogues. Autant dire que le temps emporte l’espace, et détermine son cours, la voix ou le son traversant les raccords cuts et autres fondus au noir.

Tarantino respecte les deux échelles de plans privilégiées de la bande-dessinée : la vue d’ensemble et l’insert. Mais là où le dessin reste fixe, le cinéaste l’anime par l’angle de prise de vue (récurrence de la contre-plongée) et le déplacement de ses personnages, traçant de nouvelles perspectives ou soulignant la profondeur du champ. Cette scission quasi-constante entre l’avant et l’arrière-plan rappelle les films de Richard Fleischer, avec lequel Tarantino partage un goût pour l’association du savoir-faire technique et de l’efficacité narrative.

La fin de Pulp Fiction équivaut à une échappée du plan. L’impression laissée par le film sur son spectateur a bien quelque chose de la matière informe connotée par le titre. Quant à la trivialité du sujet et la médiocrité du papier, celles-ci sont sublimées par la virtuosité d’une structure soigneusement polie. À la fixité quelque peu rugueuse de la case répond le mouvement, sans cesse modulable, du cadre.

Pour les lecteurs qui souhaiteraient en savoir plus sur l’œuvre de Tarantino, rappelons la présence de l’ouvrage collectif dirigé par Emmanuel Burdeau et Nicolas VieillescazesQuentin Tarantino. Un cinéma déchaîné, réédité par Capricci cette année.

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