ES fuit la Palestine à la recherche d’une nouvelle terre d’accueil, avant de réaliser que son pays d’origine le suit toujours comme une ombre. La promesse d’une vie nouvelle se transforme vite en comédie de l’absurde. Aussi loin qu’il voyage, de Paris à New York, quelque chose lui rappelle sa patrie. Un conte burlesque explorant l’identité, la nationalité et l’appartenance, dans lequel Elia Suleiman pose une question fondamentale : où peut-on se sentir » chez soi » ?
Les festivals se suivent et ne se ressemblent pas nécessairement. Dans notre journal critique du festival de Cannes, nos deux critiques envoyés spéciaux partageaient un même avis sur « It must be heaven » qui peut se résumer par « it must be awarded » . Nous écrivions alors dans notre journal critique: « Le clown Elia Suleiman nous propose un délicieux portrait de trois pays. Brillant, intelligent et drôle, il se retrouvera assurément au palmarès. Un tel cinéma fait du bien dans un festival. Les 6 minutes d’ovation qu’il a obtenu lors de sa première au grand Théâtre Lumière sont amplement méritées, au regard de l’inventivité, du regard, de l’espièglerie et tout simplement de l’intelligence de ce film très concentré, très épuré, à l’écriture visuelle et métaphorique épatante« . Cet avis, une fois n’est pas nécessairement (et c’est très bien ainsi) coutume, fut suivi, puisque le film obtînt une mention spéciale de la part du jury
Quelques mois passèrent et nous dépêchèrent un nouvel envoyé spécial à La Rochelle, qui ne partageait pas exactement notre enthousiasme. Philippe, partageait alors le billet suivant:
A l’heure où le film s’apprête à sortir dans nos salles françaises, nous revenons sur quelques éléments clés qui vous feront décider si oui ou non It must be heaven est un film pour vous, en nous livrant à un petit jeu de question-réponse ?
It must be heaven est-il singulier dans la filmographie d’Elia Suleiman ?
Non, Elia Suleiman fait partie de ses cinéastes qui, de films en films, proposent des variations, des évolutions assez subtiles, mais qui filent une oeuvre plus globale, au style très marqué, identifiable parmi trente. Si par exemple, vous avez aimé Interventions Divines, il est fort à parier que vous apprécierez de la même façon It must be heaven.
A quoi ressemble un film d’Elia Suleiman ?
A un film d’un Jacques Tati palestinien, qui a vécu quelques années en France. Il porte un regard doux amer sur la situation internationale de son pays, il aime la transposer par des images métaphoriques. Son regard se veut interrogatif, critique, et drôle tout à la fois, usant de distance; grossissant parfois le trait pour mieux se concentrer sur la substance.
It must be heaven, est-ce drôle ?
Oui, très drôle par instant, mais ne vous attendez cependant pas à un film qui cherche à tout prix à accumuler les gags, à faire rire à tout prix. Car, it must be heaven, est une oeuvre qui vise également deux autres objectifs, auquel l’humour doit laisser place: la poésie d’une part, mais aussi la réflexion sociétale.
En quoi le film est-il intelligent, brillant ?
Le film transpose de tout son long des situations générales, qui portent par exemple sur la politique de colonisation d’Israël, la politique de sécurité en France vs celle aux Etats-Unis, mais aussi la façon dont on obtient des financements en Europe ou aux US, en des situations particulières, ramenées au personnage d’Elia Suleiman, clown blanc observateur et le plus clair de son temps muet. La perspective suivie n’en est que plus confondante. De surcroît, l’humour amplifie l’interrogation. Le réalisateur palestinien met les points sur les i, questionne, bien plus qu’il ne heurte ou provoque, qu’il ne juge ou offre des réponses. L’absurde qui ressort si aisément dans les extraits collectés et proposés par Suleiman, très écrits, met particulièrement en relief celui de la situation plus globale singée. Pour qui parvient à relever la référence de départ, – et cela n’est nullement donné, car l’auteur, à très juste fin, ne le souligne jamais – l’effet se relève des plus jouissifs: le génie s’invite, en même temps que la mise en scène inventive – et même les effets spéciaux ! – nous fait sourire.
Est-ce un film universel, qui plaira à tout le monde ?
Oui, dans le sens où le film ne s’arrête pas à une observation, à un seul pays, et qu’il s’agit d’une manière générale, à la manière d’un Tati, d’un regard humaniste, sur l’évolution du monde. Non, dans le sens où Suleiman fait le choix de s’adresser de manière codé à ses spectateurs, partant de l’a priori que ceux-ci auront l’intelligence de deviner, comprendre, les allusions, les références mais aussi le regard. Mais cette entreprise, aussi cultivé puisse-t-on être, d’une part, relève d’un véritable défi tant les premières sont nombreuses, le second subtil, et d’autre part, pas nécessairement aux goûts de tous. Nous avons à Cannes rencontré de nombreux critiques de très bons goûts qui ne raccrochaient pas à notre enthousiasme, et comme vous l’aurez constaté, au sein même de notre rédaction, des voix dissonantes se sont fait entendre. Cette division de la critique n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle que soulevait Tati lui-même …