Du 29 novembre et jusqu’au 31 décembre 2017, Max Ophüls est à l’honneur à la Cinémathèque française. Bien connue des cinéphiles, l’œuvre du réalisateur est fréquemment citée en exemple d’élégance et de maîtrise. Le Mag cinéma s’est donc creusé la tête pour trouver une approche qui lui permettrait de couvrir cet évènement avec un minimum d’originalité. Face aux nombreux chefs-d’œuvre réalisés par Ophüls en France et en Allemagne, nous avons choisi de nous arrêter sur des productions plus intimes mais non moins essentielles correspondant à la courte période américaine du réalisateur.
Comme pour Fritz Lang au début des années trente, l’arrivée de Ophüls à Hollywood ne fut pas de tout repos. De 1940, année de son débarquement en Amérique, à 1947, le cinéaste ne parvient à tourner aucun sujet ! Après l’abandon de Vendetta en cours de tournage, c’est grâce au soutien du réalisateur et producteur Preston Sturges, qu’Ophüls parvient à concrétiser son premier projet : L’Exilé, que Jacques Lourcelles qualifie à raison de « faux film d’aventures et de cape et d’épée » servi par « des images ciselées en studio avec une préciosité et un raffinement admirables » (Dictionnaire du cinéma. Les films, Éditions Robert Laffont, 1992). Cette première réussite prouve d’abord que le réalisateur n’a rien perdu de sa superbe, mais aussi que son tempérament artistique a pu s’adapter sans problème aux carcans génériques imposés par les majors.
Lettre d’une inconnue (1948), son second métrage américain confirme et renforce encore cette impression. Adaptant une nouvelle de l’écrivain viennois Stefan Zweig, Ophüls retrouve ses racines européennes et développe son mélodrame à travers une valse de figures et de formes en tout point admirable.
Réalisé en 1949, Caught est produit par Enterprise Production, société fondée par l’acteur John Garfield et dominée par la figure du scénariste et réalisateur Abraham Polonsky. Comme l’a bien rappelé Eddie Muller, la création d’Enterprise relevait, au sein d’une industrie plus inspirée par l’argent que par les questions d’art, d’une sorte de « combat juste, au mépris des conséquences » (Dark City. Le monde perdu du film noir, Clairac Éditeurs, 2007). Co-signé par Polonsky et Arthur Laurents, le scénario de Caught se présente comme une variation mélodramatique du film noir, à l’instar de Rebecca (1940) d’Alfred Hitchcock, de Dragonwyck (1946) de Joseph L. Mankiewicz, d’Hantise (1944) de George Cukor, de Lame de fond (1946) de Vincente Minnelli, ou du Secret derrière la porte (1948) de Fritz Lang. Mais là où ces derniers avaient choisi d’enrober leur récit dans une atmosphère onirique et gothique, le film d’Ophuls choisit d’en matérialiser les enjeux sentimentaux pour produire un véritable pamphlet social. L’American Dream se voit ainsi fustigé à travers l’ambition démesurée de son héroïne. Littéralement prise au piège par ses propres désirs de réussite et de richesse, la jeune femme devient l’esclave d’un tyrannique homme d’affaires, avant de trouver son salut en la personne d’un simple, mais honnête, pédiatre incarné avec brio par James Mason.
C’est justement lui que l’on retrouve dans l’ultime film américain de Ophüls : Les Désemparés (1949), placé sous l’égide du producteur indépendant Walter Wanger, principalement connu pour ses collaborations avec Fritz Lang qui mèneront les deux hommes à créer, aux côtés de l’actrice et épouse de Wanger Joan Bennett, l’éphémère Diana Production. Là encore le film s’ancre dans un contexte très précis marqué par les bouleversements de l’après-guerre. En brodant autour du quotidien d’une famille de la classe moyenne une sordide histoire de chantage, le réalisateur dresse un portrait peu glorieux de la société américaine. Si les pères sont partis reconstruire l’Europe, leurs proches doivent affronter seuls la menace de gangsters qui sont, eux, restés au pays.
Tout comme Caught, Les Désemparés marque d’abord par la force de son récit. Il ne faudrait pourtant pas oublier l’excellente mise en scène dont celui-ci profite. Dans Caught, le réalisateur prend soin de décrire différemment les espaces de son film. À la vaste demeure du businessman sont réservés les profondeurs de champ, creusant les compositions pour mieux renforcer la solitude, morale et sentimentale, des personnages. À l’inverse, le cabinet du pédiatre est marqué par de nombreux travellings latéraux, vivifiant le cadre d’un mouvement qui soulignent la vitalité de ce lieu où s’épanouissent adultes et enfants.
Dans Les Désemparés, Ophüls emploie les clairs obscurs du film noir comme des motifs propices à une certaine inquiétude latente qui dépasse leur simple statut de tropes ou de blasons. On retiendra par ailleurs cette très belle séquence voyant une mère de famille traverser les rues de Los Angeles, hagarde et désemparée, le mouvement continu de la caméra prenant alors une dimension oppressante propre à celle du fatum de la tragédie antique. La fin du film concrétisera cet aspect. Alors que le drame semblait s’être achevé, les larmes du personnage révèle qu’il n’a jamais cessé d’exister.
Pour retrouver le programme de la rétrospective Ophüls, direction le site de la Cinémathèque française. Quant à nos lecteurs qui souhaiteraient en savoir plus sur l’art et la manière du réalisateur, nous leur conseillons de se reporter à l’excellent et indémodable Max Ophüls de Claude Beylie qui connut de multiples rééditions depuis sa publication originale en 1963.
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