
Fatima, 17 ans, est la petite dernière. Elle vit en banlieue avec ses sœurs, dans une famille joyeuse et aimante. Bonne élève, elle intègre une fac de philosophie à Paris et découvre un tout nouveau monde. Alors que débute sa vie de jeune femme, elle s’émancipe de sa famille et ses traditions. Fatima se met alors à questionner son identité. Comment concilier sa foi avec ses désirs naissants ?
Avec: Nadia Melliti, Park Ji-Min, Amina Ben Mohamed, Rita Benmannana, Melissa Guers, Razzak Ridha, Louis Memmi, Anouar Kardellas, Waniss Chaouki, Madi Dembele
Hafsia Herzi poursuit son petit bonhomme de chemin de cinéaste et confirme avec La petite dernière toutes les qualités déjà entraperçues dans ses réalisations précédentes. En suivant les pas de son héroïne, une femme tout à la fois représentative d’une génération et singulière, elle nous livre littéralement une romance contemporaine, qui empreinte au cinéma de celui qui lui ouvrit les portes du cinéma français, en 2007, Abdellatif Kechiche (La graine et le mulet qui la révéla, comme actrice). Tout comme son maître, elle parvient à faire parler les scènes de repas, à filmer les corps avec grâce, à faire s’échapper une vérité profonde au beau milieu d’un échange polyphonique d’apparence ordinaire quoi que passionné, quand le collectif pousse l’individu à devoir s’affirmer pour résister. Elle sait également se jouer des émotions, des pulsions pour mieux proposer un cinéma imitant le réel tout en le condensant, sans que l’artificiel ne prenne le pas (le naturalisme à la Pialat avant Kechiche, le choix de ne retenir que des instants symboliques pour faire avancer la narration de manière fluide et sans couture). La dramaturgie remarquablement fluide et harmonieuse y puise ses ressorts feutrés, bien aidée par des partis pris de mise en scène, de montage, de musique tous conçus comme un clair obscur permanent, ou plus exactement en une oscillation entre les deux Fatima, celle religieuse convaincue, qui aime sa famille, mais nourrit une colère naturelle, par ce dont elle se sent privée, par ce que son milieu lui interdit ou la pousse à répéter, presque par injonction, par les contradictions qu’elle développe, et celle qui se découvre, s’ouvre, fait preuve de curiosité au monde, et expérimente, pour mieux se comprendre elle même, en s’intéressant à d’autres modèles pouvant la fasciner.
Hafsia Herzi nous expose Fatima par petites touches, elle nous partage ses pensées, ses émois, ses peurs, ses envies et désirs, mais aussi et surtout ses freins, ses doutes, ses hésitations, ses attachements et résistances. Le thème principal du film nous sera glissé dans une scène en apparence anodine – tel un message subliminal cher aux cinéastes en dialogue avec leur spectateur -, par un professeur de philosophie lors d’un cours magistral: Hafsia Herzi nous parle d’émancipation au sens large, vis à vis d’une religion, d’un pays, des hommes, d’une figure d’autorité, de préjugés ou d’un regard.
A l’instar de Kechiche ou de Chateubriand, Hafsia Herzi s’attache dés lors, à interroger la part de romantisme de son héroïne, à faire ressentir l’intensité de la quête amoureuse qui la traverse — la passion dévorante de la jeunesse, le goût de la découverte. Une romance à vivre au présent comme au long cours, la vérité d’un instant se révélant parfois fugace.
Scène après scène, Fatima traverse des épreuves, apprend au contact des autres, se découvre. Elle s’ouvre à ceux qui l’attirent, se confie à eux, elle se ferme ou se cache aux autres. Elle s’émancipe et s’affirme. Scène après scène, La petite dernière nous saisit par la subtilité de son approche, dans ce regard si précis, – qui rappelle celui d’Hafsia Herzi, l’interprète; d’un côté l’abandon, la relâche, l’expressivité brute ; de l’autre, l’introspection, les silences éloquents. Herzi s’émancipe, et s’affirme.

