Chloé, une jeune femme fragile, tombe amoureuse de son psychothérapeute, Paul. Quelques mois plus tard, ils s’installent ensemble, mais elle découvre que son amant lui a caché une partie de son identité
Avec l’amant double, Ozon propose un film dont on le sait capable depuis longtemps, mais ses dernières réalisations semblaient prendre un tournant réaliste. Son style n’est ni simple, ni linéaire . Il semble depuis le départ vouloir suivre plusieurs lignes, embrasser plusieurs ambitions d’apparences inconciliables. Comment rapprocher Sitcom de Frantz, Swimming Pool de Dans la maison, Jeune et Jolie de Ricky ? Paradoxalement, Ozon n’est pas plus un cinéaste qui cherche sempiternellement à se renouveler, à se mettre en danger, à l’instar de l’exigeant Kubrick, qu’un cinéaste qui suit une évolution marquée par des périodes, ou une rupture. Ozon file une oeuvre cohérente, personnelle, et il suffit pour s’en convaincre de confronter Sous le sable avec Swimming Pool , Gouttes d’eau sur pierres brûlantes avec Sitcom, ou de façon moins évidente 8 Femmes avec Potiche.
Les paradoxes ne l’arrêtent pas, ils le nourrissent. Ainsi, si Ozon suit sa propre voie , il aime également à emprunter, consciemment ou non, aux autres. Il s’inspire des autres cinéastes; tour à tour on peut noter ses allants excentriques, démonstratifs – à la Fassbinder – son goût de la légèreté ou au contraire apprécier son don de suggérer, de taire, d’éclipser, d’évoquer des zones intimes, imaginaires, de se placer du côté du rêve, de l’onirisme, du fantasme, dans un esprit surréaliste, comme il peut parfois vouloir nourrir une réflexion, amuser, égayer, ou encore émouvoir. Le cinéma d’Ozon peut rappeler celui de Bunuel comme celui d’Almodovar. L’amour est peut être le fil conducteur le plus évident dans son oeuvre. Sa complexité, le fait qu’il soit multiple et protéiforme, qu’il puisse relever de l’instinct comme de l’intellect – le sentiment comme la pulsion- , offre à Ozon un terrain de variations qu’il aime explorer encore et encore.
L’amant double peut perturber – certains parlent même exagérément de scandale. Il s’agit en tout cas probablement de tous ses films celui qui est le plus entier, le plus concentré, probablement aussi le plus ambitieux. Son sujet gagne à ne pas être dévoilé, pas plus que ses thématiques, en ceci que le récit est des plus déroutants, des plus intrigants, qu’il laisse la place à de nombreuses interprétations, à plusieurs niveaux de lectures. Le style même prête à commentaires, certains y voient un film d’horreur, un film fantastique, d’autres un film onirique, surréaliste, d’autres enfin une blague. Un jeu de piste s’offre au spectateur. Le plus attentif notera notamment que la mise en scène est soignée, qu’elle ne laisse absolument pas la place au hasard, multipliant les symboles, les parallèles, les jeux de miroir, les jeux de regard, les jeux de double. Le paradoxe, encore et toujours. Voilà peut être le sujet principal, s’il ne fallait n’en retenir qu’un seul. Le feu marié à la glace, l’homme confronté à la femme ou vice-versa, mais la volonté de traiter principalement de la psyché féminine, sous un angle qui en dérange plus d’une, soit parce qu’Ozon abuse, ou au contraire, vise juste. Libre à chacun de se former son propre avis, de se laisser prendre ou au contraire de rester à quai.
Pour que le style se dégage, pour que le mystère s’invite dans le récit, une composante est essentielle, les interprétations doivent être au diapason, se faire le relai, le reflet de l’intention artistique.
Ozon a eu l’excellente idée de travailler avec deux acteurs qu’il avait déjà eu l’occasion de diriger, à savoir le toujours très juste Jérémie Rénier, et l’intimiste Marine Vacht. Leurs jeux respectifs fonctionnent à plein, sur le plan individuel comme sur le plan collectif. Les deux jouent de leur posture, de leur voix, de leur silhouette et de leur corps. L’important est bien dans l’impression dégagée. Une impression obscure, comme peut l’être l’objet du désir.