Un film de Christian Petzold
Avec Thomas Schubert, Paula Beer, Langston Uibel, Enno Trebs, Matthias Brandt
Quatre jeunes gens dans une maison de vacances sur la côte baltique. Trois d’entre eux s’amusent, mais l’un d’entre eux, un écrivain, est en difficulté. La forêt brûle, le ciel devient rouge. Le dernier rêve éveillé de Petzold est un drame relationnel tragicomique qui brille mais qui est aussi terre à terre.
Notre avis: ***(*)
Christian Petzold l’avoue en conférence de presse, après Ondine, il se trouvait en France et réfléchissait à un film qui pourrait prétendre au festival de Cannes. Il contracte alors le covid qui l’alite lui et sa femme pendant près d’un mois, et l’idée lui vient d’un récit de vacances qui ne soit pas semblable aux récits que le cinéma allemand aime mettre à l’écran, où de retours d’une période ensoleillée, de découverte et émancipatrice, la question du coming-out s’invite à la table familiale. Il s’étonne ainsi que la France propose son propre style de récits d’étés (il ne cite pas alors Rohmer ou Téchiné) comme que le cinéma américain propose lui-aussi un sous genre. Il se lance alors le défi de construire un récit qui échappe aux codes usuels, et trouve son inspiration dans les feux de forêt qui sévissent peu de temps après au Portugal. Surtout, au delà de la mise en scène multiple- le film ne livre pas forcément des intentions linéaires, faisant s’entremêler romance, drame, danger, le tout avec une apparente légèreté régnante- Petzold trouve son sujet en même temps qu’il trouve son personnage principal. Sa psychologie, sa propension à voir le monde sous un angle égocentré, à être aveugle de ce qui se passe autour de lui, constitue la matière même que le film malaxe.
En cela, Petzold suit tout à la fois le chemin d’un Rohmer qui aime à théoriser et poser les questions existentielles des différentes formes que peut prendre l’amour, l’émotion comme son pendant pulsionnel, le désir, mais il suit également la ligne d’un Téchiné qui aime à ce que les faits construisent les personnages, les rattrapent dans leur propre cheminement de pensée, et les surprennent. Le fort de Ciel Rouge tient d’une part à sa capacité à nous projeter « In the mind » de son personnage principal, – le film ouvre par la musique entêtante In my mind, mais aussi à nous en proposer un regard extérieur, amusant par instant, plus réfléchi et grave en d’autres. Petzold questionne tour à tour la réussite, le talent, l’inspiration (utilisant la littérature d’une manière générale, et le titre de l’œuvre fictive Club Sandwich pour mieux évoquer le cinéma de Petzold, et son film Cuba Libre), l’auto-critique, la condescendance, le mépris, la jalousie, les angoisses, la paranoïa, l’érotomanie, les étiquettes sociales, les rapports de puissance, l’humilité, l’empathie, le talent inné et les fausses apparences, la sexualité et son rapport à elle, mais aussi le rapport à la réussite, la séduction comme arme ou source de réussite. L’inspiration, précisément, nous dit-il dans ce récit, doit venir du côté du vécu, de l’expérience digérée, et non de l’exercice de fabrication prétentieux qui ne s’appuie que sur du vide. Outre sa richesse thématique, la finesse avec laquelle Petzold parvient à suggérer les choses et à rendre visible extérieurement des pensée intérieures, Le ciel rouge présente une très belle qualité de rythme, précisément car sa forme évolue à mesure que le récit avance, précisément car les psychologies des personnages, les liens entre eux, s’affinent. Ainsi, le personnage incarné par l’écran par Paula Baer de premier abord façonné en icône séductrice tirée d’un conte (à la Blanche Neige), qui étonne par son sourire, sa fraicheur, son apparente capacité à faire fi des évènements contraires, est d’abord filmée par Petzold en miroir du regard de notre héros masculin qui traverse une période de doute. Il porte sur elle un regard désirant, s’intéresse à ses faits et gestes, ses allées et venus, ses mouvements, et s’intéresse aux traces qu’elle laisse dans la maison de vacances. Mais il ne s’intéresse aucunement à elle. Le réalisateur allemand, dans la seconde partie du film s’amusera précisément à appuyer sur ses torts, à montrer les effets de l’aveuglement, et une réplique du film viendra résumer le message principal que le film porte « Pourquoi tu ne m’avais pas dit que … Parce que tu ne ma l’as pas demandé …« . A mi-chemin entre le cinéma de Rohmer et celui de Téchiné, Ciel Rouge aurait effectivement fait un bon candidat pour le festival de Cannes, et Petzold retrouve la qualité d’écriture déjà présente dans Transit et évite de tomber dans les travers de la fantasmagorie abracadabrante (Ondine).