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En Corps, Cédric Klapisch entre cinéma populaire et ambition artistique

Elise, 26 ans est une grande danseuse classique. Elle se blesse pendant un spectacle et apprend qu’elle ne pourra plus danser. Dès lors sa vie va être bouleversée, Elise va devoir apprendre à se réparer… Entre Paris et la Bretagne, au gré des rencontres et des expériences, des déceptions et des espoirs, Elise va se rapprocher d’une compagnie de danse contemporaine. Cette nouvelle façon de danser va lui permettre de retrouver un nouvel élan et aussi une nouvelle façon de vivre.

Cédric Klapisch avec En Corps et après Deux Moi semble résolument s’orienter vers un cinéma qui cherche à marier ce qui lui a valu d’emblée une reconnaissance et des succès publics, la comédie joviale et entraînante, avec des interrogations qui dépassent le seul sens de l’observation de la vie des jeunes – son cinéma populaire avait jusqu’alors marqué les esprits, du Péril Jeune à la trilogie de Xavier Rousseau (L’auberge espagnole, les poupées Russes, casse-tête chinois) par son acuité, sa modernité, sa capacité à mettre à l’écran une jeunesse réaliste, éclatante de vitalité et portée par un espoir peu importe les déboires, même s’il s’était déjà aventuré sur des terrains plus glissants, un rien plus documentaire avec des films comme Chacun cherche son chat.

Si Romain Duris n’est plus de la partie, pas plus qu’Ana Girardot, il poursuit sa collaboration avec François Civil déjà présent dans 2 mois et ce qui nous lie, et Pio Marmai (Ce qui nous lie également), mais, nous y reviendrons, de façon presqu’artificielle, dans des rôles plutôt secondaires à la fonction bien marquée: faire sourire le récit, et participer au dialogue avec le spectateur.

A leur côté Denis Podalydès, se voit confier un rôle de père fier, qui ne sait pas avouer ses sentiments à ses filles. Il les éduque comme il peut, ne réunissant pas à partager avec elles son intérêt pour la littérature, la faute probablement à une volonté de ces dernières de s’inscrire dans la continuité de leur mère, défunte, et dont l’absence constitue à la fois le lien fort qui unit la famille mais aussi la source principale de la difficulté à communiquer entre eux, chacun cherchant plus ou moins à dissimuler son chagrin et à se montrer toujours vivant, toujours avançant. Klapisch met ainsi à l’écran un premier sujet ayant trait au psychologique, loin des quelques facilités qu’il s’autorise avec les deux trublions précités. L’autre pan psychologique majeur adressé par En corps, bien connu des sportifs qui aspirent à une carrière professionnelle, vise à interroger la capacité à se relever, à se reconstruire, plus encore le doute qui peut s’installer lorsqu’un rêve peut du jour au lendemain se briser, et qu’il peut être question de se remettre en cause, de revisiter ses premiers choix et de les assumer de nouveau, de se battre pour de nouveau y croire. En scénariste habile, sans nécessairement en interroger la causalité, parce que; tout simplement, le destin réserve très souvent ce genre de désagréments, Cédric Klapisch adoube la blessure physique d’une blessure émotionnelle: notre héroïne doit faire face à une trahison amoureuse, et là aussi, devoir composer avec un scénario de rupture qui la pousse vers l’inconnu. Pour en sortir, ou pas, le hasard, les rencontres, le changement d’air (Ah la Bretagne !), le regard des autres seront essentiels – ce qui donnera par exemple à Muriel Robin un rôle intéressant, celle qui par son œil extérieur bienveillant, aide à y voir plus clair, à se ressourcer et à avancer de nouveau.

Difficile ceci-dit de présenter En Corps comme un film purement psychologique (Deux moi s’y prêtait davantage), et ce, même si la trame du récit est celle d’une reconstruction, d’un parcours d’une combattante et d’une quête de soi, tant deux autres intentions essentielles viennent s’y adosser. D’une part, Klapisch raccroche à ce qu’il maîtrise, la comédie, ici romantique, d’autre part, et de façon bien plus surprenante, et risquée pour lui (mais quel risque y a-t-il réellement à s’y essayer ?); il propose de filmer un art, tout à la fois de façon objective (rendre grâce) et subjective (proposer de belles images), la danse.

En Corps, tout comme Deux Moi, se joue d’ailleurs d’un double sens, (à l’oreille), évoquant ces différentes lectures proposées au spectateur. En proposant un film sur la danse, Klapisch partage avec nous un centre d’intérêt, sa curiosité artistique. Il dit lui même aimer l’universalité de la danse, sa beauté accessible à l’initié comme au profane. Il avait déjà réalisé des captations de spectacle pour l’Opéra de Paris, notamment lors de la soirée intitulée Quatre danseurs contemporains (2018), quelques années après avoir réalisé un documentaire sur  Aurélie Dupont, l’espace d’un instant, avec qui il ambitionnait de poursuivre l’aventure côté fiction.

La scène d’ouverture d’En Corps tout comme la scène de clôture visent (et parviennent) à transcrire à l’image, par une mise en scène, des mouvements de caméras et des effets de compositions habiles et soignés, la beauté plastique d’une chorégraphie exécutée avec soin et talent. Pour y parvenir, Klapisch s’est entouré des bonnes personnes. Tout d’abord, la musique et les chorégraphies (qu’elles soient de danse classique ou de danse contemporaine) sont confiées à des professionnels, en premier lieu Hofesh Shechter, chorégraphe et danseur israelien avec qui il a sympathisé lors de captations de l’opéra de Paris. Il lui confie également le choix des musiques, qui jouent un rôle important dans l’impression moderne du film et rythment le récit . Klapisch pour son projet nécessitait cependant d’aller un cran plus loin. Puisqu’il s’agit d’inscrire son scénario dans l’univers de la danse, puisqu’Aurélie Dupont n’est pas de la partie, Klapisch a fait l’excellent choix de s’entourer non pas (comme Aronofski avait pu le faire avec Natalie Portman dans Black Swann) d’une actrice de renom dont on pourrait louer la performance, mais d’un ensemble de personnes qui interprètent une partition en miroir de leur vie quotidienne, les danseurs sont des danseurs, les violonistes des violonistes. De fait, le rôle principal, sur les épaules de laquelle la réussite du film repose, se nomme Marion Barbeau, qu’il avait déjà filmée lors d’une des captations. il dit ainsi qu’ » il émane d’elle un naturel incroyablement touchant. Je sens que cette spontanéité peut être magnifique à filmer. Je sais évidemment qu’il y aura beaucoup de travail mais l’essentiel est là. »

Ce choix s’avère de notre point de vue (mais nous avons aussi entendu l’inverse, nous laissons chacun à sa subjectivité) payant. Son interprétation donne non seulement de la justesse technique dans l’exécution des mouvements, facilite à Klapisch et aux équipes de StudioCanal le travail de direction (cocahing) d’acteurs puisqu’il ne s’agit pas d’imiter, ce qui lui donne plus de temps pour se concentrer sur son art à lui, celui de filmer un mouvement qui a lieu sous ses yeux et sans son contrôle, mais surtout, et cela était peut être moins prévisible, elle se révèle particulièrement touchante, et crédible par son naturel, quand il s’agit d’interpréter les dialogues qui lui sont réservées. Les fêlures, les ambitions, les doutes, tout comme les aspirations sentimentales, le rapport au cercle familial, le rapport au milieu de la danse, les réflexions qui accompagnent n’en ressortent que d’autant plus.

Autour d’elle d’autres danseuses permettent de transcrire de manière réaliste l’univers des compagnies de danse, du côté de l’opéra, ou de la danse contemporaine (là où un Black Swann tendait à tirer le trait pour en faire émaner une composante fantastique, là où un Ema visait bien davantage à relier la vie de l’artiste et son art, pour précisément en faire ressortir, par le prisme du regard porté, son essence). La précision du décor, du geste, étant de fait essentielle, pour que la comédie romantique – parfois trop soulignée ou appuyée, que ce soit quelques trivialités comiques, quelques ficelles empruntées au conte de fée – tout peut parfois se résoudre comme par magie -, ou quelques réflexions sur la limite de la médecine officielle anecdotiques, puisse être considérée comme un film d’auteur marquant, Klapisch ayant souvent été à mi-chemin entre ses intentions auteuristes (sa cinéphilie n’est plus à démontrer pas plus que sa passion pour le 7ème art) et son ambition de divertir et de partager sa vision de l’énergie collective au plus grand nombre, de parler à la jeunesse, et de rester lui même jeune.

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