Restauré par la Warner et servi par une bande originale signée par Bernard Hermann, La mort aux trousses réalisé en 1959 par Alfred Hitchcock bénéficie de nombreuses qualités. Au-delà d’un scénario astucieux et de dialogues brillants, deux caractéristiques soulignées par Bertrand Tavernier dans sa présentation du film avant projection, c’est la mise en scène que nous pouvons aussi qualifier d’astucieuse et de brillante. Une qualité annoncée dès l’affiche du film et son générique de début réalisés par Saul Bass et que nous avions discutés ici.
Dans La mort aux trousses, tout est affaire de cadres et de mouvements. Il y a d’abord une grosse utilisation de motifs rectangulaires sur-cadrant les personnages. La verticalité des décors, naturels ou artificiels, est régulièrement surlignées par des prises de vue en plongée ou contre-plongée. Au détour d’une longue scène, le nombre de troncs d’arbres en arrière-plan séparant Roger Thornhill (Cary Grant) et Eve Kendall (Eva Marie Saint) permet de mesurer leur éloignement physique mais aussi sentimental. Les mouvements des deux acteurs fait évoluer cette variable jusqu’à peut-être l’effacer.
Au mitan du film, cette verticalité est abandonnée durant l’emblématique scène de poursuite engagée entre le protagoniste principal et un avion au vol menaçant. Dans le milieu désertique environnant, l’horizon est infiniment plat. Cette horizontalité n’est pas brisée par des éléments verticaux mais par des déplacements diagonaux (voitures, avion) qui ne sont pas sans nous rappeler ceux dessinés dans le générique composé par Saul Bass… Ici, seul le personnage campé par Cary Grant demeure droit comme un « i » mais sera rapidement contraint d’abandonner cette posture comme nous le verrons plus tard.
Il est aussi fascinant de constater que Roger Thornhill entrera quasi exclusivement dans le cadre par la droite de celui-ci et que ses déplacements de gauche à droite de l’écran seront avant tout employés à fuir des poursuivants. Pris dans le cadre, il n’en sortira que très rarement (principalement en avançant vers la caméra pour disparaître derrière). Cary Grant tentera par trois fois d’échapper par le côté droit ou gauche du cadre. Chaque fois, l’acteur procèdera par un déplacement peu naturel, l’action du moment le contraignant à reculer ! Les deux premières tentatives échoueront. Le troisième essai sera un demi-succès puisque Roger Thornhill troquera alors sa verticalité pour plus d’horizontalité dès la scène suivante… Une quatrième tentative, en marche avant cette fois-ci, sera un succès total mais inutile puisque la scène concernée n’est là que pour faire rire !
Roger Thornhill s’entête dans des mouvements transverses voués à autant d’échecs. La solution est en bas de l’écran. Dans la scène emblématique voyant le personnage principal menacé par un avion, son salut viendra par le troc de sa position verticale pour celle d’une position horizontale. Ses plongeons au sol lui permettront d’abord d’éviter la mort puis de conjurer celle-ci à la fin de cette mémorable séquence. De même, en fin de film le salut de Roger et Eve tiendra à peu de chose… dé-escalader les sculptures du Mont Rushmore !
Alfred Hitchcock joue de façon prodigieuse avec les cadres et les faits et gestes de ses acteurs. Sans utiliser le moindre dispositif complexe, le réalisateur fait démonstration d’une mise en scène extrêmement calculée, indubitablement brillante et astucieuse.