La femme de Tchaikovski qui confirme, si besoin en était le talent de Kirill Serebrennikov. Son sujet emprunte au bovarisme, ou à ses prémices du côté de Maupassant (Une vie), comme il emprunte à une forme de romantisme, et bien entendu, plus proche de lui, à l’âme slave sondée par les grands auteurs russes – Tchekov, Pouchkine, Doistoievski, Gogol, Gorki, ou encore Tourgueniev (lien parfait avec Flaubert ou Maupassant), mais, par effet de contraste tout trouvé, il vise l’à côté, le pendant volontiers oublié de l’histoire écrite par les hommes, le destin d’une femme, ses souffrances, ses résolutions, sa dévotion pour celui qu’elle choisit pour homme de toute une vie.
La peinture proposée offre également au très talentueux metteur en scène, l’occasion de mettre à l’écran les contrastes d’une époque, de narrer les salons privés où le français s’use dans un jeu d’apparences factice, mais aussi les trottoirs boueux, où la misère domine, où les hommes et les femmes vivent et crèvent dans le plus grand dénuement, la plus grande indifférence. Du haut de forme à la nudité la plus totale, masculine (obsession de Serebrennikov manifeste, qui donne un indice sur le sujet – masculin celui-ci si l’on puit dire- profond, enfoui dans ce récit), contrairement probablement à la Fièvre de Petrov par trop déconstruit, et même de Leto, bien plus printanier et léger, le fond offre un terrain de jeu idoine aux fulgurances formelles, tchekovienne dira-t-on encore. Si l’on peut rester insensible (ce fut notre cas) au propos liminaire, marqué par un forme de classicisme et un usage trop appuyé et somme toute maladroit de la musique (au contraire de Leto qui était admirable de ce point de vu), nous y trouvons pourtant les quelques premiers indices qui nous laissent à penser que Serebrennikov sait parfaitement où il veut nous amener. Effets de lumières (douce), contrastes appuyés, noir profond qui cotoît le blanc immaculé, à mesure que l’intrigue se dévoile, le réalisateur russe démultiplie les formes, magnifie sa mise en scène, pour mieux nous rapprocher de son personnage principal, de la tragédie qui s’instaure.
Parmi les tours de force formels, outre les quelques face à face doublés de reflets dans des miroirs, ou donnés à apprécier dans une vue 360 degrés autrement plus élégante que les rotations lelouchiennes, citons le parfait et régulier usage des ellipses, et dans une moindre mesure, des quelques passages fantasmés en général du plus bel effet- par notre héroïne ou Serebrennikov lui-même. Une pièce de théâtre se joue devant nous, qui conviera en sa toute fin l’opéra, dans une chorégraphie des plus subjectives. Puissant et beau, intriguant surtout.