Au début des années 1980, la guerre entre les parrains de la mafia sicilienne est à son comble. Tommaso Buscetta, membre de Cosa Nostra, fuit son pays pour se cacher au Brésil. Pendant ce temps, en Italie, les règlements de comptes s’enchaînent, et les proches de Buscetta sont assassinés les uns après les autres. Arrêté par la police brésilienne puis extradé, Buscetta, prend une décision qui va changer l’histoire de la mafia : rencontrer le juge Falcone et trahir le serment fait à Cosa Nostra.
Le cinéma italien n’est pas mort. Marco Bellocchio est un des rares survivants de l’acide Berlusconien et il a déjà prouvé, avec Vincere, qu’il n’avait pas perdu de sa splendeur. Autant aller droit au but : Le traitre était en compétition au festival de Cannes et il était notre indéniable Palme d’or. Les mystères de l’écosystème du jury millésime 2019 en ont voulu autrement, privant ce film plus que remarquable (euphémisme) et de la Palme d’Or et du prix d’interprétation masculine que beaucoup lui pronostiquaient.
Si Le traitre débute comme Le Parrain, ou comme une sombre et belle photo de famille de pourris classieux (« ma che ! »), l’œuvre de Bellocchio décolle vers de toutes autres sphères, nous offrant des reconstitutions dignes du théâtre grec, de procès pas comme les autres, donnant à voir non seulement un spectacle inédit mais aussi, et nous pesons nos mots, les meilleures scènes de procès de toute l’Histoire du Cinéma, de la télévision et des supports du genre Netflixiens.
Lyrique, ambitieux, ô combien puissant, cet opéra historique résonne au delà de l’histoire italienne. Du cinéma parfaitement intemporel. Bellocchio prouve, si besoin en était, qu’il sait comme personne marier grand sujet politico-historique et grand film. Là (Once upon a time in hollywood) où un Tarantino s’essaye, certes noblement, à recréer un univers de bric et de brac, en usant de sa culture Face B, en s’appuyant sur une anecdote qui ne lui appartient pas, et en misant sur quelques unes de ses facilités pour qu’un tout se forme, Bellocchio lui s’attaque de front à l’événement le plus important, celui qui a marqué l’Italie entre 1980 et 2000. Il cherche et trouve une forme étonnante, et jamais ne s’efface par rapport à son sujet, jamais ne s’en détache.
Avoir choisi le point de vue du traître s’avère une réelle prouesse, le regard qui est porté n’en est que plus troublant, tout à la fois de biais, et à l’intérieur même de Cosa Nostra. Coppola, lui même, aurait échoué dans cette entreprise, il n’aurait su oser la rupture de style, il n’aurait probablement pas eu cette idée magistrale d’amplifier le portrait individuel en esquissant un opéra parallèle.
La forme et le fond forment un tout particulièrement brillant. Les formidables interprétations des acteurs, le travail monstrueux sur la langue, la mise en scène grandiose, le risque pris par Bellocchio à traiter ce sujet sans fard, jusqu’à tourner ses protagonistes en dérision – tout en les montrant si humains -, ce qui, aujourd’hui encore vaut encore menace de morts, voilà les quelques raisons de notre enthousiasme.
A la sortie de ce grand film fou, parfaitement véridique (rien n’est inventé), nous n’avons qu’une envie, celle de nous plonger dans l’Histoire de la Cosa Nostra, de ses protagonistes pas comme les autres, du « traître », Tommaso Buscetta, au visage refait pour ne pas être arrêté -comme Antony Zimmer, au plus dangereux et singulier d’entre tous, Toto Riina, aka « Le Fauve » , un petit homme rond d’une rectitude morale implacable (« non à d’adultère ! ») capable de tuer quiconque de sang froid. Faites justice à ce grand film : courrez le voir !