Cédric Kahn surprend et émeut avec son nouveau long-métrage, une comédie intelligente sur l’envers du décor du cinéma français de nos jours, un sujet qu’il connaît très bien, de l’intérieur et en profondeur, à force d’exercer pendant des années dans ce milieu. La franchise et le sens du détail enrichissent le scénario.
Simon, réalisateur aguerri, débute le tournage d’un film racontant le combat d’ouvriers pour sauver leur usine. Mais entre les magouilles de son producteur, des acteurs incontrôlables et des techniciens à cran, il est vite dépassé par les événements. Abandonné par ses financiers, Simon doit affronter un conflit social avec sa propre équipe. Dans ce tournage infernal, son seul allié est le jeune figurant à qui il a confié la réalisation du making of.
Making of convoque de multiples personnages et enjeux, avec un regard ironique, voire sarcastique, pour observer, décrire, et reproduire certains situations inhérentes à un tournage: La difficulté de gérer les comédien.nes et les technicien.nes, plus encore le manque de moyens financiers. Mais l’ironie noire n’empêche pas le cinéaste de rester positif, de garder une lueur d’espoir. Cet espoir bienveillant et émancipateur, qui circule dans le film à travers les situations compliquées, fait la particularité de Making of, le différenciant des autres films que nous avons vus récemment sur le même sujet, par exemple « Vers un avenir radieux » de Nanni Moretti, qui donne un résultat totalement différent.
Pour qui suit la carrière de Cédric Kahn, qui a ses débuts fut très vite rapproché, sans qu’il s’en réclame, de Maurice Pialat – il fut l’assistant monteur de Sous le soleil de Satan, et qui fut une des figures de proue du mouvement des jeunes cinéastes français des années 90, le voir aborder la comédie sans le moindre désenchantement, sans qu’il n’y soit traité, en apparence, un sujet qui puisse vertement faire réagir, relève tout à la fois de la curiosité et du défi.
A bien y regarder, Making of, sous ses aspects divertissants, évoque le pouvoir émancipateur du cinéma, et interroge le cinéma en lui même, la mise en abyme première que l’art cinéma propose, en ce qu’il consiste à restituer aux spectateurs un spectacle qui provient le plus souvent d’une observation du monde, d’un monde, de personnages, tandis qu’un spectacle tiers tend à se mettre en place sur le lieu et le temps même de la création, qui devient nouvelle source d’inspiration parfois … Nombreux sont les cinéastes qui aiment à ce que quelque chose se passe lors du tournage, que quelque chose lui échappe, certains allant même jusqu’à définir le cinéma dans cette capacité à capter du réel imprévu … De nombreux cinéastes, en bon observateurs, puisent leur matière dans ce qui se joue autour d’eux, à plus ou moins de distance, dans ce qui alimente leur quotidien … Et naturellement, le tournage d’un film, la machine qui se met en place, et qui entraîne toute une équipe dans un moment de vie à part, plus ou moins enchanteur ou cauchemardesque, a inspiré des réalisateurs en interrogation sur la nature même de leur art, tels Fellini(Huit et demi), Woody Allen, John Cassavettes, Nanni Moretti ou bien sûr François Truffaut (La nuit américaine, auquel on rapproche très rapidement Making of – Cédric Kahn cite plus volontiers Allen ou Moretti).
Making of se sert donc d’une matière prête à l’emploi, ou les egos surdimensionnés, les petits rapports de pouvoir, la prétention, la volonté de tout contrôler, les comportements enfantins, égotiques ou égoïstes, les ambitions, et le rapport au génie, ou à l’industrie forment un concert, formidable miroir d’une micro-société composés de réalisateurs, assistants réalisateurs, techniciens, acteurs, producteurs, accessoiristes parmi laquelle Cédric Kahn œuvre, qu’il observe, et dans laquelle il se cache lui même. Il s’amuse à entremêler le vrai et le faux, s’appuyant sur des faits, des expériences qu’il a vécus (ou qu’il vit, se demande-t-on même eut égard à la participation de Jonathan Coen, en acteur star, dont il se dit ici ou là qu’il ne peut s’empêcher de chercher à co-écrire ses partitions), ou qu’il invente. Cet amusement permanent, le plaisir qu’il prend à rendre compte du chaos du tournage avec justesse et légèreté, se ressentent et donnent au film tout son ton.
Aussi, Making of nous fait passer doublement un bon moment, premièrement en ce qu’il nous intéresse, comporte sa part de philosophie et de biographie – Cédric Kahn se cache probablement tout autant dans le cinéaste confirmé en recherche d’inspiration nouvelle et dans l’aspirant cinéaste rempli d’énergie et d’ambitions, et deuxièmement, en ce qu’il nous fait rire, ce qui est le propre et le minimum que l’on puisse attendre d’une comédie. Le comique s’invite dans les situations, les dialogues, le regard posé, le jeu d’acteurs, parfois sincère, parfois exagéré. Le scénario, en lui même, comporte intrinsèquement, parce que Cédric Kahn observe finement et dose intelligemment, sa part de rebond, de psychologie, de pathos et de romanesque (pour revenir à Truffaut). Kahn parvient ainsi à éviter l’écueil dans lequel Vers un avenir radieux tombe, la légèreté et la vivacité d’ensemble nécessaires à la comédie ne viennent pas au détriment d’un fond qui serait traité lui aussi, à la légère. Les interrogations, les doutes, les évolutions des personnages, les interactions entre eux, autorisent à chacun de pouvoir rentrer en empathie, le récit d’ensemble conserve donc un équilibre intéressant, une impression de naturel, qui s’approche du réel (pour revenir à Pialat), qui nous évite de nous en détacher, même si le film un constat qu’on peut juger utopique (un jeune figurant qui sort de nulle part, arrive à trouver sa place dans le milieu extrêmement concurrentiel de cinéma en France et à devenir cinéaste).